Décidé par le Président de la République, pour affronter l’épidémie de coronavirus, le confinement de la population tunisienne a commencé le 20 mars. Cette période de déréliction a été forcée pour tous les Tunisiens. Afin de comprendre les défis psychiques causés par la pandémie, nous avons interviewé le psychologue Slim Masmoudi, professeur de psychologie cognitive à l’Université de Tunis, Directeur du Centre de carrière et de certification des compétences 4c9 à la Faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, et spécialiste en Intelligence émotionnelle. Nous avons sollicité Docteur Masmoudi sur les effets psychologiques de la situation de confinement sur la population tunisienne face au péril de coronavirus et sur les modalités d’en faire face.
Est-ce que le confinement est une période stressante ?
Naturellement, le confinement peut être une période stressante. La première raison est qu’il peut être vécu comme étant une situation forcée. La deuxième raison est qu’il prive les personnes de la connexion sociale directe, de la connexion avec l’environnement et de la connexion avec les espaces habituels de l’exercice de l’activité, comme le lieu de travail ou le lieu d’apprentissage. En revanche, il s’agit d’une question de perception, une question de représentation. Ainsi, le stress sera dissipé et résolu de manière adaptée si le confinement est vu et conscientisé comme étant une opportunité de développer son épanouissement et sa productivité autrement. Si le confinement est perçu comme l’occasion de renforcer ses liens familiaux, de travailler autrement, de développer ses compétences dans des domaines nouveaux, il pourra se transformer rapidement en une réelle opportunité d’épanouissement et de productivité.
Selon vous, le confinement est-il une stratégie pour ne pas inquiéter la population ?
Le confinement est une disposition sanitaire et non une disposition psychologique. Il faudrait renforcer cette disposition par la communication adéquate et un plan psychologique d’accompagnement afin d’orienter, conseiller et renforcer la résilience des citoyens. Donc, l’inquiétude qui pourrait être causée par le confinement peut être allégée de manière significative par cet accompagnement. Par conséquent, le confinement a des conséquences mentales. En effet, « l’enfermement » pourrait causer l’accentuation des états d’anxiété, de peur, de stress, de tristesse. Conscientisé de manière positive, avec une centration plus substantielle sur ses avantages, « l’enfermement » pourrait être vécu de manière plus adaptée et productive.
Y a-t-il des personnes qui sont plus vulnérables que d’autres ?
Les conséquences mentales seraient sérieuses sur les personnes qui ont déjà des pathologies mentales ou des troubles du comportement. Ces personnes peuvent montrer une aggravation de leurs états, nécessitant évidemment une prise en charge, même à distance, par les spécialistes. Les autres personnes vulnérables qui pourraient être plus exposées aux risques psychologiques causés par le confinement sont les adolescents et les personnes les plus âgées. Les conséquences mentales seraient moins sérieuses sur les autres personnes psychologiquement saines. Cela dit, l’impact psychologique du confinement est différent entre les personnes selon leurs ressources affectives et la qualité de leurs connexions sociales dans la famille et dans la communauté. Les personnes les plus vulnérables sont les personnes qui trouvent une difficulté à s’autoréguler, c’est-à-dire trouver un équilibre entre les idées, les émotions et les motivations. Chasser les idées fausses, maintenir des émotions positives et garder des motifs utiles, aide énormément à supporter le confinement et même la pandémie en général.
Comment encadrer les enfants durant la période de confinement ?
Les enfants sont plus résilients à la situation de confinement et plus aptes à faire face à l’enfermement. Le confinement avec les enfants est une opportunité exceptionnelle pour renforcer les liens sociaux au sein de la famille et pour répondre à leurs besoins psychologiques de base, à savoir la compétence, l’autonomie et la connexion sociale avec les autres membres de la famille et les besoins sociaux les plus importants, tels l’accomplissement, l’affiliation, l’intimité et le pouvoir. Pour répondre à ces besoins au cours du confinement, il est important que les parents transforment ce dernier en une réelle occasion pour développer l’autonomie et le bien-être des enfants. A travers des activités participatives (raconter l’histoire de la famille, dessiner ensemble, faire une activité sportive ensemble), nous pouvons aider nos enfants à sortir plus forts et épanouis du confinement.
Comment justement communiquer avec les enfants dans cette période?
