Mohamed Sahbi Khalfaoui, chercheur en science politique, enseignant à la Faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba et membre de l’Observatoire tunisien de la transition démocratique, décode dans cette interview les clivages qui traversent la société. De facto, une typologie des électeurs se dégage.
Quelle est la typologie des électeurs tunisiens ?
Pour l’analyse des électeurs, de grandes théories ont été établies à l’échelle mondiale. Plusieurs paradigmes d’analyse ont été élaborés. Nous ne pouvons les énumérer tous. Mais j’ai tendance à considérer qu’il existe un paradigme qu’on peut appliquer à la Tunisie. Pour définir la typologie des électeurs, il faut parler des principaux clivages qui traversent la société tunisienne. A travers ces clivages, on peut faire une typologie de l’électorat tunisien. D’abord, il existe le clivage Religion/Etat. Ceux qui croient en l’Etat en tant qu’institution séculariste, qui soutiennent l’Etat laïc. En face, ceux qui sont pour l’application de la religion en tant que source de législation. C’est un clivage important. Le deuxième clivage sépare les élites urbaines des élites rurales. On voit bien qu’il existe une différence entre ce qu’on appelle les intra-muros et les extra-muros, entre le vote citadin et le vote rural, à travers le discours et les moyens de mobilisation. La différence entre la ruralité et la cité est réelle. Un autre clivage divise le centre des périphériques. Le centre historique du pouvoir. Je parle notamment du littoral, principalement la Capitale et le Sahel par rapport au reste du pays. La capitale et le Sahel transforment une grande métropole comme Sfax en périphérie, au regard du centre politique, du centre du pouvoir, du centre névralgique de la prise des décisions. Un autre clivage est également établi entre les possédants et les non possédants. A partir de ces clivages, ont peut dégager de grandes catégories d’électeurs qui restent toutefois théoriques.
Laissons la théorie à part, parlons de la réalité du terrain, comment la décrivez-vous ?
Dans la réalité, tous ces clivages s’enchevêtrent. De plus, il existe un autre modèle (théorique qu’on peut appliquer à la Tunisie) qu’on appelle écologique, c’est-à-dire lié à la géographie. En 2014, ce n’était pas pour rien que le Sud a voté contre le Nord. C’est comme si la géographie a joué un rôle. On doit toujours considérer que le vote de n’importe quel électeur n’est pas établi à partir d’une campagne électorale ou d’une offre politique que présente le candidat. Le vote de l’électeur est plutôt une affirmation d’une identité sociale, d’une image qu’a l’électeur de lui-même. Donc le choix d’un candidat doit lui ressembler d’une certaine manière. L’électeur recherche la personnalité, le personnage, le parti, la mouvance qui lui ressemblent. Ainsi, les rapports entre n’importe quel citoyen et l’Etat, en ne perdant pas de vue les quatre clivages principaux qui traversent la société tunisienne, déterminent effectivement le vote de l’électeur. Si J’habite une ville que je considère oubliée par l’Etat central, mon choix va se porter sur les candidats qui se revendiquent contre le système. Par ailleurs, dans certaines régions, le tribalisme est vivace, si on le nie, c’est nier une réalité. Pour cette raison, précisément, lorsque les principaux partis politiques font un choix dans ces régions, ils le font principalement selon l’appartenance tribale de leurs candidats et leurs têtes de liste. En revanche, dans les cités urbaines, le vote change. Le Centre vote contre les candidats des ceintures périphériques.
Par conséquent, l’électeur vote pour un candidat et non pour son programme politique, d’après-vous ?
L’électeur aujourd’hui vote, à mon avis, en masse conformément à son appartenance sociologique et géographique. Le vote n’est plus tellement une réponse à une offre politique d’un programme électoral. On s’intéresse au profil du candidat, à la position identitaire, aux alliances qu’il pourrait faire, son positionnement vis-à-vis des questions sociétales importantes et clivantes. Comme l’égalité successorale. La question qu’on pose à tous les candidats notamment appartenant au camp séculariste ; faire des alliances ou pas avec la mouvance islamiste. Autre question importante portant sur le service public : les entreprises publiques doivent-elles être privatisées ou bien l’Etat doit-il garder la main ? D’ailleurs, la plupart des candidats refusent de se prononcer de façon claire sur ces questions de peur de démobiliser certaines forces sociales. Qu’elles soient en faveur de la privatisation ou contre. Les candidats sont acculés à entretenir le flou. Pourtant ce sont des questions primordiales. Les candidats en fin de compte se positionnent davantage en fonction de la demande politique de leurs électeurs potentiels que conformément à leurs convictions. Par exemple, un candidat qui se présente comme séculariste, droit-de-l’hommiste, démocrate et qui se prononce en faveur de la peine de mort. Et pourtant ça existe !
