
En proposant une sélection de cinq courts-métrages, de fiction et documentaires, à la diffusion sur une période prolongée dans plusieurs cinémas classiques à La Marsa, Bizerte et Tunis, “5/5” teste l’appétence du public tunisien pour un format souvent plus audacieux et resserré, qui interroge autant les formes que les sujets.
La Presse — Le court-métrage tunisien, souvent relégué aux festivals, tente aujourd’hui de retrouver une visibilité durable dans les salles de cinéma locales. Le projet “5/5”, lancé en mai dernier, constitue une initiative ambitieuse pour bousculer les circuits traditionnels de diffusion et offrir au format court une place plus visible et plus accessible au grand public.
Historiquement, les salles de cinéma tunisiennes ont quasiment cessé d’intégrer les courts-métrages dans leur programmation régulière. Le système du pré-programme, où un court métrage précède un long, a disparu. Cette situation crée un véritable défi : bien qu’il y ait des écrans pour les courts-métrages en Tunisie sous forme de séances spéciales, de festivals ou une programmation à la cinémathèque et aux cinéclubs, ils restent insuffisants pour assurer une diffusion stable et commerciale. Le format est alors condamné à rester confiné à une bulle festivalière, avec une visibilité proprement cinéphile très limitée en dehors de ce circuit, sans une véritable rencontre avec le large public.
Diagnostic et propositions
Le projet “5/5” proposé la semaine dernière, par son instigateur Habib Trabelsi, entrepreneur culturel, se veut une réponse à ce vide. En proposant une sélection de cinq courts-métrages, de fiction et documentaires, à la diffusion sur une période prolongée dans plusieurs cinémas classiques à La Marsa, Bizerte et Tunis, “5/5” teste l’appétence du public tunisien pour un format souvent plus audacieux et resserré, qui interroge autant les formes que les sujets. Ce projet constitue une première tentative structurée et commerciale de diffusion du court-métrage, avec des séances payantes dans des cinémas reconnus.
Avant “5/5”, des initiatives, comme “Ksayer w Yhayar” dans ses deux versions, avaient déjà amorcé cette dynamique de diffusion régulière du court-métrage en Tunisie. Ces projets ont montré qu’il est possible d’installer des rendez-vous cinématographiques dédiés à ce format, mais ils soulignent aussi la fragilité du réseau de diffusion actuel.
Pour que le court-métrage tunisien trouve enfin une place pérenne sur les écrans locaux, il manque encore un réseau de diffusion structuré, régulier et rentable. Ce réseau pourrait s’appuyer non seulement sur les salles de cinéma, mais aussi sur une intégration plus systématique à la télévision nationale, ainsi que sur le développement de plateformes numériques.
“5/5” et “Ksayer w Yhayar” démontrent qu’il y a un potentiel et un intérêt pour le court-métrage, à condition que les acteurs culturels, les exploitants et les institutions s’engagent collectivement pour soutenir ce format et l’inscrire durablement dans le paysage audiovisuel tunisien.
Ce que 5/5 propose…
La sélection de “5/5” reflète la richesse et la diversité des regards portés sur la Tunisie contemporaine. Le film “Frida” de Mohamed Bouhjar aborde un sujet social fort à travers le portrait d’une institutrice qui se heurte aux résistances conservatrices lorsqu’elle tente d’introduire la mixité en classe. Ce drame intime met en lumière les tensions entre tradition et modernité dans une société en mutation. Dans “Nhar El Keratin” de Sami Tlili, un salon de coiffure pour hommes devient un microcosme où s’expriment des rapports de genre, des codes sociaux et des silences lourds de sens. L’irruption d’une femme dans cet espace masculin bouleverse ces équilibres, offrant un regard subtil sur les dynamiques sociales tunisiennes.
“Le Monde est petit” de Bilel Bali propose une satire sociale rythmée et urbaine, croisant les trajectoires de personnages obsédés par l’argent, où l’humour noir souligne les absurdités de la société de consommation. Le documentaire “El Casino”, réalisé par Wala Eddine Tlili et Rouaa Tlili, fait revivre la mémoire d’un lieu mythique, le Casino d’Hammam-Lif, qui fut autrefois un haut lieu de culture avant de sombrer dans l’oubli. Ce film sensible mêle nostalgie et réflexion sur le passage du temps.
Enfin, “Ça roule” de Jamil Najjar suit une famille en route vers Zarzis pour les vacances. Avec humour et tendresse, ce court-métrage fait dialoguer paysages tunisiens et émotions humaines, esquissant une chronique douce-amère du quotidien.
Cette programmation met ainsi en lumière la pluralité des voix et des styles du court-métrage tunisien, confirmant son rôle essentiel dans la représentation d’une société vivante et complexe.