Et si l’intelligence artificielle était une bonne nouvelle ? Une question que se pose Idriss Aberkane, auteur de « Libérez votre cerveau » et de « L’âge de la connaissance », pour faire le tour d’une thématique qui cartonne à l’échelle internationale et qui interpelle aussi bien les grands politiciens que le commun des mortels.
L’intelligence artificielle ou la ( IA) excède sa définition algorithmique ou sa seule capacité à consolider et développer le progrès scientifique et technologique pour s’avérer une arme à double tranchant : elle se veut une substitution de la « physiorithmie » ( une notion inventée par Aberkane pour désigner tout système régi par quelque chose de vivant ) bien qu’elle s’en serve de modèle d’origine pour avancer sûrement vers une plus grande performance et acquérir une certaine autonomie.
Une bonne nouvelle ? Une menace ? Ou un moyen pour développer des secteurs stratégiques tout en conservant, intacte, la capacité humaine et celle naturelle d’une manière générale ? La question est loin d’être tranchée à coup sûr…
Aberkane informe une assistance venue massivement à sa conférence, — laquelle fut tenue lundi dernier à Tunis, grâce à l’initiative du Centre des jeunes dirigeants ( CJD ) et de la Fondation Konrad Adenauer —, que la genèse de l’IA n’avait rien d’inoffensif. Aujourd’hui encore, les grandes sociétés internationales du monde digital continuent à travailler ardument pour hisser le niveau des demandes et des offres de l’IA au détriment de tout ce qui relève de l’intervention humaine ou naturelle, à savoir l’intervention du vivant. Certes, l’équation Artificiel divisé par l’Intelligent demeure à son stade faible, ce qui sert l’intelligence naturelle au détriment de l’artificiel. Cependant, les manches continuent à se retrousser pour accélérer le rythme d’une avancée technologique — et donc d’une intelligence artificielle — afin de rendre la capacité du vivant la plus obsolète qu’il soit. « Nul n’en doute : tout ce qui relève de l’action humaine est jugé comme étant plus performant et plus précieux que le produit machinal. Or, l’IA aspire à automatiser l’esprit », indique le conférencier.
La pertinence humaine : le garant de l’humanité
Il faut dire que la genèse de l’IA remonte à la Seconde Guerre mondiale. L’objectif, pour les décideurs du sort mondial, en ces temps-là, était d’automatiser les décisions touchant à l’universel et surpasser, ainsi, l’hésitation qui finissait, à chaque fois, par entraver aux attaques nucléaires. « Les Soviétiques et les Américains ont su faire preuve d’unanimité quant à l’importance vitale de la décision humaine. Et pour preuve, en 1979, Brzezinski Zbigniew, conseiller diplomatique aux USA, avait reçu au beau milieu de la nuit une alerte sur une éventuelle attaque soviétique via l’envoi de 2.000 missiles sur l’Amérique. La réaction serait d’attaquer Moscou, mais il a bien hésité à donner l’ordre pour déclarer une guerre qui risquait de raser une bonne partie de la planète. Quelques minutes après, il avait été informé qu’il s’agissait, maladroitement, d’une fausse alerte. Il s’agissait, tout bêtement, d’un exercice de simulation, d’un jeu auquel s’adonnaient les colonels pour apprendre l’ABC du Game War et qui n’avait pas été déconnecté après avoir terminé le jeu », explique Aberkane. Autre exemple qu’il ne manque pas de citer : c’est la décision qu’avait prise le russe Stanislay Petrov, chargé jadis de la tour de contrôle soviétique lors des conflits entre l’Otan et la Russie. C’était en 1984. Il avait, en effet, remarqué une vingtaine de missiles prêts à attaquer Moscou. «Ce grand monsieur a sauvé la vie de l’humanité. Il a trouvé invraisemblable le fait d’attaquer un pays imposant comme la Russie par une vingtaine de missiles ! Et au lieu de se hasarder à donner le signal d’alerte, il a pris son temps pour vérifier. Les missiles qu’il croyait percevoir, poursuit Aberkane, n’étaient autres que des manifestations climatiques. Aussi, et après avoir été puni à cause de sa décision qui émanait pourtant d’une sagesse et d’un sens profond de la préciosité de la vie humaine, fût-il, par la suite, décoré pour acte héroïque, et par les Américains et par les Russes ». Manifestement, les décisions vitales ne doivent aucunement émaner d’une action purement machinale et automatique. «L’humain reste pertinent pour tout ce qui relève des décisions à impact grave, voire vital», conclut-il.