Quel est le clivage principal qui traverse la société tunisienne ?
Le clivage principal en Tunisie reste, à mon avis, celui qui oppose le camp séculariste au camp islamiste. Il existe également un clivage régional qui est utilisé en arrière-plan dans la trame du discours politique. Mais le classement des électeurs n’est pas mécanique, je peux être périphérique, urbain, rural non possédant alors que je vote pour un homme d’affaires. La question n’est pas mécanique mais les quatre clivages cités plus haut peuvent nous donner un aperçu sur les profils des électeurs et ceux des candidats qui ne viennent pas avec leurs propres offres politiques mais répondent plutôt à des revendications sociales et doivent s’y adapter. Je peux donner l’exemple d’un autre candidat qui a toujours été droit-de-l’hommiste, qui a toujours défendu l’égalité successorale, depuis les années 80, et qui se positionne contre le projet du président défunt Béji caïd Essebssi pour être conforme aux opinions de son électorat, quitte à se contredire publiquement, quitte à être contre ses propres convictions.
Quelles sont les autres motivations des électeurs à part celle de voter pour des candidats qui leur ressemblent ?
Les électeurs sont également des cibles qu’il faut savoir attirer. Ici, la capacité des candidats est primordiale à mobiliser un plus grand nombre de militants ou plutôt à enrôler des agents capables de mobiliser les électeurs. Par exemple, un homme d’affaires est bien capable de ramener 5 à 6 mille voix. Pareil pour le président d’une équipe sportive.
Comment se fait la conquête du pouvoir ?
Aujourd’hui on parle de la conquête du pouvoir par les urnes. Mais le conquérir n’est pas suffisant, il faut le garder et pour ce faire, il faut donner des réponses économiques et sociales concrètes pour sortir le pays de la crise profonde qu’il vit depuis des années. A ce niveau, certaines formations politiques expliquent le déficit des entreprises publiques par la mauvaise gestion. Des dysfonctionnements qui peuvent être corrigés facilement, selon eux. Autrement dit, ils s’opposent à leur privatisation. La lutte contre la corruption est l’un des mécanismes que proposent certains candidats pour appuyer leur thèse selon laquelle la gestion des entreprises publiques est possible à condition d’éradiquer la corruption. La question de l’Aleca, est une ligne de démarcation extrêmement importante. Les grands acteurs libéraux sont en faveur de cet accord avec l’Union européenne. Peut-on se passer d’un accord avec l’UE ? A mon avis, non. Mais sous quelles conditions ? Ceux qui vont mener les négociations ce sont les politiques. En fonction de leurs convictions, ils peuvent accepter ou pas certaines clauses de cet accord. Le volet économique est donc extrêmement important.
Les politiques publiques, les choix économiques intéressent-ils les électeurs dans leur majorité ?
Oui mais pas dans les détails. L’électeur vote en fonction de son milieu social et non en fonction d’une offre politique. Le choix se fait par rapport à des questions identitaires, sociales et en dernier lieu, économiques. Les classes les plus populaires dans les pays de l’Europe de l’Ouest peuvent voter pour la droite et l’extrême droite. Ce n’est pas une spécificité tunisienne de ne pas se préoccuper des volets économiques des programmes électoraux. Un électeur vote pour la question identitaire, sécuritaire, pour un candidat qui a réussi à imposer un profil. Un candidat qui a imposé une image d’incorruptible. Certains candidats considérés comme incorruptibles, recueillent des intentions de vote extrêmement importantes. Alors qu’ils sont loin d’êtres des hommes d’Etat.
Nombreux sont ceux qui appellent à réformer le système politique, qu’en pensez-vous ?
