Accueil Economie Tribune – Réglementation fiscale tunisienne en débat : Nul n’est censé ignorer la loi d’accord, mais à l’impossible nul n’est tenu

Tribune – Réglementation fiscale tunisienne en débat : Nul n’est censé ignorer la loi d’accord, mais à l’impossible nul n’est tenu

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La fiscalité tunisienne est, aujourd’hui, plus une source d’inquiétude qu’un levier de justice. En tant que professionnel de ce domaine, je constate chaque jour à quel point les textes fiscaux sont devenus inaccessibles, même pour les initiés. A travers cette tribune, je souhaite alerter sur les dérives d’un système trop complexe et opaque et appeler à une réforme profonde, fondée sur la clarté, la participation et le respect du citoyen.

En Tunisie, la fiscalité est devenue une source d’angoisse plus qu’un instrument de justice. Depuis 2011, la législation fiscale s’est transformée en un véritable labyrinthe juridique que même les initiés peinent à parcourir. Cette complexité n’est pas qu’un défi technique : elle menace directement la relation de confiance entre l’Etat et ses citoyens.

Chaque année, les lois de finances introduisent de nouvelles obligations, souvent rédigées dans un langage opaque et insérées dans des textes épars. Le citoyen se retrouve ainsi confronté à une législation à la fois prolifique, incohérente et largement inaccessible. Comment espérer respecter une norme qu’on ne peut ni consulter aisément, ni comprendre sans assistance spécialisée ?

L’exemple de la contribution sociale et solidaire est emblématique : un dispositif en apparence simple, mais rédigé dans un paragraphe interminable et incompréhensible pour le commun des mortels. Là où une phrase claire aurait suffi, on a préféré l’opacité.

Le recueil des droits, taxes et redevances non codifiés relatif à l’année 2023, publié par la Direction générale des études et de la législation fiscale, compte déjà 490 pages. Il ne constitue pourtant qu’une compilation partielle. Il n’inclut ni l’ensemble des obligations déclaratives ni de nombreuses redevances instaurées par les lois de finances, comme celles relatives à la télédéclaration ou à la loi de finances complémentaire de 2014.

A cela s’ajoute l’absence d’une codification systématique. Il n’existe pas, à ce jour, de code fiscal unifié regroupant l’ensemble des règles en vigueur. Le contribuable tunisien est ainsi confronté à une mosaïque de textes souvent contradictoires, dispersés, parfois introuvables. Et pourtant, il reste juridiquement tenu de les connaître sous peine de sanctions.

Cette situation ne pénalise pas uniquement les contribuables. Les agents de l’administration fiscale eux-mêmes rencontrent de réelles difficultés à suivre l’évolution rapide et instable des textes. Cette instabilité législative expose leurs actes à un risque constant d’annulation, faute de base juridique claire ou actualisée. Pis encore, nombre d’entre eux ne disposent ni des outils ni des formations nécessaires pour opérer dans cet environnement incertain. On leur demande d’appliquer des règles mouvantes sans accompagnement, ce qui affaiblit encore davantage la sécurité juridique du système fiscal.

Cette complexité résulte d’un processus d’élaboration des lois de finances qui demeure largement fermé et centralisé. L’administration fiscale conserve un monopole quasi-total sur la rédaction des textes, souvent dans l’urgence et sans véritable concertation. Le Parlement, pourtant censé jouer un rôle de contrôle et d’équilibre, se limite trop souvent à entériner les projets sans débat de fond, sans évaluation préalable de leur impact et sans effort réel de simplification ou de réécriture.

A cela s’ajoute l’absence d’un principe fondamental observé dans de nombreux pays : ne légiférer que lorsqu’une nécessité réelle est démontrée. En Tunisie, chaque loi de finances semble être l’occasion d’ajouter de nouvelles obligations, sans jamais remettre en question l’accumulation des normes existantes. Ce déficit de transparence, de modération législative et de débat fragilise encore davantage la légitimité des règles fiscales et creuse le fossé entre la loi et le citoyen.

Dès lors, une question s’impose : peut-on moralement et juridiquement sanctionner un contribuable sur la base de textes inaccessibles ou incompréhensibles ? La réponse semble évidente, mais le problème demeure entier.

Et que dire alors de l’adage juridique selon lequel « Nul n’est censé ignorer la loi » ? Ce principe fondateur du droit moderne repose sur une condition essentielle : que la loi soit accessible, intelligible et prévisible. Or, lorsque celle-ci devient un labyrinthe tortueux, avec des textes éparpillés, cet adage se transforme en fiction. L’ignorance n’est plus une faute, elle devient une conséquence inévitable de l’opacité législative. Dans ces conditions, punir le citoyen revient à l’accabler d’une responsabilité qu’il ne peut raisonnablement assumer.

Les annonces répétées de simplification sont restées sans effets concrets. On continue de multiplier les textes de lois sans jamais penser à l’usager final : le citoyen. Or, une législation fiscale juste ne peut exister sans lisibilité, sans transparence, sans accessibilité.

La réforme fiscale ne doit pas se limiter aux taux ou à l’assiette fiscale. Elle doit commencer par un véritable chantier de simplification, de codification et de vulgarisation de la loi. Non pas pour faire plaisir aux contribuables, mais pour garantir un minimum de sécurité juridique, de clarté et de respect des droits fondamentaux.

Il est temps d’admettre que la complexité fiscale n’est pas un signe de sophistication, mais souvent un aveu d’échec. Dans l’attente d’une réforme structurelle, participative et sérieuse, il est impératif de mettre en place des mesures immédiates de soutien à la compréhension du droit fiscal. La communication fiscale reste aujourd’hui largement déficiente. Ni l’administration fiscale ni les pouvoirs publics ne produisent de supports didactiques accessibles, qu’il s’agisse de guides simplifiés, de fiches pratiques ou de contenus pédagogiques adaptés à tous les niveaux. Cette absence d’accompagnement aggrave le sentiment d’exclusion des citoyens face à la loi. Il est urgent de construire des outils clairs, vulgarisés, facilement consultables, pour permettre à chacun — particuliers comme professionnels — de mieux comprendre ses droits et ses obligations. Ce n’est pas une faveur : c’est un préalable indispensable à toute relation saine entre l’Etat et ses contribuables.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.
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