Accueil Actualités Recensement national : Moins nombreux mais mieux formés, le vrai défi démographique

Recensement national : Moins nombreux mais mieux formés, le vrai défi démographique

La Tunisie compte désormais près de 12 millions d’habitants. Mais au-delà des chiffres, le véritable enjeu réside dans la qualité du capital humain, pas dans la course à la natalité. Il ne s’agit pas de renier l’importance de la croissance démographique, mais de rappeler que c’est par l’investissement dans l’éducation, la santé et l’emploi que la Tunisie bâtira un avenir durable et prospère.

La Presse — Le dernier recensement national de 2024 révèle que la population tunisienne a atteint 11,97 millions d’habitants, soit près d’un million de plus en dix ans (+989 415). Ce chiffre traduit un taux d’accroissement annuel moyen de 0,87 %, relativement modéré par rapport aux décennies précédentes. Pour le ministère de l’Économie et de la Planification, ces données ne relèvent pas d’un simple exercice statistique : Elles constitueront le socle du futur plan de développement 2026-2030, conçu selon une démarche fondée sur l’évidence, alliant rigueur analytique et ambition stratégique à long terme.

Une population encore jeune malgré le vieillissement

Si certains tirent la sonnette d’alarme sur un vieillissement accéléré, la moitié de la population tunisienne a moins de 35 ans, comme l’a rappelé la démographe Ibtihel Bouchoucha. Certes, la part des personnes âgées de 60 ans et plus est passée de 11,6% en 2014 à 16,9% en 2024, traduisant une transition démographique amorcée. Mais selon Bouchoucha, la Tunisie reste loin d’un vieillissement avancé, cette mutation restant progressive. L’espérance de vie à la naissance atteint aujourd’hui 80 ans, ce qui reste un signe positif, tout comme la stabilité de la croissance naturelle (environ 100.000 personnes de plus par an).

Un taux de fécondité sous le seuil de renouvellement

Le taux de fécondité, inférieur à 2 enfants par femme, reste en dessous du seuil de renouvellement des générations. Cette baisse est souvent perçue comme un danger. Pourtant, il faut éviter de tomber dans la tentation d’un retour à une démographie galopante comme solution miracle aux déséquilibres socioéconomiques. Multiplier les naissances sans renforcer les services publics, les infrastructures ni les opportunités d’emploi revient à aggraver les vulnérabilités sociales, les inégalités territoriales et les tensions économiques.

Ainsi, encourager une hausse rapide des naissances, sans garantir les conditions de vie qui les accompagnent, revient à agir comme une famille pauvre qui continue d’avoir des enfants en disant que leur pain est entre les mains de Dieu. Une telle approche, bien que profondément ancrée dans des croyances culturelles et religieuses, devient irresponsable si elle n’est pas accompagnée d’un projet de société cohérent. Et si ce projet fait défaut, les risques sont majeurs : des infrastructures saturées, des services publics débordés, un chômage des jeunes en hausse, et une amplification des crises sociales et économiques. Ces tensions peuvent à leur tour déboucher sur des troubles politiques, alimentés par la frustration d’une jeunesse nombreuse et désœuvrée, une défiance envers les institutions et une perte de cohésion sociale. Les crises que la Tunisie a traversées ces dernières années ont été, en partie, amorties grâce à une croissance démographique modérée, encore gérable par les capacités du pays.

Réfléchir autrement la démographie, qualité avant quantité

La leçon centrale de ce recensement ne se limite pas aux chiffres bruts: c’est l’interprétation et l’usage qu’on en fait qui détermineront les choix politiques et sociaux à venir. De ce fait, une croissance démographique modérée n’est pas une fatalité ni un frein, bien au contraire, elle peut devenir un levier d’équilibre, à condition de repenser nos priorités. Et plutôt que de courir derrière un nombre d’habitants «idéal», il est temps de penser en termes de capital humain. Une jeunesse bien formée, bien soignée, insérée dans un tissu économique dynamique et cohérent, pèse bien plus qu’une population pléthorique confrontée au chômage, à la précarité et à la déscolarisation.

Des pays comme la Thaïlande, le Costa Rica ou encore la Tunisie elle-même dans les années 1990 ont démontré qu’une transition démographique maîtrisée pouvait coïncider avec une amélioration significative des indicateurs sociaux, à condition d’être accompagnée d’investissements soutenus dans l’éducation, la santé, le transport et l’innovation.

L’exemple de l’île Maurice, pays insulaire de l’océan Indien, est particulièrement éclairant. Avec une population d’environ 1,3 million d’habitants et un taux de fécondité également inférieur au seuil de renouvellement, l’île Maurice a su transformer sa contrainte démographique en opportunité de développement durable. En misant sur un système éducatif performant, une gouvernance relativement stable et une diversification économique réussie (finance, TIC, tourisme, agro-industrie), elle a atteint un niveau de vie élevé dans un contexte africain difficile et s’est imposée comme un modèle de stabilité et de résilience.

Ce cas montre que le développement ne dépend pas du nombre d’habitants, mais de la manière dont une société investit dans son potentiel humain. À l’image de cette réussite, la Tunisie, elle aussi, dispose d’une jeunesse nombreuse, d’un socle éducatif à reconstruire mais solide, et d’un capital social attaché à la dignité par le travail. Notre pays peut suivre cette voie, à condition de se projeter avec lucidité et de rompre avec les logiques purement quantitatives. Pour cela, il faudra une vision claire, une volonté politique ferme, et surtout la capacité à rompre avec les réflexes court-termistes. À l’aube de cette nouvelle ère démographique, donc, la Tunisie a l’opportunité de transformer sa jeunesse en une force vive, non par le nombre, mais par la qualité de son éducation, de sa santé et de son engagement.

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