Imaginons qu’on réforme le système pour qu’il y ait un exécutif plus fort. C’est-à-dire réformer le système vers un régime présidentiel. Un exécutif ne peut gouverner qu’à travers des lois. Lesquelles lois doivent passer devant une assemblée, par le pouvoir législatif. Si le pouvoir exécutif est élu directement au suffrage universel et n’a pas une majorité à l’Assemblée, il ne pourra jamais faire passer ses lois et donc ne pourra pas gouverner. Le régime tunisien n’est pas parfait. Mais la question n’est pas liée à la répartition des pouvoirs dans la Constitution ou au mode de scrutin. Si Nida Tounès depuis 2014 avait préservé jusqu’à 2019 ses 86 députés, la Tunisie aurait connu une période de stabilité et beaucoup moins de problèmes et de crises tout au long de ces cinq dernières années. Autrement dit, si les partis politiques ne sont pas capables de préserver leur unité et leurs sièges, le problème sera toujours le même sous un régime présidentiel, présidentialiste ou parlementaire.
Avec les problèmes qui ont fini par faire imploser Nida Tounès depuis 2014, même avec une majorité absolue de 150 députés sur 217, la Tunisie aurait connu les mêmes périodes troubles. Donc les défaillances se situent au niveau des organisations partisanes et non pas au niveau des règles qui régissent le régime politique. A l’exception du bloc parlementaire Ennahdha, quel est le groupe parlementaire qui est resté uni et a conservé l’ensemble de ses élus depuis 2014 à ce jour ? Le problème provient de la discipline partisane beaucoup plus que du système politique. C’est toujours le gouvernement d’une majorité qu’elle soit présidentielle ou parlementaire qui gouverne.
Si on comparait les paysages politiques de 2014 avant les élections et le paysage actuel, que diriez-vous ?
Il existait un clivage avec lequel on pouvait prédire depuis l’été 2014 ceux qui allaient passer au second tour. Les forces d’un côté et de l’autre étaient presque homogènes. Feu Béji Caïd Essebsi a eu la magie de réunir des courants antagonistes. Aujourd’hui la configuration est totalement différente. Tout le monde veut être le leader de ce camp moderniste et séculariste. Tous les prétendants savent que ceci serait possible par la conquête du poste de président de la République. Si un candidat gagnait les élections présidentielles, la plupart des adversaires de la même famille politique s’effaceraient pour ledit gagnant. C’est une règle de sociologie électorale. Si quelqu’un gagne la présidentielle, les législatives connaîtront un vote d’adhésion, pour l’un ou l’autre candidat. Les majorités parlementaires seront plus cohérentes après les élections présidentielles. En Tunisie, c’est la première fois que l’élection présidentielle devance les législatives. En 2014, le processus électoral était inversé.
Parlons du populisme, un courant à la mode dans le monde et qui a fait son apparition en force en Tunisie, que pouvez-vous en dire ?
Je crois que le populisme est une réponse des électeurs. En Tunisie, nous avons vu l’émergence de deux candidats populistes. Le populisme, c’est une réponse à la défaillance de l’Etat. Le populisme a conquis le pouvoir dans certains pays européens pendant les années 20 et 30. L’Italie avec le fascisme et l’Allemagne avec le nazisme. L’Italie sortait de la Première Guerre mondiale. Elle a participé à la victoire de la Première Guerre mondiale mais n’a rien récolté. Résultat de la crise économique, l’émergence de Benito Mussolini. La crise de 29 a donné Hitler. La montée du populisme au niveau mondial aujourd’hui a commencé principalement avec la crise des subprimes en 2008. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’il y a une crise économique et sociale dans n’importe quel pays, on voit d’émergence d’un courant populiste qui peut gagner le pouvoir assez facilement. La crise économique et sociale en Tunisie fait dire aux électeurs que les politiques sont tous pareils et tous pourris. Toute la classe politique est donc à dégager. Mécaniquement, on se met à la recherche d’une personnalité, d’un personnage, d’un programme politique, d’une identité, d’un profil politique atypique qui ne ressemble en rien à la classe politique qu’on veut dégager. Ce n’est pas pour rien que deux principaux candidats populistes aujourd’hui ne portent pas de cravate.
Marzouki ne portait pas de cravate en son temps, n’est-ce pas ?
