Accueil Culture Lehnert et Landrock : des photographes tourmentés par le fantôme de la peinture

Lehnert et Landrock : des photographes tourmentés par le fantôme de la peinture

Il y a 116 ans, Rudolf Lehnert découvrait l’Orient grâce à la Tunisie. Eliane Bernay, la fille de Rudolf Lehnert dira : «En 1903, il se trouve à Palerme et réalise qu’il n’est qu’à onze heures de bateau de Tunis, il s’embarque et c’est la révélation de l’Orient».

Cette «révélation» est à l’origine de centaines de plaques photographiques dont les épreuves inondèrent le marché mondial. De 1904 à 1914, Rudolf Lehnert a ainsi produit une œuvre unique au monde, photographiant Tunis et Alger, les souks et les petits métiers, les oasis du Sud, les sources et les fontaines, le petit peuple de Tunis surtout.

Son art d’inspiration, souvent pictural, se caractérise par la décomposition toujours soignée d’une réalité mise en scène reconstituée avec talent, un don de narrateur et de portraitiste incomparable, la maîtrise totale des effets de lumière, ainsi qu’un goût très prononcé par une sensualité qui n’a strictement rien à voir avec un quelconque «sous-érotisme» colonialiste.

C’est ainsi qu’il photographie les ouled-naïl du Sud algérien et qu’il dénude la femme et les adolescents, lesquels, avec le désert et l’oasis forment le cœur même de l’imaginaire tel qu’il s’exprime dans les nombreux chants de la poésie de l’islam classique.

Cette révélation, une amitié de 25 ans avec Ernst Landrock, le gestionnaire de la société sans lequel rien n’aurait été possible, est donc à l’origine d’une entreprise créée en 1904 à Tunis. L’histoire de ces photographies mérite d’être comptée. Diffusées dans le monde entier sur tous les supports possibles, elles ont peu à peu été oubliées victimes de leur style pictural et de la photographie touristique en couleur. Il a fallu attendre le début des années quatre-vingt, pour que Edouard Lambelet redécouvre par hasard les négatifs sur plaques de verre, dans les réserves de la librairie dirigée par son père qui avait succédé à Landrock.

A la Médina de Tunis, dans une rue, qui, comme bien d’autres, commence et se termine par une voûte, que la vraie histoire commence. A l’entrée de cette rue, se trouvait jadis un fabricant de tamis, en crin pour le blé, en poil de chèvre pour nettoyer la farine ou le café et en alpha pour la semoule. Cet artisan produisait aussi des petits tambourins, avec des figures d’animaux sur la peau et que l’on offrait aux enfants à l’occasion des fêtes. C’est au numéro 7 de la rue des Tamis, tout près du souk el-Attarine, le fameux souk des parfums, que Lenhert et Landrock élisent leur demeure.

Les propriétaires du modeste «Dar Jema’a» ne se doutent pas qu’en 1904 au bout de ce corridor deux hommes sont venus s’installer et qu’ils allaient faire connaître la Tunisie au monde entier.

Selon des témoignages, ce serait même plutôt par hasard qu’après quatre ans de pérégrinations en Europe, et plus particulièrement en Sicile, Lehnert aurait découvert la Tunisie à partir de son séjour palermitain.

En 1904, Rudolf Lehnert se rend en Tunisie pour la première fois, il parcourt le pays, découvre les oasis du Sud et le désert. Il tombe amoureux du pays et plus particulièrement du Sud et de la médina de Tunis.

Dans sa lettre à Roubtzoff de 1922, il l’exprime clairement : «Mon âme est en Tunisie ou encore à Sidi Bou Saïd».

Le 2 juillet 1922, Lehnert quitte Tunis en laissant sur place un représentant guider le stock ou pour maintenir un point de vente permanent. Avant d’aller à Leipzig rejoindre Landrock, il s’arrête encore en Italie.

En 1930, il revient à Tunis, la ville s’est beaucoup transformée. La Première Guerre mondiale semble avoir porté un coup fatal à l’orientalisme romantique du XIXe siècle. L’Art-Déco, qui est désormais à la mode, inspire les architectes à Tunis et dans ses environs. Lehnert survit comme il pouvait !

Alexandre Roubtzoff dira de Tunis : «Cette invasion du ciment armé et du béton, la médina en ruine avec ses cafés maures authentiques… Tunis a beaucoup perdu depuis 25 ans ; ce n’est plus une petite ville calme, tranquille, sympathique. Tunis est devenue une grande ville sans le charme des grandes villes».

Une fois revenu à Tunis, Rudolf Lehnert s’installe d’abord au 22, rue d’Italie non loin des anciens ateliers et des bureaux du passage Bénévent, immeuble élégant avec ses balcons en fer forgé.  Tunis et sa Médina appartiennent désormais à sa mémoire. Cependant, la douceur et la tranquillité de Sidi Bou Saïd vont calmer ses tourments. Il s’installe donc en 1933 dans sa villa de «Sainte Monique» aujourd’hui «Dar Saïda». Du jardin, il a une vue magnifique sur Sidi Bou et Carthage. Sur la colline d’en face, il peut admirer la villa du baron d’Erlanger.

La même date, en 1933, Lehnert ouvre une boutique-studio dans le tout nouveau passage du Colisée donnant sur le 43 et 45 ancien boulevard Jules Ferry, juste à côté du siège de «La Dépêche tunisienne».

En 1939 les deux amis prendront leur retraite. Leurs photos connaîtront un succès mondial et ça sera aussi grâce à eux que la Tunisie et ses paysages brilleront partout dans le monde.

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