
Protéger notre patrimoine ne signifie pas le figer dans le passé, mais au contraire le faire vivre et rayonner. L’Etat, les institutions culturelles, les chefs et artisans, et chaque citoyen tunisien ont un rôle clé à jouer dans cette mission
Préserver son patrimoine n’est ni un caprice ni une manifestation de chauvinisme, mais un devoir envers son histoire, sa culture et son identité. La richesse du terroir tunisien, qu’il s’agisse de sa gastronomie, de son artisanat ou de ses traditions, est le fruit de siècles d’influences multiples : berbères, andalouses, ottomanes, italiennes et bien d’autres encore. Cette diversité est un trésor inestimable qu’il nous appartient de valoriser et de protéger.
Or, deux phénomènes distincts viennent menacer notre patrimoine culinaire : d’une part, l’ajout arbitraire d’une provenance étrangère à nos spécialités, et, d’autre part, l’appropriation de nos recettes par nos voisins. Le premier cas est illustré par l’émergence de dénominations telles que «Samssa Dubaï» ou «Bouza Dubaï», «Madmouja Dubaï» attribuant ainsi une origine fantaisiste à des mets profondément ancrés dans la tradition tunisienne. Cette tendance, initiée par des Tunisiens eux-mêmes, banalise et fragilise la légitimité de notre héritage culinaire. Le second phénomène est encore plus préoccupant : certaines nations voisines revendiquent comme les leurs des spécialités typiquement tunisiennes, contribuant à une appropriation culturelle injustifiée. Cet effacement progressif de notre identité gastronomique ne peut être ignoré. L’exemple du «chocolat Dubaï» illustre parfaitement comment un concept culinaire, bien que récent, peut rapidement devenir une tendance mondiale. Né de l’inspiration d’une Anglo-Egyptienne, Sarah Hamouda, qui a marié le kadaïf, la pistache et le chocolat, ce dessert a su conquérir un large public grâce aux réseaux sociaux. Rien à redire à cela, la créativité culinaire est un processus naturel et dynamique. Mais lorsqu’il s’agit de spécialités ancrées dans notre patrimoine, leur réattribution erronée nuit à la reconnaissance de la culture tunisienne et à ses artisans.
Protéger notre patrimoine ne signifie pas le figer dans le passé, mais au contraire le faire vivre et rayonner. L’Etat, les institutions culturelles, les chefs et artisans, et chaque citoyen tunisien ont un rôle clé à jouer dans cette mission. Il est impératif de documenter et de promouvoir notre cuisine à travers la publication d’ouvrages spécialisés, l’organisation d’événements nationaux et internationaux, et l’intégration de cette richesse dans les programmes scolaires. Les ambassades tunisiennes doivent également être des vecteurs de diffusion de notre patrimoine, en mettant en avant nos traditions culinaires, vestimentaires et culturelles à l’échelle mondiale.
La Tunisie, riche de son histoire et de son savoir-faire, doit se doter d’une véritable stratégie de préservation et de promotion de son patrimoine. Ne laissons pas notre identité être diluée ou appropriée par d’autres. Défendons-la avec fierté, en la célébrant et en la partageant avec le monde entier.