Accueil Economie Formation professionnelle continue pour les enseignants des établissements spécialisés : L’impératif d’une réforme multidimensionnelle

Formation professionnelle continue pour les enseignants des établissements spécialisés : L’impératif d’une réforme multidimensionnelle

La Fondation européenne pour la formation (ETF) avait élaboré, en 2018, une étude portant sur la formation professionnelle continue pour les enseignants des établissements professionnels. Cette étude avait été effectuée dans neuf pays, dont la Tunisie. Ce travail d’investigation, de recueil des données et d’analyse du contexte national de la formation professionnelle continue en Tunisie et des enjeux qui se présentent à ce vecteur essentiel à la dynamique économique, en général, et au renforcement des performances des ressources humaines, en particulier, a permis de faire ressortir les points forts et les points faibles d’un créneau ayant besoin de consolidation. 

La présente étude a pour finalité de soutenir les décideurs dans l’élaboration de plans d’action, de programmes nationaux, voire d’une stratégie intégrale, visant l’amélioration du créneau de la formation continue des formateurs. Une amélioration qui doit, systématiquement, prendre en compte les exigences du  contexte national, les besoins signifiés, aussi bien par les directeurs des centres de formation que par les formateurs, lesquels besoins s’articulent autour de plusieurs volets, dont les pratiques, les conditions de travail, la gouvernance et l’exploitation des technologies avancées.

Ont été interpelés par cette enquête les directeurs et les formateurs exerçant dans 179 centres de formation. Seuls 65% desdits centres et 9% du total des formateurs ont répondu à l’appel.

En Tunisie, les institutions de tutelle des centres de formation professionnelle sont évidemment le Centre national de formation des formateurs et d’ingénierie de formation. Il chapeaute ce créneau, tant dans le secteur public que celui privé. Par ailleurs, l’Agence tunisienne de formation professionnelle, l’Agence de vulgarisation de la formation agricole et l’Agence de formation dans les métiers du tourisme s’appliquent, pour leur part, à l’évaluation des besoins et à la supervision des formations dans leurs secteurs respectifs.

Notons que d’autres partenaires internationaux ont contribué sensiblement, durant les dernières décennies, au développement de la formation continue en Tunisie via l’appui technique et le financement de projets dans le cadre de la coopération internationale.

Des formateurs hautement qualifiés et motivés

La présente étude a eu pour objectif de distinguer les points de force et ceux de faiblesse de la formation professionnelle continue. Pour les avantages de ce créneau, il est à souligner que la majorité des formateurs sont jugés comme étant hautement qualifiés, vu qu’ils détiennent des diplômes de l’enseignement supérieur. En effet, plus de 50% d’entre eux sont des diplômés et plus de 85% ont une expérience professionnelle de plus de cinq ans. L’étude montre aussi que 73% des formateurs ont une expérience professionnelle au sein du centre de formation dans lequel ils exercent. Autres indicateurs : 80% des formateurs ont une expérience de trois ans dans un domaine de formation spécifique et 73% travaillent à plein temps. Cela dit, seulement 40% des formateurs ont bénéficié d’un diplôme de formation initiale, incluant une formation en pédagogie. La formation accapare 55% du temps de travail des formateurs.

S’agissant de la gouvernance, on constate que la majorité des établissements sont régis selon une démarche participative. Les décisions sont prises dans le cadre, notamment, des conseils d’administration dont 42% incluent des représentants d’entreprises. En outre, tout ce qui relève de l’embauche, du congédiement, des salaires, des grilles de rémunération, ainsi que des augmentations salariales relève des prérogatives de l’Etat.

Certes, les directeurs des centres ne consacrent que 20% de leur temps à l’enseignement et à l’élaboration des programmes de formation contre 40%, aux tâches administratives. Parmi les points de force de ce créneau figure l’étroite corrélation entre l’aspect purement théorique et celui, pratique, en matière de formation. Mieux encore, la présence des stagiaires dans les entreprises pour apprentissage constitue une évidence. Le seul bémol pour ce point demeure la timide interaction entre les stagiaires en formation et les employés. La motivation des formateurs et des formés ne manque pas. L’étude montre que la majorité des formateurs s’appliquent à la tâche en s’appuyant sur les programmes préétablis par l’Etat. Leur sens de la responsabilité et leur aspiration à être au diapason des nouveautés les poussent à effectuer des recherches et à étoffer leurs programmes par des données avancées. Selon le Centre national de formation des formateurs et d’ingénierie de formation, quelque 1.100 enseignants ont participé aux cours de formation professionnelle continue en 2017, dont seuls 21% y ont mis la main à la pâte pour donner des cours relatifs à leurs spécialités respectives. La formation professionnelle continue en ligne représente 33% des sessions de formation.