Et Marzouki est un candidat populiste aussi bien au cours des élections de 2011 que les élections de 2014. Feu Béji Caïd Essebsi a fait usage de techniques populistes également. Mais d’une autre manière. Quand il a tenu sa réunion populaire à Bab Souika et le prix de la viande a été évoqué, il a bien pleuré devant la foule. C’est une technique populiste. Un leader politique ne pleure pas en public. Mais aujourd’hui on voit l’émergence de ce type de populisme qui représente un risque énorme pour l’Etat, pour la démocratie et pour la stabilité sociale. Parce que l’un des principaux aspects de la théorie du populisme, c’est l’absence du volet programmatique. Aujourd’hui, l’un des candidats propose une «Jamahiriya», comme celle de la Libye. Un des socles du populisme, c’est de s’opposer à l’élite.
Quelle élite ?
Toutes. Il faut lutter contre toutes les élites. Ce sont des candidats antisystèmes par leurs discours qui sont plébiscités par la foule. Le plébiscite est un vote massif pour un candidat qui s’adresse directement au peuple, en contournant les corps intermédiaires. Un candidat populiste se veut un leader qui entretient une relation directe avec ses partisans et qui a ses propres techniques de communication. Un populiste n’a pas de programme. Et, surtout, la pierre angulaire de sa communication, c’est l’opposition frontale avec les élites, qu’elle soit intellectuelle, sociale ou autre. Il entretient ce clivage décisif entre «eux» et «nous». L’électeur quand il se retrouve dos au mur, quand les enjeux deviennent de survie, il vote pour des questions identitaires de premier ordre, je ne parle pas d’islamisme ou d’arabisme. Mais c’est beaucoup plus restreint. L’électeur vote pour sa famille, pour son clan. En Tunisie, il y a un vote clanique, régional, corporatiste. Si la campagne électorale dégénère, on peut très bien voir les électeurs voter sur la base de ces références-là. Je voterai pour celui qui porte le même nom de famille que moi, ou le même nom de famille de la majorité de mon quartier, de ma région. Je voterai pour une personnalité qui sait porter la cravate, ou je voterai pour quelqu’un qui sait comment manger un «mlawi» ou un « keftaji » ou pour quelqu’un qui sait manier le couteau et la fourchette. Ce sont des identités basiques qui ne sont pas très bien développées dans l’esprit de l’électeur. On vote pour soi, pour sa propre identité, cette identité qu’on essaye d’interposer à l’offre politique
Ces candidats populistes qui se disent proches du peuple sont aisés pour la plupart et ne mènent pas la vie du peuple qu’ils prétendent représenter, que pensez-vous de ce paradoxe ?
La dichotomie se situe ainsi : moi je vous appartiens et les autres vous haïssent, vous méprisent, vous ignorent. Donc on réduit les divergences politiques aussi complexes soient-elles et profondes à de petites phrases de propagande, lesquelles par la suite, ne peuvent se traduire en aucun programme politique. La victoire de ces courants risque en effet de nous faire basculer dans une configuration fascisante. Dans la mesure où tous ceux qui ne ressemblent pas au peuple sont les méchants. Or, on parle du peuple comme d’une construction imaginaire politique. Tout en menant des politiques antipopulaires. Aujourd’hui, il y a l’émergence d’un courant néo-populiste, le populisme historiquement avait un aspect «socialisant». On menait des politiques sociales concrètes. Je parle du début du 20e siècle, avant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il y a l’émergence d’un néo-populisme ultralibéral. Donald Trump est l’exemple typique de ce néo-populisme. Tout en parlant du petit Américain, de l’homme ordinaire qui lutte quotidiennement pour nourrir sa famille, le président Américain mène une politique ultralibérale, de protectionnisme de l’économie américaine, certes, par rapport à la mondialisation. Mais à l’inférieur des Etats-Unis, c’est une politique ultralibérale.
C’est paradoxal, ce populisme qui dit défendre le peuple mais mène une politique ultralibérale qui va à l’encontre des intérêts de ces classes populaires ?
Un peuple ne se trompe jamais. S’il fait un choix, c’est qu’il est persuadé que c’est le bon. Et les gens qui luttent pour leur survie, qui ont la vie difficile ne s’intéressent pas au volet économique. Une population ne vote pas pour un programme. Nous avons rarement vu un candidat qui a été élu pour son programme. Quand on évoque les questions économiques, on parle essentiellement de la hausse des impôts, de la cherté de la vie, sans entrer dans les détails. On vote donc principalement pour des questions sécuritaires, identitaires, et on vote pour un candidat qui est à l’extérieur d’une caste politique pour sanctionner cette caste.
