Propos recueillis par Ghada Sboui
Durant la période de confinement, un recours assez intensif au travail et à l’enseignement à distance a été enregistré et le trafic d’Internet a augmenté de 40%, affirme le ministre des Technologies de la communication et de la Transformation digitale, Mohamed Fadhel Kraiem. Dans une interview accordée à l’agence TAP, le ministre a mis l’accent sur la nécessité de changer les process de travail, surtout dans les projets technologiques qui ne supportent pas les délais longs, d’autant plus que dans le secteur du digital, tous les 3 ou 6 mois il y a de nouvelles solutions.
Pour Kraiem, la digitalisation est possible tant que le Sponsorship, les ressources, les compétences humaines et la volonté sont là, surtout qu’avec le confinement, le réseau a montré qu’il ne souffre pas de grands problèmes, en plus les citoyens et les entreprises ont changé de comportement puisqu’on assiste désormais à des collaborations entre 4 et 5 ministères via les moyens numériques.
La Tunisie peut-elle garantir la réussite du confinement à travers le développement des e-services (enseignement, banques, commerce…)?
La réussite du confinement est l’affaire de tous. Il y a effectivement le digital qui peut bien aider, mais c’est aussi le résultat du comportement des citoyens et leur application des consignes qui peuvent faire la différence. Beaucoup de sociétés ont pu continuer leurs activités grâce au télétravail. Certaines sont parvenues à assurer 100% de leurs activités, notamment celles opérant dans le secteur des TIC, mais il y a aussi les entreprises qui n’ont pas pu atteindre cet objectif faute de moyens, sans oublier certaines entreprises industrielles, dont la nature de l’activité les oblige à travailler sur place.
Au cours de la période du confinement, un recours assez important au télétravail a été enregistré et la palme d’or revient assurément à l’enseignement à distance qui a été une grande réussite avec plus de 110 mille étudiants, sur un total de 280 mille de l’étatique, qui ont pu accéder aux supports pédagogiques à distance. Entre 11 et 13 mille enseignants ont assuré cette opération à travers la plateforme de l’Université virtuelle de Tunis (UVT). Il y a un mois, seulement 10 mille étudiants utilisaient cette plateforme.
Certainement, il y a un travail à faire au niveau de l’infrastructure, mais tout ce qu’on vient de vivre pendant cette pandémie peut constituer une opportunité pour changer les comportements des entreprises et du citoyen qui s’est habitué, au cours du confinement, à payer ses factures (Sonede, Steg…) via Internet ou à acheter en ligne au lieu de faire la queue.
Quelle est la situation actuelle de notre infrastructure et y a-t-il eu des problèmes au niveau de la plateforme réseau?
Au cours de cette période de confinement et même depuis l’instauration du couvre-feu, on a enregistré une augmentation de plus de 40% du trafic internet sur des réseaux qui n’étaient pas préparés à cette demande et c’est pour cette raison que toutes les réunions tenues avec les opérateurs et les fournisseurs d’accès Internet ont été axées sur les moyens à même de réagir en amont.
Une augmentation du trafic de 40% est possible à gérer mais au-delà de ce niveau, des investissements importants et un travail sur quelques mois seront nécessaires, car le renforcement des capacités d’un opérateur ou d’un fournisseur de 50% ou de 100% nécessite des projets de déploiement d’équipements.
Au début de la première semaine du confinement, c’était un peu difficile mais après les choses ont commencé à s’améliorer. Globalement, notre réseau ne souffre pas de grands problèmes (chute de réseau), mais les professionnels sont obligés de gérer des réclamations par rapport au débit.
Il faut rappeler dans ce contexte que Tunisie Télécom a augmenté la bande passante internationale de plus de 20% (de 100 gigabits) et la capacité des autres opérateurs est déjà suffisante. Nous avons aussi appelé les citoyens à maîtriser leur utilisation d’Internet à travers la non- utilisation d’applications gourmandes en bande passante (gaming, vidéos…), pour favoriser le travail et l’enseignement à distance, sachant que 60% du trafic Internet est consommé dans le gaming, les vidéos et les films.
Pour résumer, je peux dire qu’on a tablé sur une prise de conscience du citoyen dans le sens d’une utilisation responsable d’Internet et on a évité l’utilisation des moyens techniques pour la priorisation du trafic, une option tout à fait envisageable. Aujourd’hui, on n’est pas dans une situation critique, mais si on s’y retrouve, des mesures adéquates seront prises.
La sécurité de l’infrastructure et des données est-elle garantie et quelles mesures avez-vous prises suite au piratage des cartes e-dinar travel?
