Accueil A la une Centres de rétention des migrants : «Ici, je suis… un prisonnier»

Centres de rétention des migrants : «Ici, je suis… un prisonnier»

Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) a rendu public en début de semaine un communiqué dans lequel il appelle le parlement à enquêter sur la présomption de mauvais traitements sur «un groupe de migrants au centre de détention d’El Ouardia». Une demande qui vient à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos de migrants en détresse qui dénoncent les violences physiques et verbales dont ils sont victimes. En décembre 2019, le Ftdes avait publié un rapport alarmant sur la situation du camp de rétention des migrants d’El Ouardia.

«Lorsqu’on m’a autorisé à visiter le centre de rétention d’El Ouardia, j’ai vu des gens terrorisés dans ce qu’on peut facilement qualifier de prison», raconte Amal El Mekki, journaliste qui a préparé le rapport du Ftdes. Dans ce rapport de 87 pages, la journaliste décrit des conditions inhumaines de rétentions de migrants qui témoignent leur incompréhension d’une situation qui leur échappe complètement. A la limite de la légalité, le centre d’hébergement des migrants d’El Ouardia n’a aucune trace dans les sites officiels du ministère de l’Intérieur. Sous la direction exclusive des forces de la garde nationale, ce centre s’apparente, selon la journaliste, beaucoup plus à un centre de détention qu’à un centre d’hébergement.

«Celui qui séjourne ici ne connaît pas exactement sa situation véritable : est-il un détenu ? Non puisque les autorités affirment qu’il s’agit d’un centre d’hébergement. Est-il libre alors? Non, puisqu’il lui est strictement interdit de quitter le centre. D’une manière ou d’une autre, il est donc retenu contre son gré», explique l’avocat  Helmi Toumi.

En réalité, peu d’associations de la société civile sont autorisées à visiter ce centre. En 2016, l’Instance nationale de prévention de la torture (Inpt) a pu constater «des conditions de vie acceptables mais une hygiène moyenne». Pourtant, lorsque Amel El Mekki débarque dans le centre, elle a l’impression que tout est fait pour la recevoir. «J’ai eu l’impression que certains endroits ont spécialement été nettoyés pour m’accueillir», nous explique la journaliste. Ce sont cependant les visages terrorisés des migrants retenus qui vont très vite déconstruire ces artifices.

«J’étais en prison dans mon pays et je me retrouve prisonnier ici aussi, cette situation est moralement exténuante», se confie ainsi un migrant ivoirien.

«Personne ne sait exactement ce qui se passe au centre d’El Ouardia, c’est une situation contradictoire avec la Tunisie post-révolutionnaire», résumé Blamassy Touré, président de l’Association pour le leadership et le développement en Afrique (Alda).

Pour la journaliste, il est évident que le caractère sécuritaire du centre l’emporte largement sur le caractère social et  humain. Dans son enquête, la journaliste a notamment expliqué qu’elle s’est heurtée à l’opacité des autorités et précisément de la  Direction des frontières et des étrangers.

Pour le Ftdes, les vidéos relayées sur les réseaux sociaux ainsi que le rapport qu’il a publié en décembre dernier ne sont que «le reflet de l’incapacité des autorités tunisiennes à développer une stratégie nationale de migration qui respecte les approches humanitaires, les conventions et les chartes internationales». L’organisation fait en outre observer que le centre d’hébergement d’El-Ouardia n’est pas un cas isolé, mais que dans plusieurs régions, les migrants ne sont pas traités conformément aux engagements de la Tunisie en matière de droits de l’Homme.

Prêt depuis 2015, le nouveau projet de loi relatif au droit d’asile en Tunisie n’a jamais été discuté à l’Assemblée. Une situation qui suscite l’interrogation chez les défenseurs des droits de l’Homme.

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