• Habib Jemli, le chef du gouvernement désigné, entame peut-être la dernière étape de ses consultations en vue de former son prochain gouvernement.
• Malheureusement, il se trouve dans la position délicate de concilier les partenaires potentiels de son équipe ministérielle qui n’arrêtent pas de s’entredéchirer au risque de chambouler le processus même de la formation du gouvernement
Il est un nouveau feuilleton dont personne n’est en mesure de prévoir, pour le moment, la date du dernier épisode et qui accapare l’attention et le suivi des Tunisiens, plus particulièrement les férus de Facebook, qui guettent quotidiennement les petites phrases distillées par les interlocuteurs de Habib Jemli, chef du gouvernement désigné, à l’issue de leurs entretiens destinés à dessiner les contours de la formation du prochain gouvernement.
Et les Tunisiens de découvrir, au jour le jour, en lisant entre les lignes et ces mêmes déclarations et en essayant de savoir à qui elles sont destinées ou redestinées dans certains cas, que Habib Jemli qui peine toujours à convaincre ses partenaires de son indépendance et de sa non-appartenance au parti Ennahdha, s’est trouvé ou on l’a placé dans une position qu’on peut qualifier de délicate, difficile et inconfortable.
En effet, le chef du gouvernement désigné est obligé d’écouter quotidiennement des discours livrés par ses différents interlocuteurs réitérant le plus souvent les conditions qu’ils posent pour accepter de faire partie de son prochain gouvernement, conditions fondées essentiellement sur l’exclusion pure et simple de certains partis avec lesquels il mène des consultations au même titre que les auteurs des conditions d’exclusion
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Ainsi, la coalition Al Karama et Ennahdha répètent-ils à qui veut les entendre qu’ils ne feront jamais partie d’un gouvernement où siégera un ministre appartenant ou coopté par le parti Au Cœur de la Tunisie présidé par Nabil Karoui et disposant de 38 sièges au Parlement, voix qui ont permis à Rached Ghannouchi de remporter la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
L’argument produit par les opposants à la présence du parti de Nabil Karoui au sein du prochain gouvernement est bien l’un des slogans utilisés lors de la campagne législative par Seïfeddine Makhlouf, le porte-parole officiel d’Al Karama, les candidats nahdhaouis à la députation rejoints ou séduits par ceux d’Attayar et d’Echaâb, considérnt qu’il est impossible que «les représentants de la révolution» (titre qu’ils se sont octroyé) traitent avec «les apôtres de la corruption» (qualité qu’ils attribuent aux membres du parti Au Cœur de la Tunisie).
Le dilemme de Habib Jemli
Aujourd’hui, et au moment où Habib Jemli a rencontré pratiquement tous les partis représentés au sein du Parlement (en réservant deux entretiens au parti Au Cœur de la Tunisie), a écouté les approches des organisations nationales (Utica, Unft et l’Utap en attendant l’Ugtt, les avocats et la Ltdh) et a permis à plusieurs personnalités nationales appartenant à divers secteurs (information, monde de la culture et des arts) de faire entendre leurs voix, les Tunisiens se demandent comment va-t-il faire pour réconcilier «les frères ennemis» qui ne ratent aucune occasion pour s’échanger des accusations gratuites, de petites phrases assassines et des allusions dont tout le monde est au fait du contenu.
Pour être encore plus clair, l’on se demande si Habib Jemli va s’astreindre aux déclarations-pressions de Rached Ghannouchi répétant pour la énième fois que le parti Au Cœur de la Tunisie n’est pas concerné par la composition du gouvernement et décider de mettre fin aux négociations qu’il mène avec ses responsables.
Les observateurs ne parviennent pas à comprendre pourquoi le chef du gouvernement désigné a reçu, hier, pour la deuxième fois, une délégation du parti Au cœur de la Tunisie: est-ce pour lui signifier qu’il a pris la décision qu’il n’associera pas leur parti à la formation du prochain gouvernement ou pour leur demander de se tenir prêts à avoir leur part au sein de la future équipe ministérielle comme ce fut le cas lors de la répartition, à la dernière minute, des premiers et deuxième postes de commandement au sein du Parlement?
Certains médias se sont précipités pour affirmer que la marge de manœuvre de Habib Jemli s’est grandement réduite après le rejet catégorique par les autres partis «amis d’Ennahdha» de la présence du parti Au cœur de la Tunisie au sein du futur gouvernement, ce qui va l’obliger à exclure Nabil Karoui et ses lieutenants de ces consultations et répondre aux exigences de Mohamed Abbou en les «adoucissant» et aux caprices de Zouheïr Maghzaoui qui subit lui aussi des pressions de la part de certains de ses lieutenants qui veulent goûter à l’exercice du pouvoir.
Il reste que la tournure des événements, la concordance des intérêts et les calculs partisans ou les exigences de l’heure pourraient réserver des surprises que seuls «les puristes ou les hommes de principes» (au cas où il en existerait encore) considéreront comme inattendues.
Quand Rached Ghannouchi glisse la phrase suivante : «Habib Jemli peut rencontrer tout le monde. Je ne suis pas son porte-parole. Je ne parle qu’au nom d’Ennahdha et nous refusons de participer au même gouvernement qu’Au cœur de la Tunisie» et quand Hatem Mliki, député et membre du bureau politique du parti Au cœur de la Tunisie, déclare: «Rached Ghannouchi peut dire tout ce qu’il veut. Nous ne traitons qu’avec Habib Jemli», il faut comprendre que rien n’est encore fait et il faut s’attendre à toutes «les surprises possibles».
Abdelkrim DERMECHE