L’Agence nationale de la sécurité informatique (Ansi) publie régulièrement des notes pour attirer l’attention des internautes sur ce volet et nous avons une cellule de crise qui se réunit tous les jours pour discuter des principaux problèmes et spécialement le volet sécurité car il y a des gens (des hackers, des cybercriminels) qui vont sûrement profiter de la situation de crise.
Je dois rappeler que déjà deux grandes sociétés en Tunisie, sans évoquer de noms, ont subi des attaques et ont enregistré des dégâts qui ont été réparés avec l’aide de l’Ansi et de plusieurs autres acteurs.
Une autre tentative de piratage qui a ciblé environ 780 comptes de la poste tunisienne a été circonscrite très vite, évitant ainsi des dégâts beaucoup plus graves. Les clients ont été crédités avec les montants débités lors de cette opération et on a pu récupérer une partie de l’argent avec la collaboration de partenaires étrangers, et grâce à nos contrats assurance, on pourra percevoir toute la somme.
Pour résumer, je peux dire que nous disposons de tous les moyens qui nous permettent de prémunir notre infrastructure réseau et même nos entreprises. Depuis le début du confinement, l’Ansi a donné aux entreprises le mode d’emploi et les solutions qui peuvent être utilisés pour sécuriser l’accès à distance aux systèmes d’information des sociétés.
Je veux également rappeler que le problème de sécurité ne concerne pas seulement la Tunisie, mais plusieurs autres pays comme l’Italie qui a enregistré une hausse de 10% du nombre d’attaques.
En plus, l’Ansi, qui dispose d’un centre de détection contre les attaques, alerte les entreprises en cas de tentative de piratage. Quant au secteur bancaire, jusqu’à ce jour, aucune attaque virtuelle n’a été signalée.
Quels sont les limites et les freins à la transformation digitale en Tunisie ?
Au cours de la pandémie de Covid-19, nous avons découvert les défaillances de certains secteurs en matière de sécurité, même chose au niveau de la transformation digitale. Il y a certainement des choses qui ont été faites, mais peut-être pas au bon rythme.
Dans ce même ordre d’idées, je tiens à rappeler que la réussite de cette transformation n’est pas l’affaire d’un seul ministère car la résistance au changement existe dans les administrations et les entreprises aussi. Je suis persuadé qu’avec un Sponsorship, un leadership et une bonne gouvernance, les gens vont adhérer.
La preuve en est la collaboration qui existe actuellement dans le contexte Covid-19 entre quatre et cinq ministères, ce qui n’était pas aussi évident avant le confinement.
On ne doit pas oublier aussi le secteur privé qui a contribué à la mise en place d’une grande partie des solutions mises à la disposition des ministères de la Santé, des Affaires sociales ou de l’Intérieur. Il s’agit de solutions réalisées dans le cadre d’un travail conjoint public/privé avec la coopération des organisations de la société civile.
Nous sommes également convaincus qu’il faut absolument avoir des priorités dans la transformation digitale et se concentrer sur des projets qui vont simplifier la vie des citoyens ou des sociétés. Mais il ne faut pas oublier qu’on a des process très lourds comme ceux des achats ou de validation au sein des ministères et des administrations publiques qui nécessitent des semaines, voire des mois et parfois des années de préparation. On ne peut en aucun cas se permettre des délais aussi longs dans les projets technologiques car dans le secteur du digital, tous les 3 ou 6 mois il y a de nouvelles solutions. Si on lance un cahier des charges et on démarre la réalisation de ce projet après un an ou 18 mois, nous serons déjà dépassés.
C’est pour cette raison que notre priorité est de changer nos méthodes de travail, raccourcir les délais, optimiser et simplifier les process, tout en assurant la traçabilité, la transparence et l’égalité des chances.
Il faut donc se mettre en cause et voir comment raccourcir les délais à l’égard du secteur privé qui adopte des approches respectant tous les process mais avec des délais plus courts. Parfois on a le budget, mais les projets restent bloqués, donc il s’agit d’un problème de rapidité d’exécution qui ne peut être amélioré qu’en changeant notre mode de travail.
Les tarifs Internet en Tunisie sont-ils à la portée ?
Selon le comparatif de l’internet 4 G et 3G, on a le prix le moins cher au monde avec un coût gigabit à 4 dinars, sachant qu’on importe les équipements en devises en plus des taxes douanières. Un travail doit, toutefois, être fait au niveau de l’Internet fixe, car même en faisant le benchmark, aujourd’hui, le prix est à partir de 25d/mois, et c’est pour cette raison que nous encourageons les fournisseurs d’accès Internet à mettre à niveau leur réseau.