L’opportunité offerte par le confinement est justement d’avoir le temps d’écouter les émotions et les idées des enfants, de développer des activités avec eux, de prendre le temps de discuter avec eux et surtout de les accompagner dans l’assouvissement de leurs besoins psychologiques et sociaux. Nous, adultes, avons besoin de développer plus notre écoute et notre bienveillance auprès de nos enfants. C’est vraiment l’occasion de renouer des liens épanouissants et productifs nous permettant de renouveler nos liens et rénover nos échanges. Parler aux enfants de manière empathique, bienveillante, avec un registre lexical moins chargé de stress et de mots négatifs et plus chargé en lexique positif, encourageant à l’autonomie et à la collaboration aide énormément à profiter du confinement et à le transformer en une expérience très productive dans leur développement.
Existe-t-il des consultations psychiatriques par téléphone ou par web?
Oui, il existe des consultations psychothérapeutiques ou psychiatriques par téléphone ou par web, organisées gratuitement, essentiellement par les associations et les organisations de la société civile. Ces consultations doivent être impérativement conduites par des professionnels, uniquement en ce temps de confinement. L’identification de ces professionnels par les parents avant la consultation afin de vérifier les titres et afin d’avoir l’attestation de l’organisme est indispensable. En dehors du confinement, les consultations psychologiques nécessitent la rencontre directe et l’entretien face à face.
Pourquoi trop de gens sont-ils indifférents au confinement total et sortent-ils malgré le virus ?
Les gens qui n’acceptent pas le confinement et sortent malgré les consignes strictes sont centrés plus sur leur vulnérabilité que sur leur résilience. Cette vulnérabilité est composée de mécanismes psychologiques de défense non adaptés que la personne utilise comme le déni (le fait de refuser d’accepter des faits réels incontestables afin de ne pas les affronter), ou comme l’humour banalisant des comportements non sécurisés. Elle est composée également de biais cognitifs, qui sont des erreurs de pensée, comme la généralisation, ou comme l’abstraction sélective qui consiste à faire abstraction de beaucoup de faits importants, de n’en prendre qu’un seul et de le considérer comme central. Ces erreurs déforment notre perception de la réalité et induisent des comportements inadaptés. Parmi ces erreurs, nous retrouvons le fait de penser à un crime biologique. La vulnérabilité est composée aussi de ce qu’on appelle les stratégies cognitives-émotionnelles d’autorégulation inadaptées. Parmi ces stratégies inadaptées, nous retrouvons le blâme de soi et le blâme d’autrui, qui sont susceptibles d’augmenter l’anxiété, qui elle-même peut pousser à la gérer de manière inadaptée en brisant le confinement.
Quels conseils pourriez-vous donner ?
Mes conseils se focalisent sur l’instauration des facteurs de résilience nous permettant de faire face à la pandémie d’une manière efficace et de manière qui restaure et garde notre bien-être psychologique. Ces facteurs reposent en grande partie sur l’intelligence émotionnelle et plus particulièrement sur les stratégies cognitives-émotionnelles d’autorégulation adaptées. Mon conseil, de prime à bord, est d’accepter la pandémie en tant que fait incontestable qui peut être géré positivement. Ensuite, il faudra penser d’une manière positive pour se concentrer sur les bienfaits du confinement pour que la famille s’unisse. Se concentrer sur n’importe quelle action pendant le confinement, telle que la finalisation de dossiers en attente, le bricolage, la décoration de la maison, etc. permet d’évacuer le stress et de ne plus penser à l’enfermement. Faire une réévaluation positive de la situation de confinement nous fera du bien. Ceci se fait en voyant ce que cette situation peut amener comme nouveauté à notre vie, comme par exemple un nouveau rythme, des liens plus constructifs dans le couple, des liens plus positifs avec les enfants. Donc, il faudrait saisir cette occasion pour le faire.
Également, mon conseil porte sur la mise en perspective permettant de faire une lecture topographique pour voir plus clair les choses, et surtout pour voir les liens entre les composantes de sa vie. Cette mise en perspective permet de prendre de nouvelles décisions en toute conscience, encore plus productives et épanouissantes. Gardons à l’esprit que toute crise est une opportunité pour changer de paradigme et d’attitude.
En définitive, soyez positifs, consolidez vos liens familiaux, respectez strictement les règles pour sauver les vies de ceux que vous aimez et soyez optimistes. Pour accompagner les citoyens, j’ai conçu un plan psychologique de sortie de la pandémie que j’ai appelé le plan PSYCOVID de sortie de la pandémie et qui vise le renforcement de la résilience des citoyens.
S.A.