
En Tunisie, les entreprises commencent à adopter les rapports ESG, mais le défi est désormais d’aller au-delà de la simple conformité. Accompagnées par des experts comme la Pr Sana Arfaoui, elles sont invitées à intégrer pleinement les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leur stratégie, pour construire une culture d’entreprise durable, transparente et engagée.
La Presse — En Tunisie, malgré un contexte économique et institutionnel complexe, certaines entreprises pionnières se distinguent en publiant leurs premiers rapports Environmental, Social, and Governance (ESG). Cet exercice, encore relativement récent, témoigne d’une volonté affirmée de s’aligner sur les standards internationaux et de répondre aux attentes croissantes des parties prenantes.
Un vrai changement de posture
Cependant, la publication de rapports ESG ne saurait se réduire à une simple formalité. Elle appelle désormais à un passage décisif : celui de la déclaration à la transformation. À mesure que ces rapports se multiplient, la question de leur pertinence, de leur rigueur méthodologique et de leur capacité à produire un impact réel devient centrale. L’objectif est non seulement de faire preuve de transparence, mais aussi de démontrer comment les entreprises intègrent concrètement les enjeux ESG dans leur stratégie et leurs opérations. Ce changement de posture implique une démarche plus approfondie.
Il ne s’agit plus seulement de produire un document esthétique ou descriptif, mais d’initier un processus structuré et sincère d’analyse. Il devient essentiel d’identifier ce qui est mis en avant, ce qui est passé sous silence, et surtout les leviers d’amélioration à moyen et long terme. Coconstruire une stratégie de durabilité cohérente suppose donc la mise en place d’indicateurs robustes, vérifiables et porteurs de sens.
Dans cette dynamique, Pr Sana Arfaoui, spécialiste des questions de diversité, d’équité, d’inclusion et de responsabilité sociétale, partage les résultats d’un travail de terrain mené récemment. Ce travail a permis d’analyser les rapports ESG déjà publiés, d’évaluer les expertises disponibles en Tunisie et d’identifier les besoins spécifiques des entreprises. C’est sur la base de ces constats qu’un webinaire a été conçu, avec une double ambition : sensibiliser les acteurs économiques aux fondements de l’ESG et les accompagner vers des pratiques plus crédibles, plus stratégiques et plus impactantes.
Ce webinaire, pensé comme un espace d’échange et d’apprentissage, s’appuie sur l’analyse des premières pratiques locales, met en lumière les lacunes les plus fréquentes et propose des recommandations concrètes. L’une de ses finalités est de faire émerger une vision partagée et structurée du reporting ESG, susceptible d’orienter les entreprises, mais aussi les institutions, vers un référentiel national commun.
Sana Arfaoui a expliqué par la suite que l’objectif est de favoriser l’émergence d’une culture ESG en Tunisie, fondée sur la transparence, la cohérence et la responsabilité. Il s’agit aussi de créer une communauté de pratiques, un réseau d’acteurs engagés dans une logique d’amélioration continue, capable de faire évoluer les normes internes et de répondre aux exigences des marchés internationaux.
Lors de son intervention, Pr Arfaoui a relevé un point révélateur : bien que le baromètre « Miqyes » présenté récemment ait mis en avant des dimensions économiques et sociales importantes, la dimension de la gouvernance en était totalement absente. Ce silence est significatif. Il illustre une forme de gêne persistante autour de certaines données sensibles, notamment en matière d’écarts salariaux ou de pratiques de gouvernance interne. Or, sans transparence sur ces aspects fondamentaux, il devient difficile de bâtir une stratégie ESG crédible et complète.
Face à cette réalité, une prise de conscience collective s’impose. Il ne suffit plus de répondre à des exigences de conformité ; il faut inscrire la durabilité au cœur même du modèle économique. Cela passe par des actions concrètes, des indicateurs fiables, un pilotage rigoureux, et surtout par un engagement sincère à tous les niveaux de l’organisation, a-t-elle conclu.