Accueil A la une Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis à La Presse : « La révision de la loi relative au marché financier est devenue une nécessité »

Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis à La Presse : « La révision de la loi relative au marché financier est devenue une nécessité »

Le marché financier se présente aujourd’hui comme un élément clé du développement économique. Il a pour mission de soutenir la croissance, de renforcer la résilience des entreprises et d’attirer de nouveaux investisseurs. Pourtant, malgré son importance reconnue, le marché financier tunisien reste insuffisant. Face à ce constat, Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis, nous éclaire sur les enjeux actuels et les perspectives de développement du marché. Interview.

L’économie tunisienne est financée à hauteur de 95 % par le secteur bancaire. À votre avis, quels problèmes pose la forte dépendance au crédit bancaire ?

Il est vrai que le financement de l’économie tunisienne repose en grande partie sur le système bancaire. Une telle concentration expose le pays à des risques systémiques : en cas de tension sur la liquidité bancaire ou de ralentissement du crédit, c’est l’ensemble du tissu économique qui pourrait en pâtir.

Par ailleurs, cette situation freine l’innovation financière et limite la diversité des outils de financement, notamment pour les entreprises à forte croissance ou à fort potentiel, qui peuvent se retrouver pénalisées par un niveau d’endettement élevé combiné à une faiblesse des fonds propres. 

De plus, un endettement important, particulièrement pour les PME, freine leur développement, réduit leur rentabilité et menace même leur pérennité. La diversification des sources de financement, en particulier par le biais de la finance directe, constitue donc un enjeu stratégique pour renforcer la résilience de notre tissu économique. 

Pour corriger ce déséquilibre, le recours au marché financier apparaît comme une solution indispensable.

Il ne s’agit pas de substituer la finance directe au financement bancaire, mais de construire un écosystème financier équilibré, en multipliant les modes de financement disponibles et en créant de nouveaux leviers de croissance.

Quel rôle la Bourse de Tunis joue-t-elle aujourd’hui dans le financement des entreprises tunisiennes ?

Aujourd’hui, notre marché financier ne joue qu’un rôle relativement modeste dans le financement direct des entreprises. Cela dit, il représente un levier puissant de croissance pour les sociétés structurées, notamment celles ayant une vision à long terme, une volonté de transparence et un potentiel de développement important. La capitalisation boursière reste inférieure à 20% du PIB, ce qui demeure en deçà de notre potentiel national, d’autant plus qu’une grande partie du tissu économique n’est pas représentée à la cote (télécoms, phosphates, agriculture, énergie, mines, tourisme…).

Afin d’inverser cette tendance, plusieurs leviers sont envisageables. Il y a, tout d’abord, la refonte réglementaire des textes relatifs aux marchés des capitaux, dans l’optique d’encadrer l’Appel Public à l’Épargne selon les standards internationaux et de favoriser le développement de nouveaux marchés et instruments financiers, tels que les marchés de matières premières ou les produits dérivés. D’autre part, il faut appuyer la mise en place de dispositifs structurants instaurant une bonne gouvernance et une réelle transparence, notamment à travers une procédure d’IPO obligatoire (introduction en Bourse) pour certaines entreprises atteignant un certain seuil d’engagements financiers ou présentant un intérêt public. 

Aussi, il faut penser à encourager l’introduction en Bourse par des incitations fiscales attractives et la création de nouvelles catégories d’investisseurs stables ainsi que l’innovation et la diversification des produits boursiers.

Selon vous, quels sont les principaux obstacles qui freinent le recours au financement boursier en Tunisie ?

C’est un ensemble de facteurs qui expliquent cette situation. La loi-cadre régissant notre marché, datant de 1994, est aujourd’hui complètement dépassée par les évolutions qu’a connues l’industrie financière à l’échelle mondiale. Sur un autre volet, il existe un véritable enjeu culturel : de nombreuses entreprises tunisiennes, notamment familiales, restent réticentes à l’ouverture de leur capital, souvent par manque d’information ou par crainte de perdre le contrôle. Enfin, l’attrait de la Bourse et la confiance des investisseurs constituent un facteur clé, qui se construit à travers une grande diversité de titres, une liquidité suffisante et, surtout, une transparence exemplaire de l’ensemble des acteurs du marché des capitaux.

Quelles réformes préconisez-vous pour dynamiser le marché financier tunisien ?

Nous travaillons avec les différents acteurs de notre place financière sur un plan stratégique de modernisation. L’objectif est double : renforcer l’attractivité pour les entreprises, notamment les PME et les start-up, et améliorer notre positionnement vis-à-vis des investisseurs domestiques et étrangers.

L’axe prioritaire de cette démarche est la réforme du cadre réglementaire, aujourd’hui levier central pour redynamiser le marché financier tunisien. À ce titre, la révision de la loi n°94-117 relative au marché financier est devenue une nécessité. 

Ce texte, bien qu’historique et fondamental, ne permet plus de répondre aux besoins actuels du marché ni d’intégrer les innovations financières récentes. Sa modernisation est donc indispensable pour faire émerger un marché financier dynamique, inclusif et compétitif.

La refonte de cette loi ouvrirait la voie à l’introduction de nouveaux produits boursiers, tels que les produits dérivés, les ETF (fonds indiciels cotés) ou encore le marché des matières premières. Elle permettrait également la création d’un compartiment dédié aux start-up, adapté à leurs besoins spécifiques, avec des conditions d’accès plus flexibles, un accompagnement renforcé, ainsi que des processus allégés et digitalisés.

En outre, cette réforme contribuerait à renforcer la profondeur du marché en incitant les grandes entreprises, privées comme publiques, à s’introduire en Bourse. Cela permettrait d’autonomiser financièrement un certain nombre d’entreprises en difficulté, d’améliorer la liquidité du marché, de diversifier les choix sectoriels, et d’accroître la visibilité de la place financière tunisienne, favorisant ainsi l’attraction d’une nouvelle catégorie d’investisseurs, notamment étrangers.

 

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