Le terme «Négritude» est inventé par Léopold Sédar Senghor (Joal 1906- Verson 2001), grand poète africain et ancien président du Sénégal, bien que la paternité du néologisme est attribuée par le poète sénégalais lui-même à Aimé Césaire (Basse pointe 1913-Fort de France 2008), écrivain engagé et originaire de la Martinique qui utilisera le terme «Négritude» pour la première fois en mars 1939 dans la revue «L’Étudiant noir» (Journal de l’Association des Etudiants Martiniquais en France) dans un article intitulé «Jeunesse noire et assimilation». A Paris, où il s’installe pour poursuivre ses études en lettres françaises à l’Université de la Sorbonne, il rencontre Léopold Sédar Senghor et avec lui aussi Jacques Rabemananjara, Guy Tirolien, Birago Diop, René Depestre et le Guyanais Léon-Gontran Damas avec qui il fonde le magazine «L’Etudiant noir «qui deviendra un point de référence pour les étudiants africains dans la capitale française, ainsi qu’une tribune pour rejeter les valeurs coloniales et promouvoir le «concept» de noir, avancé par Aimé Césaire lui-même.
Qu’est-ce que donc la Négritude ?
La «Négritude», n’est pas seulement un néologisme, mais marque avant tout la naissance d’un concept, d’un mouvement littéraire et politique «en noir» et la parution d’un magazine «Présence africaine», qui sera publié en 1947 à Dakar et à Paris et qui aura un effet de déflagration, réunissant non seulement tous les Noirs du monde mais aussi des intellectuels français comme Jean Paul Sartre, qui définira la «Négritude» comme «la négation de la négation de l’homme noir». En fait, il existe des différences conceptuelles pour Senghor et Césaire. Pour Senghor, la «Négritude» est «l’ensemble des valeurs culturelles de l’Afrique noire, c’est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples africains et des minorités noires d’Amérique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie.» Pour Aimé Césaire, en revanche, la «Négritude» est perçue «en premier lieu comme «le rejet», rejet de l’assimilation culturelle, le rejet d’une certaine image du noir docile, incapable de construire une civilisation».
Césaire revendique l’identité noire et sa culture, face à une «francité», terme inventé par Senghor pour indiquer tout ce qui fait référence à la France et à sa politique coloniale, perçue comme infâme instrument d’oppression (voir Discours sur le colonialisme, Cahier d’un retour au pays natal). Nous en déduisons que l’aspect culturel et l’aspect politique sont les bases fondamentales dont repose le mouvement. En tout cas et au-delà de l’utilisation qui en est faite par Aimé Césaire, c’est par l’impulsion de Senghor que la «Négritude» est identifiée dans l’ensemble des traits et des valeurs culturelles véhiculés par les civilisations qui tirent leurs origines de l’Afrique noire.
Mais le concept de «Négritude» pourrait, à mon avis, faire aussi référence aux revendications d’identité liées au sentiment d’appartenance à un territoire, revendications très présentes sur les îles et, de là, l’importance de «l’insularité» qui doit être conçue plus comme un système qu’une simple caractéristique territoriale et géographique. «L’insularité» serait donc un lien purement politique avec un continent qui a en fait des caractéristiques différentes de «l’île» et de ses habitants. Je pense à l’île de la Martinique, patrie de Aimé Césaire, liée à la France politiquement mais certainement pas culturellement, ou au Sénégal, que tout en n’étant pas une île, il a été longtemps lié à la France, mais avec une culture, une histoire, une civilisation et une langue qui lui sont propres. «L’île» en tant qu’identité culturelle donc, dépendant politiquement d’un pays économiquement et numériquement plus fort, système imposant son autorité, plus communément appelé colonialisme.
Léon-Gontran Damas nous a laissé des vers émouvants et d’une rare beauté :
“Nous les gueux”
Nous les peu
Nous les rien
Nous les chiens
Nous les maigres
Nous les Nègres
Nous à qui n’appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens
Nous les gueux
nous les peu
nous les riens
nous les chiens
nous les maigres
nous les Nègres
Qu’attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l’envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres
…