
Dans le cadre de « Regards cinématographiques » tenus sur deux jours, organisés par le Festival international de Hammamet, en partenariat avec le Syndicat indépendant des producteurs et des réalisateurs, le dernier opus de Habib Mestiri, dont la première a eu lieu le mercredi dernier, sortira en salles le 17 septembre prochain.
La Presse — « Wed », du réalisateur Habib Mestiri (« Vagues brisées » et « Les Semblables ») est un film politique sur le militantisme de gauche et ses conséquences. Projetée précédemment dans la section Horizons du cinéma tunisien aux JCC 2023, cette production low cost — autrement dit avec des bouts de ficelles — a rencontré le public cinéphile en première aux Jardins des arts du Centre culturel méditerranéen de Hammamet.
« Wed » (Affinités/ Liens) est une adaptation très libre du roman « Le dernier rêveur » de Mustapha Ben Ahmed, ex-président du bloc parlementaire de Nida Tounes à l’Assemblée nationale. C’est l’histoire de Khalil (Ahmed Ben Saâd), journaliste de gauche qui a perdu jeune ses parents et est adopté par une voisine Douja (Najwa Miled) qui le dorlote comme s’il était son fils. Ne voulant pas abandonner ses idéaux, il en paie le prix en subissant l’oppression de l’appareil sécuritaire représenté par Yahia (Jamel Madani) qui le torture et l’humilie pour qu’il se remette au droit chemin.
Accusé à tort de complot contre l’Etat, il continue à mener un combat acharné contre le système qui cherche à se débarrasser de lui, le poussant au suicide. Vivant dans un trauma permanent, il imagine l’existence d’une femme « Han el Wed » qui lui adresse des missives l’avertissant continuellement des dangers qui mettent sa vie en péril. Son ami et complice Ould el Aifa (Taoufik Gharbi) tente de lui venir en aide pour le sauver de sa détresse, mais sans grand espoir.
Avec « Wed », Habib Mestiri renouvelle son expérience de l’adaptation littéraire, ce qui est rare dans le cinéma tunisien. Auparavant, il a adapté « Les Semblables », roman de Mohamed Nacer Nefzaoui, en s’intéressant notamment à l’histoire contemporaine de la Tunisie et particulièrement la Gauche qui a connu de multiples désillusions et défaites.
La fidélité au roman de Mustapha Ben Ahmed reste précaire en raison du budget limité du film. Habib Mestiri a essayé de condenser l’histoire au maximum.
Il a surtout filmé dans des espaces fermés avec, toutefois, quelques prises à l’extérieur afin d’enrichir la narration avec des images d’archives permettant de situer l’époque à laquelle se déroulent les événements, à savoir les années 70 à 90 où la chasse aux sorcières était à son apogée et durant lesquelles les activistes et les intellectuels ont subi répressions et persécutions.
Le décor important dans le film symbolise l’appartenance au mouvement (photos de Che Guevara et Mahmoud Derouiche), ainsi que la peur et l’angoisse (sculptures fantasmagoriques signées par l’artiste plasticienne prometteuse Leila Rokbani) ou encore les images floutées de « Han el Wed » (d’après une chanson de Mohamed Abdelwaheb), des apparitions qui offrent une dimension onirique à ce drame. « Han el Wed » représente pour Khalil une figure obsessionnelle de l’espoir, un idéal insaisissable qui lui échappe continuellement.
Dans sa quête idéologique sans lendemain, Khalil se trouve pris en étau entre un pouvoir répressif et un idéal difficile à réaliser. « Wed » est un témoignage fort, mais malheureusement tronqué sur l’histoire d’une époque qui aurait sans doute nécessité plus de moyens pour en faire une œuvre d’une dimension ample et intense. Mais déjà le mérite de Habib Mestiri est de vouloir échapper à des attentes narratives classiques en concoctant un récit qui invite à une plongée dans un monde où la liberté d’expression est condamnée.