Le réalisateur Abdallah Chamekh vient de terminer un nouveau documentaire «Le Bois sacré », tourné vers l’Afrique et tourné en Afrique, en Côte d’Ivoire. Un regard d’Africain du Nord sur l’Afrique. Il nous en parle dans cet entretien.
Ce n’est pas tous les jours qu’on a des idées d’aller tourner un documentaire en Afrique…
C’était en 2019, l’idée m’a séduit après la lecture d’un anthropologue sénégalais, Cheikh Diop, où j’ai découvert que la culture africaine a joué un rôle prépondérant dans l’Histoire. Elle a même eu des ramifications dans l’ancienne civilisation égyptienne. C’est dans ce même livre, d’ailleurs, que j’ai découvert la tribu des Boubouri. De nombreux villages africains de Côte d’Ivoire sont témoins de changements au fil du temps, pourtant, Latt, un maître spirituel du village de Boubouri continue à enseigner les coutumes et les traditions de «la fête des générations». Sa tentative de préserver l’héritage de ses ancêtres a lieu à un moment où les jeunes du village se montrent indifférents à ces pratiques culturelles.
Le combat du maître spirituel pour maintenir la tradition ancestrale est le leitmotiv du film, car il fait face à un certain nombre de difficultés lorsqu’il pratique les rituels cérémoniels de «la fête des générations ». C’est par l’intermédiaire de son fils et de nombreux jeunes que le maître s’emploie à préserver l’identité et les coutumes du peuple Adjoukrou et du village Boubouri malgré le mépris de la nouvelle génération pour la tradition et le patrimoine culturel qu’elle symbolise.
En général, nos caméras sont plutôt tournées vers le Nord, j’ai donc voulu tourner ma caméra vers le Sud et j’ai découvert qu’il y a plusieurs points communs dans nos us et coutumes avec l’Afrique. Je n’ai pas été dépaysé. Je n’ai pas non plus trouvé un problème de communication avec ce peuple, même si je ne parle pas la langue de cette tribu. Je rappelle que ce film est une production d’Al Jazeera Documentary Channel, avec pour producteur exécutif la société tunisienne Folk Story.
C’est un documentaire qui aborde aussi la question de l’hégémonie culturelle …
Le film aborde la question du choc ethnique et des nombreuses dichotomies que rencontre le peuple Adjoukrou en Côte d’Ivoire. Ce peuple devient représentatif des mêmes conflits que d’autres communautés africaines et non africaines ont du mal à surmonter en raison de l’hégémonie culturelle.
L’hégémonie culturelle se manifeste à travers le développement des cultures qui ont fait disparaître l’identité ethnique et restent cachées dans le bois. «La fête des générations, ou le « Low », a lieu dans cette dernière ; pourtant, cela devient un spectacle pour les touristes à apprécier car de moins en moins ils le célèbrent pour son importance culturelle. La célébration, thème central du film, est également emblématique du conflit générationnel car elle est vue par les jeunes comme obsolète, tandis que les aînés affirment qu’elle marque l’identité et les origines de la communauté.
Pour le réalisateur tunisien que vous êtes que rapporte ce genre d’expérience ?
Ça m’a permis de conclure que la caméra ne croit pas à la géographie, mais elle croit à l’espace. J’ai été également beaucoup plus sensible et de manière (palpable) à l’idée de la nouvelle colonisation culturelle. C’est un point fort qui nous unit par exemple. Le cinéma africain a beaucoup parlé de ce problème d’ailleurs et c’est un cinéma que j’admire, car il contient une originalité dans le traitement et dans l’esthétique. Sur le plan anthropologique j’ai découvert une nouvelle civilisation avec ses rites d’initiations et qui est sur le point de disparaître au profit de la consommation. D’ailleurs, il n’y a presque plus de bois sacré dans cet endroit, tout est en train d’être rongé par l’urbanisme. Sur un autre plan, ce film a été pour moi l’occasion de filmer les coutumes des tribus africaines avec un regard d’un Nord-Africain et non celui d’un Occidental .