Le processus démocratique est engagé en Tunisie mais il est inachevé. Est-ce que le risque de revers, de retour en arrière, existe encore ?
Il y a un risque de perversion. Toutes les démocraties ne sont pas pareilles au niveau de la théorie politique aujourd’hui. On parle de démocratie de façade, on parle de néo-autoritarisme. Exemple, en Turquie, des élections libres sont organisées, personne ne peut le contester. En Russie aussi, un peu moins libres que celles de la Turquie. Mais le régime n’est pas démocratique dans un pays comme dans l’autre. Les libertés publiques sont bafouées. Les opposants sont jetés en prison, les intellectuels, les journalistes également. Il y a une mainmise d’un seul parti sur l’appareil de l’Etat. Ceci représente un risque majeur que court la démocratie tunisienne. A l’image de la Turquie, de la Russie et de certains pays de l’Europe de l’Est, la Hongrie notamment. La démocratie ne peut se réduire à une procédure électorale. Concrètement, la conquête du pouvoir ne pourra se faire qu’à travers les élections. Mais ce n’est pas suffisant. La démocratie est-ce uniquement l’organisation d’élections ? Je ne crois pas. Aujourd’hui, la faiblesse du pouvoir exécutif est un risque pour la démocratie tunisienne. De même, une démocratie qui n’apporte pas de réponses aux problèmes socioéconomiques des citoyens peut dégénérer en une dictature, ou en un régime autoritaire.
Il y a des garde-fous en Tunisie pour empêcher ce retour en arrière. Les institutions bien qu’inachevées sont en mesure de protéger la démocratie naissante, qu’en pensez-vous ?
Les institutions sont extrêmement importantes mais quand on rejette un système, on le rejette avec toutes ses instances. La vraie préservation de la démocratie, qui est une théorie politique libérale, se traduit par un système économique capable de répondre aux attentes de tous. Aujourd’hui, les laissés-pour-compte ont le droit de vote. Et ceux-là ne votent pas, c’est vrai. Mais ils peuvent demain voter. Aujourd’hui, nous avons 1 million et demi de nouveaux inscrits, de nouveaux électeurs. On ne sait pas pour qui ils vont voter. Le populisme plaît à des couches sociales qui n’ont voté ni en 2011 ni en 2014, elles peuvent très bien voter en 2019. Et certainement, elles ne voteraient pas pour les représentants du système. La démocratie est une construction qui doit être protégée par les institutions, par l’Etat. Mais c’est aussi un régime qui doit être protégé par la culture politique des acteurs, par un système économique équitable. Ces couches sociales, on le sait bien, les questions des libertés importent peu. En revanche, les attentes socioéconomiques sont nombreuses.
Pouvez-vous nous décoder l’échiquier politique tel qu’il se présente ?
Le clivage qui traverse la scène politique est essentiellement sociétal avant d’être économique. La mouvance conservatrice d’un côté, la mouvance libérale de l’autre.
Donc au niveau de l’unité intellectuelle «idéologique», on a bien une droite et une gauche mais à l’intérieur de cette gauche qui est unie au niveau du sécularisme, de certaines valeurs sociétales, cette gauche est divisée sur plusieurs questions économiques, comme l’interventionnisme de l’Etat, comme la gestion de l’héritage de l’ancien régime, qui sont autant de questions qui divisent les franges de la gauche. Pour ce qui est de la gauche, on ne peut vraiment pas parler d’une famille. En revanche, dans la famille conservatrice, pour être plus précis, les islamistes, les quelques voix discordantes qu’on entend par-ci par-là ne touchent pas à l’unité centralisée de cette famille. Par contre, à l’intérieur du camp séculariste, les clivages sont si nombreux que le camp est éparpillé. S’ajoutent à cela les ego surdimensionnés. Tout le monde veut être calife à la place du calife. Le grand calife étant décédé au mois de juillet dernier. On pourra en somme résumer cette scène politique en trois axes/clivages principaux : démocrates/autoritaires, étatistes/libéraux et islamistes/sécularistes. Ce sont ces trois paires qui définissent grosso modo les différentes actions et interactions de l’ensemble des partis politiques tunisiens.