La démocratie locale, encore au stade de balbutiement dans les communes, est-elle menacée aujourd’hui par les divergences qui opposent les élus municipaux et les autorités régionales représentées par les gouverneurs ?
Deux ans après leur élection, les conseils municipaux peinent à prendre leurs marques. Ceux qui sont supposés être les dépositaires du pouvoir et de la démocratie locale se sont vite emmêlés les pinceaux et livré des luttes intestines, animées par des conflits d’intérêts et des rivalités partisanes qui les ont éloignés de leur mission initiale: mettre en œuvre les principes de la décentralisation territoriale à travers la gestion des affaires locales, élaborer les programmes de développement régional et mobiliser les ressources nécessaires à leur concrétisation. Le retentissant échec auquel se sont heurtés plusieurs conseils municipaux dans les régions montre que le transfert du pouvoir du niveau central au niveau des collectivités locales, l’élargissement de la marge d’initiative et des prérogatives des édiles municipaux ont encore du mal à trouver leur place au sein de la stratégie de gestion des communes et des régions, bien que la Constitution de 2014 ait pourtant consacré le principe de la décentralisation territoriale et du pouvoir local, l’une des principales revendications de la Révolution de 2011.
Cascade de démissions
Les élections municipales, qui devaient ouvrir la voie à la démocratie et l’autonomie locale et impulser une nouvelle dynamique de développement régional à travers la création et la mise en place des conseils municipaux, ont finalement accouché d’un mort-né. Au lieu d’initier des actions communales pour apporter un nouveau souffle dans la région, veiller à la bonne marche des affaires locales et trouver des solutions au problème du chômage, de la pauvreté, des constructions anarchiques… les élus municipaux ont fini par se lancer dans des débats stériles et se déchirer à cause de profondes divergences d’ordre, notamment, politique. S’en est suivie une cascade de démissions des conseils municipaux pour diverses raisons. Selon l’organisation El Bawsala, qui s’est intéressée au rendement des communes un an après les élections municipales, le bilan est loin d’être réjouissant et jette une ombre sur le bon fonctionnement de la gouvernance locale dans les régions.
24 présidents et présidentes de communes ont, en effet, fini par présenter leurs démissions, en raison de profonds désaccords qui ont opposé les élus municipaux de différentes appartenances politiques. La non-maîtrise de l’essence même du Code des collectivités locales, qui a vu finalement le jour après d’âpres débats au sein de l’ARP, et le nouveau pouvoir échu aux municipalités qui se sont vu investir d’un rôle important de décision et de gestion indépendant du pouvoir central de l’Etat, alors qu’elles ont été avant la révolution affaiblies et dépouillées de toute autorité pendant des décennies, figurent sûrement parmi les principales causes qui ont contribué à déstabiliser les élus municipaux non habitués à cet esprit d’autonomie, d’indépendance et de démocratie locale.
Des actions municipales précipitées
Le dernier épisode tragique de Sbeïtla a, de nouveau, braqué les projecteurs sur le flou qui entoure la marge d’initiative du président de la municipalité et des conseillers municipaux, et celle des autorités locales et régionales. Le profond différend, qui a opposé le maire de Sbeïtla au gouverneur de Kasserine qui se sont rejeté chacun la responsabilité de la mort tragique d’un citoyen, suite à la destruction de son kiosque, alors qu’il dormait à l’intérieur, pour motif de construction anarchique, soulève aujourd’hui la question des prérogatives de chacun. C’est au niveau de l’adoption dans la précipitation du Code des collectivités locales en 2018, deux mois à peine avant le déroulement des élections municipales, qu’il faut chercher les véritables raisons des failles qui caractérisent actuellement la mise en œuvre d’une démocratie locale qui boitille dans la plupart des régions. Le lendemain de son adoption, il n’y a pas eu suffisamment de campagnes d’information organisées au profit des élus, des conseillers municipaux et des autorités régionales sur le contenu de ce Code de référence sur lequel s’adosse la mise en œuvre de l’autonomie et de la démocratie locale. Par conséquent, tant que les conseillers municipaux continueront à ignorer le contenu des quelque 400 articles du Code des collectivités locales et la façon de les transformer en mécanismes et actions au profit de leur région, les actions communales continueront à être adoptées dans la confusion et la précipitation, et des dépassements seront observés dans la gestion des affaires communales.