Victime de trafic de pêche, le golfe de Gabès, qui s’étend de la côte de la ville de Chebba, gouvernorat de Mahdia, jusqu’aux frontières tuniso-libyennes, voit ses stocks de poisson s’effondrer et se vider à une vitesse grand V, passant de 270 espèces marines
dans les années 1960 à moins de 70 aujourd’hui.
La sonnette d’alarme a été tirée à maintes reprises par des associations soucieuses de la protection de la mer sur la dégradation des ressources halieutiques, liée notamment à l’activité de pêche illégale. De l’avis de Abdelmajid Dabbar, président de l’Association Tunisie écologie, ce qui reste de notre stock de poissons est, aujourd’hui, en grand danger à cause du braconnage en mer et du banditisme qui persiste depuis quelques années, dans un silence honteux des autorités concernées.
¾ des captures sont des espèces non visées
Malheureusement, comme tous les pays ayant des côtes, la Tunisie est aussi victime de la pêche illégale, de la surpêche et de la raréfaction des ressources. Mais pendant ces dernières années qui ont suivi la Révolution, la situation est devenue de plus en plus alarmante, notamment dans le golfe de Gabès, qui était la pépinière de la Méditerranée, puisque 28% des poissons de la mer intercontinentale se reproduisent là-bas.
« De nombreux marins violent, depuis des années, la loi de 1994, interdisant strictement la pêche par l’utilisation de l’engin du Kiss (engin tracté par le bateau qui racle le fond marin grâce à des chaînes lourdes)… Bien que le chalutage ne soit autorisé seulement qu’à des profondeurs de plus de 50 mètres et la pêche au chalut soit fermée au golfe de Gabès pour le repos biologique du 1er juillet au 30 septembre de chaque année, les pêcheurs clandestins du Kiss continuent à racler les fonds marins jusqu’aux hauts fonds, à des profondeurs de 3 et 4 mètres… Face à une telle situation, le bilan est catastrophique même dans les aires dites protégées car entre 18 et 25% seulement des poissons captés par le Kiss ont une valeur commerciale et pourraient être vendus sur le marché, alors que le reste (plus de 75%) sont des poissons de 1 cm ou même de quelques millimètres. Ces espèces, non désirées et pêchées accidentellement, sont en général rejetées, souvent mortes, en mer ou sur les côtes », regrette Dabbar.
Le militant écologique ajoute que cet engin assez destructeur, qui est la cause de notre malheur et qui racle le fond dans des habitats critiques (zones de frayère et de nurserie), est utilisé sur de longue distance dans les zones normalement réservées à la pêche artisanale, ce qui ne peut qu’aboutir à la raréfaction des ressources halieutiques de la région qui sont de plus en plus menacées.
Une autre technique plus dangereuse fait surface
Après le chalutage par l’engin du Kiss qui détruit la faune marine, ses habitats et toute la biodiversité fragile, une nouvelle technique plus dangereuse fait surface depuis près d’une dizaine d’années. Interdite en Italie depuis 1990, la technique de la Dorra (des filets de 3 à 4 km2) représente aussi un risque majeur de réduction des stocks d’espèces, visés ou non, et de destruction par effet indirect de l’écosystème marin.
« Ces filets, une fois étalés, se ramassent par des techniques de cordage, puis des plongeurs avec bouteilles d’air comprimé finissent le travail pour enfin mettre sur le pont du bateau la récolte…Imaginez, à chaque prise, c’est l’égal au contenu d’un camion semi-remorque qui se jette carrément à la mer, composé de minuscules petits poissons et toutes autres créatures marines, à peine de 1 à 2 cm qui n’ont pas une valeur commerciale. Le reste nous arrive aux marchés à des prix très élevés… », précise Dabbar, tout en ajoutant que les régions du sud du Sahel, le large de la Chebba jusqu’aux alentours des îles de Kerkennah souffrent de cette destruction massive.
Face à cette situation, la colère monte et les pêcheurs traditionnels trouvent la mer comparée au désert vide sans vie et sans poissons. Ils se sont révoltés et une confrontation musclée est promise par les pêcheurs traditionnels utilisant des méthodes sélectives. « Ni le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche maritime, ni la Garde nationale marine, ni la Marine nationale sont arrivés à arrêter cette hémorragie mortelle à nous tous, qui touche notre nourriture vitale et d’autres pêcheurs, qui respectent la loi, seront ruinés. L’Etat ne dispose pas de moyens de contrôle efficaces de ses zones et de ces navires pour mettre terme à ce fléau. Que peuvent faire 4 ou 5 agents de contrôle dans chaque port face à des dizaines de pêcheurs ?!», demande-t-il.
Afin d’empêcher l’extermination définitive de notre stock de poisson, Dabbar propose de développer un système de traçabilité du poisson qui reprend le bateau, l’armateur, la zone de pêche, l’acheteur grossiste… Ce label n’est délivré qu’aux personnes responsables et respectueuses d’une pêche durable, qui paient les taxes et impôts, les assurances… « Mais dans l’état actuel des choses, on ne sent pas une baisse de cette activité illégale malgré que les messages pour lutter contre le braconnage de mer et préserver la biodiversité aient été répétés plusieurs fois. Malheureusement, ces appels ne sont pas encore pris au sérieux par nos décideurs…Tant que le trafic animalier ne sera pas pris au sérieux, la biodiversité marine sera menacée et nous devrons attendre des jours plus durs et plus difficiles avec une recrudescence de la pêche illégale », souligne-t-il.
jaber
18 novembre 2020 à 11:47
Dans « En Tunisie: Le Golfe de Gabes En 1888 » on parle du même problème avec insistance, et l’auteur appelait le gouvernement francais de colonisation à mettre des garde-cote pour combattre le banditisme de navires siciliens et maltais. A l’époque il s’agissait de la pêche d’éponge, maintenent celle de poisson.
Hayet Dhifallah
18 novembre 2020 à 15:22
Merci à cette journaliste de s’être fait l’écho des alertes venant d’associations dont beaucoup, de monsieur Abdelmajid Dabbar !