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Qui portera le deuil de Farah?

Le corps de la fillette qui est tombée dans une bouche d’égout a été retrouvé après trois jours de recherches dans une station d’épuration à Bhar Lazreg. Ce drame résume à lui seul tout le mal qui ronge notre pays. Il dresse le sombre tableau d’un pays livré à lui-même et qui est à la dérive. Ainsi meurt l’enfance dans mon pays. La fillette de neuf ans ne courra plus, ne s’amusera plus et ne poussera aucun cri de joie. Ne caressera plus un chat. Ne ramassera pas de bouteilles en plastique pour aider sa mère à subvenir à ses besoins alimentaires. Parce qu’un responsable n’a pas daigné quitter son bureau depuis des mois pour constater le vol du couvercle d’une bouche d’égout. Parce que le maire de la ville veille au confort des quartiers huppés de La Marsa et ne s’inquiète pas des conditions des pauvres. Parce qu’il n’y a pas de coordination entre les administrations. Parce qu’on se rejette les responsabilités. Parce que nos responsables élus ou nommés expriment une infernale volupté à mépriser, à dédaigner, à se faire un jouet de tous les dangers qu’encourent les enfants. Parce que nos politiciens, du plus bas au plus au haut sommet de l’Etat, sont froids et arrogants. L’esprit d’égoïsme et de calcul a étouffé chez eux la vertu, de sorte qu’il ne s’est plus trouvé dans l’esprit de ces hommes politiques qu’une seule base pour une société : l’appétit immodéré pour le pouvoir qui a remplacé l’idée génératrice et féconde de dévouement, de fraternité, de solidarité. Le côté élevé, vivifiant de la nature humaine a été délaissé. Cette splendide et vivante expression du bien n’existe plus. C’est une littérature personnelle et servile, cherchant le succès non dans la vérité, non dans le bien mais dans la cupidité grossière qui jette à tous les vents les idées les plus désordonnées, qui en a pris la place, au nom de la démocratie locale, de la liberté ou encore de la légitimité. Ils ont le flair délicat quand il s’agit d’intérêts mais se laissent prendre grossièrement à toutes les absurdités quand il s’agit de responsabilité. Demain, on mettra un couvercle sur le gouffre abandonné depuis des années. On coupera le bois où a été lâchement agressée, violée et torturée à mort une jeune fille par un détraqué laissé libre dans la nature à cause d’un juge véreux.
On érigera un pont sur l’oued dont les eaux furieuses ont emporté l’année dernière une écolière. L’affaire sera classée et vite oubliée. D’autres tueurs en série seront graciés, d’autres couvercles seront volés, d’autres âmes innocentes seront ravies à la fleur de l’âge. Plusieurs sont les coupables. Mais pas un seul ne sera redevable. Aucun d’entre eux ne pensera à démissionner. A avouer son échec. A déclarer sa responsabilité. Personne ne sera jugé. La mère de l’enfant vivra seule avec l’image en boucle de sa fille coulant sous ses yeux dans les eaux souillées par l’inconscience et l’inhumanité des hommes politiques peu enclins à assumer leurs responsabilités.
Combien tiendra-t-elle avant de craquer à chaque fois qu’elle se rendra sur des lieux identiques pour ramasser des bouteilles, son gagne-pain ? Qui s’en rappellera ? Qui s’en souciera ? Pourtant, une fillette est morte, une enfant de la patrie. C’est une journée de deuil. Celle de l’enfance de mon pays. Une journée sans joie, car sans Farah.

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