Manifestement, la formation continue représente un atout majeur, aussi bien pour les stagiaires que pour les entreprises. Sauf qu’en dépit des points de force de ce domaine, moult contraintes accablent les formateurs et mettent les bâtons dans les roues à un créneau qui devrait faire preuve de plus de performance et s’imposer comme étant un pilier incontournable de la dynamique économique et de la vie professionnelle.

Problème de synergie et manque de moyens

Les personnes enquêtées n’ont pas hésité à montrer du doigt les défaillances à combler pour hisser la performance de ce domaine au niveau escompté. En effet, les stagiaires ne disposent pas toujours du matériel et des technologies indispensables à une formation digne de ce nom. Pis encore, 50% des enseignants se passent des outils numériques !

Pour 90% des directeurs interpellés, le travail se heurte à des contraintes d’ordre budgétaire, mais aussi au manque de ressources, ainsi qu’à des contraintes liées à la réglementation. 60% des directeurs soulignent la faiblesse de l’offre de formation et la lourdeur de la charge de travail comme étant des contraintes non moindres. 70% des personnes enquêtées dénoncent «le manque ou l’inadéquation du matériel didactique, le manque de personnel de soutien, le manque de personnel qualifié, le manque d’enseignants qualifiés pour enseigner les élèves à besoins spécifiques, un matériel insuffisant ou inadapté, le manque d’enseignants pour les cours pratiques», ainsi que la mauvaise qualité des ordinateurs et des logiciels utilisés.

Sur le plan législatif, la loi considère que la formation professionnelle continue représente un pilier fondamental de l’amélioration de la performance des ressources humaines. Certes, mais sur le plan pratique, la formation professionnelle continue demeure facultative, et ce, en raison de l’absence de plans d’action ou de programmes nationaux impliquant le recours immanquable à la formation professionnelle continue.

S’agissant de la coordination et de la bonne gouvernance, et à défaut d’un plan de coordination officiel entre les institutions précitées, les agences de tutelle optent pour des concertations entre elles afin de planifier des programmes de travail communs ou des actions communes. Quant au centre, il n’est pas en mesure de répondre favorablement aux besoins signifiés, aussi bien par les directeurs des centres de formation que par les formateurs, et ce, aussi bien en matière de renforcement des équipements qu’en matière d’évaluation des programmes et des performances. L’étude rappelle qu’une évaluation externe sera effectuée sur les établissements de formation professionnelle continue, et ce, dans le cadre de la stratégie 2025.

Autre hic qui ne doit aucunement passer inaperçu : la disparité régionale en matière de formation professionnelle continue. Là aussi, les régions du Sud et du Centre ne disposent pas d’heures de formation, sur un pied d’égalité avec les régions du Nord et ce sont les enseignants qui le dénoncent.

Les grandes lignes d’une réforme salutaire

Il est clair que le domaine de la formation professionnelle continue est dans le besoin d’une réforme à même de combler les défaillances qui freinent son évolution. La présente étude avance certaines recommandations salutaires, dont le renforcement du rôle des conseils d’administration et l’implication des bénéficiaires dans la prise des décisions cruciales. Les directeurs et les formateurs doivent avoir leur mot à dire dans l’élaboration des programmes. Ils doivent aussi contribuer à l’amélioration de la coordination afin d’élaborer des supports d’enseignement novateurs et plus efficients. L’évaluation de la pratique, du rendement des établissements, ainsi que de la compétence des formateurs ne doit plus faire défaut. Sur le plan matériel et technologique, il convient, désormais, de consolider les moyens budgétaires et pédagogiques des enseignants et de miser sur des équipements de haute technologie. La réforme nécessite, également, l’instauration d’un cadre législatif plus imposant, à respecter infailliblement afin que la formation professionnelle continue devienne une obligation, un droit. Il est recommandé, en outre, de booster les centres dans les régions et de leur garantir assistance et plans spécifiques, répondant positivement à leurs besoins. L’élargissement du champ des formations s’impose dans l’optique de toucher un plus grand nombre de bénéficiaires tout en misant sur le rythme croissant de l’enseignement. Et afin de veiller à l’évaluation régulière du rendement des centres et des formateurs, il convient d’assurer le suivi professionnel des bénéficiaires et d’analyser l’impact de la formation continue et sur leurs rendements et sur leurs carrières. Enfin, les experts appellent à la mise en place d’une base de données digitalisée et actualisée sur la formation professionnelle continue.

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