Cela dit, l’Intelligence Artificielle peut être considérée comme étant une bonne nouvelle pour l’humanité, dans la mesure où elle concrétise les rêves technologiques auxquels aspirent les férus de science-fiction. Aberkane n’hésite pas à remonter dans le temps pour constater que les plus grandes technologies de la Nasa dans les années 60 étaient insignifiantes en comparaison avec les smartphones que nous utilisons actuellement, à longueur de journée ! «Il était même impensable que n’importe quelle personne puisse avoir, un jour, un petit appareil dans sa poche qui lui permettrait d’accéder à des données internationales, de se connecter avec n’importe qui dans le monde et de bénéficier d’une multitude de liens et de logiciels ô combien complexes », remarque-t-il. Il s’agit, à son sens, d’une véritable révolution qui — et à l’instar de toutes les révolutions dans tout domaine — passe, inéluctablement par trois phases : le ridicule, le dangereux et l’évident. « Il n’existe aucun contre-exemple là-dessus. Toute révolution est perçue, d’abord, comme étant une idée ridicule et ce sont les maîtres du domaine en question qui sont les premiers à semer le doute, à dévaloriser la révolution et à mettre le bâton dans les roues. D’ailleurs, du moment où l’idée ou le projet n’est pas perçu, à ses débuts, comme étant ridicule, il a moins de chance d’être pertinent. Le contraire n’est pas évident », souligne le conférencier. D’ailleurs, le PC n’impressionnait point IBM qui le trouvait inutile. Thomas Edisson, quant à lui, ne croyait pas à l’utilité du courant alternatif… « Or, ce qui est ridicule aujourd’hui sera évident dans quelques années », affirme –t-il. Il prend pour exemples quelques avancées de l’IA comme le fait de créer une fausse vidéo, ou encore d’écrire via l’e-mail une lettre qui userait du style d’écriture, des fautes d’orthographe et du vocabulaire d’une personne décédée et de l’envoyer comme provenant d’elle… Ce qui est certain, c’est que l’IA est dotée d’une capacité grandiose, sauf que ses capacités restent régies par l’Humain !
La physiorithmie : l’imbattable ambiguïté
Le rapport Artificiel divisé par l’Intelligent reste donc à un stade faible. Ce résultat revient essentiellement à la suprématie, jusque-là, de l’Humain sur la machine. Mieux encore, il s’agit de l’avancée de tout ce qui est naturel sur ce qui est machinal. Le secret de cette primauté réside dans la capacité et de l’humain et de l’animal à percevoir l’ambiguïté, ce qui est loin d’être le cas de la machine ou de l’IA. Certes, cette dernière s’avère être nettement plus rapide que le naturel. Aberkane indique que l’IA est capable de donner la mort à mille milliards de personnes au bout d’une seconde. Toutefois, il est difficile pour un robot d’assimiler la composition, voire de préparer une mayonnaise ! « Les caméras de surveillance les plus développées sur le plan technologique ne valent pas la rétine d’un rat ! Mieux encore, le vivant — humain soit-il ou animal — est doté de la capacité de survie. Un chien peut survivre dans un désert. Mais l’IA, en revanche, est dépourvue de toute autonomie. D’ailleurs, cette performance inégalée du vivant — fondée aussi bien sur la capacité de comprendre et d’assimiler l’ambiguïté et de survivre — le rend plus précieux que l’IA bien qu’il soit largement moins rapide qu’elle », explique Aberkane. Pour éclairer davantage l’assistance sur ce point, le conférencier prend pour exemple les photos d’identité que l’on recommande pour les passeports ; des photos qui doivent être « neutres », sans sourires ni grimaces, afin que le système informatique puisse les identifier alors qu’une personne reconnaît une autre même si l’autre personne porte des lunettes de soleil. Manifestement, seul le cerveau humain — et celui animal — sont capables de gérer l’ambiguïté.
Soit ! Néanmoins, les décideurs du monde restent unanimes sur les perspectives de l’IA comme fondement d’un futur plus performant et plus au diapason des enjeux mondiaux. Pour Vladimir Poutine, « L’IA est le futur, non seulement pour la Russie mais pour tout le genre humain (…) Le leader de ce domaine sera le maître du monde ». Aberkane a la ferme conviction que nous assistons à une véritable « course mondiale à l’IA ». Mieux encore : « Un pays sans IA est un pays menacé », juge-t-il. Il cite Napoléon pour qui la force d’une armée consiste en le jumelage de la masse et de la vitesse. Pour Aberkane, la décision s’avère être beaucoup plus importante que ces deux propriétés.
L’IA au service de l’Humain
Dans d’autres secteurs, moins dangereux certes que le champ de bataille mais tout aussi importants pour l’avenir de l’humanité, l’IA peut être considérée comme une «bonne nouvelle». Elle jouerait un rôle imposant dans la médecine chirurgicale ou encore dans la radiologie ; des domaines de pointe dans lesquels la rapidité et la pertinence de l’IA seraient recommandées et apporteraient, certainement, le plus. Le conférencier prend pour exemple l’expérience rwandaise, laquelle consiste à utiliser des drones comme livreurs de médicaments à domicile pour les personnes séniles et incapables de se déplacer.
Pour finir, la réponse à la question principale est résolue : l’IA puise sa performance de son avancée technologique, laquelle va crescendo, grâce à l’Humain, mais aussi de sa rapidité. Elle peut être considérée comme une « bonne nouvelle », un atout pertinent dans plusieurs domaines de pointe sans pour autant prendre le dessus sur l’Homme sauf si ce dernier s’acharne, bec et ongles, à se faire substituer par la machine pour le bien du commun des mortels. L’IA ne doit aucunement décider automatiquement du sort de la Planète. Mieux vaut donc préserver la décision humaine pour tout ce qui relève du sort mondial et communautaire. L’heure de l’IA exige, selon Aberkane, d’orienter la performance humaine vers les secteurs où le manuel a plus de valeur que le machinal.