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Afrique – Prix Goldman pour l’environnement : Une voix tunisienne contre la corruption verte

La véritable leçon de cette affaire ne tient pas seulement dans la chute des corrompus ou le retour des déchets à leur point de départ. Elle réside dans l’exigence de forger des générations droites, lucides, capables de dire non là où tant ont dit oui.

 La scientifique et éducatrice tunisienne Semia Gharbi vient d’être honorée par le prestigieux prix Goldman pour l’environnement, surnommé le «Nobel vert». Elle est la lauréate pour la région Afrique, en reconnaissance de son rôle déterminant dans la révélation d’un vaste réseau de trafic de déchets entre l’Italie et la Tunisie.

Grâce à son travail d’enquête et de sensibilisation en 2022, cette affaire a mis en lumière un scandale impliquant plus de 40 fonctionnaires corrompus, des acteurs privés tunisiens et italiens, et abouti au renvoi de 6 000 tonnes de déchets ménagers illégalement importés en Tunisie. Cette opération a non seulement exposé les complicités locales mais a aussi poussé l’Union européenne à renforcer sa réglementation en matière de transfert des déchets à l’étranger.

Une militante de terrain, une voix pour les générations futures

À 57 ans, Semia Gharbi cumule plus de deux décennies de militantisme environnemental. Elle a fondé en 2011 l’Association d’éducation à l’environnement pour les générations futures, une ONG active dans les écoles tunisiennes en partenariat avec le ministère de l’Éducation. Elle est également coordinatrice régionale du Réseau international pour l’élimination des polluants (Ipen) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et cofondatrice du Réseau Tunisie Verte, qui fédère plus de 100 organisations.

Son action ne se limite pas à la dénonciation. Elle travaille à ancrer la conscience environnementale dans la société tunisienne, en particulier chez les jeunes, à travers l’éducation et la mobilisation collective.

Quand la trahison intérieure ouvre la voie à l’ingérence

Mais cette reconnaissance internationale ne doit pas masquer la blessure profonde que révèle cette affaire. En effet, si les déchets italiens ont atterri sur le sol tunisien, c’est d’abord à cause de complicités locales. Quarante agents publics – excusez du peu – censés défendre l’intérêt général, ont choisi de trahir leur mission pour de l’argent, bradant la souveraineté nationale pour quelques « euros » de plus. Et cela, sans même mentionner les acteurs privés « nationaux ». On est ici face à un véritable accord mafieux probablement transministériel se traduisant par une collusion révoltante qui mine les fondements mêmes de l’État.

Ainsi, le danger ne vient pas toujours de l’extérieur. Il vient aussi des failles internes, de ceux qui ouvrent les portes, qui facilitent les dérives, qui ferment les yeux pour un avantage personnel. Le véritable affront n’est pas seulement dans le container venu de l’étranger, mais dans la main tunisienne qui a signé, autorisé, dissimulé.

Refuser le confort du complotisme

Face à ces réalités, le discours du complot étranger devient un refuge facile. Il permet de détourner la responsabilité, de peindre le peuple en victime impuissante. Mais la vérité est plus rude ; il n’y a pas de colonisation sans collusion, pas de pillage sans participation locale, pas de manipulation sans relais internes. 

Les relations entre les nations reposent sur des rapports de force. Et dans ce jeu brutal, la seule véritable protection réside dans l’intégrité intérieure, dans la capacité à produire des générations incorruptibles, conscientes de leur rôle et de leur pouvoir. Parce que si la souveraineté d’un pays peut être vendue, c’est qu’il y a des acheteurs… mais aussi des vendeurs.

Un socle moral partagé

La véritable leçon de cette affaire ne tient pas seulement dans la chute des corrompus ou le retour des déchets à leur point de départ. Elle réside dans l’exigence de forger des générations droites, lucides, capables de dire non là où tant ont dit oui. Des générations qui ne plieront pas devant l’argent facile, qui comprendront que l’environnement n’est pas un luxe, que le territoire n’est pas à vendre, que protéger sa terre, c’est défendre sa souveraineté. Alors que certains continuent de pointer du doigt l’extérieur – et quand bien même ce serait vrai – il devient urgent de faire face à nos propres responsabilités. Ce n’est ni la peur ni l’indignation passagère qui nous sauveront, mais la lente et obstinée reconstruction d’un socle moral partagé.

Le moment est venu de reprendre en main ce que nous avons trop longtemps abandonné : notre exigence envers nous-mêmes, pour réparer, patiemment, lucidement, avec cette volonté tranquille de ceux qui savent que rien ne changera s’ils ne s’y mettent pas eux-mêmes. Ce combat est silencieux, quotidien, et profondément personnel. Il commence là où se forment les consciences : dans la salle de classe, quand un professeur choisit de croire encore au pouvoir d’un mot juste ; dans l’université, quand le savoir devient dialogue plutôt que récitation ; dans l’administration, quand le sens du devoir prime l’indifférence et le laisser-aller ; dans les médias, quand l’honnêteté et le professionnalisme prennent le pas sur le sensationnalisme.

Il commence en chacun de nous, chaque fois que nous refusons la facilité, chaque fois que nous choisissons l’effort plutôt que les justifications commodes et les bonnes raisons de ne rien faire, de mal faire ou de nous vendre aux plus offrants. Ce combat ne fait que commencer. Mais s’il s’enracine dans la conscience collective, il peut faire bien plus que réparer une nation blessée : il peut rompre la chaîne des compromissions qui, génération après génération, ont rendu la trahison ordinaire presque incontournable. Rompre cette chaîne n’est donc plus un choix. 

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