Encore un drame devenu très vite un scandale national. Une très grande émotion a traversé le pays jeudi dernier, touchant aussi bien le corps médical et paramédical que les concitoyens. L’hôpital public est devenu aujourd’hui pour beaucoup de Tunisiens synonyme de mouroir.
Le décès du jeune médecin chirurgien Badr Eddine Aloui, à l’hôpital régional de Jendouba, est la résultante d’un système sanitaire défaillant, en déliquescence, à cause des dysfonctionnements qui gangrènent le secteur.
En Tunisie — pays en plein marasme —, le secteur de la santé avait été déjà ébranlé, il y a deux ans, par une série de décès de nouveau-nés, avec à l’époque des témoignages accablants sur la situation dégradée de l’hôpital. Les hôpitaux publics sont dans un état d’extrême insalubrité : des murs fissurés, des portes et fenêtres cassées près des blocs opératoires, des brancards rouillés au service réanimation, absence d’hygiène, structures défaillantes, pénurie de matériels, manque de personnels médical et paramédical… Le corps médical et paramédical, lui, a déclenché la sonnette d’alarme depuis des décennies, en révélant que la majorité des hôpitaux publics en Tunisie sont dans un état déplorable et hors normes. Cette situation, la pire qu’aient connue nos hôpitaux ces dernières années, a fait reculer tous les indicateurs du système de santé.
Pour alerter l’opinion publique, l’Organisation tunisienne des jeunes médecins a appelé à maintes reprises à montrer les dangers causés en permanence par l’état des hôpitaux publics tunisiens, au moment où le personnel de la santé travaille d’arrache-pied, jour et nuit, dans des conditions précaires. Sans pour autant être démotivées, les blouses blanches sont, bien au contraire, touchées de plein fouet, particulièrement en ces temps de crise sanitaire due à la Covid-19. Les médecins et les infirmiers ont payé un lourd tribut. C’est la peur dans le ventre que ceux qui y ont encore échappé se rendent à leur travail. Certes, notre système de santé, défaillant à bien des égards, a été récemment mis à rude épreuve par la pandémie.
Ajoutons à cela le sentiment d’injustice qu’éprouvent ceux-ci, car ils estiment que leur rémunération n’est pas à la hauteur de leurs sacrifices. Aujourd’hui, la tension monte, l’humeur s’assombrit et les relations tendues ne favorisent pas la communication avec les pouvoirs publics.
Le cœur n’y est plus : c’est la déconvenue, la désillusion. Les médecins internes ou résidents, tout comme le staff paramédical, sous-payés, malmenés, sont en plein désarroi face aux mauvaises conditions de travail, qui poussent beaucoup d’entre eux à émigrer vers d’autres pays.
A l’évidence, la grève des médecins a mis en lumière les défaillances de notre système de santé. Un système de santé qui laisse à désirer. La situation dans les hôpitaux régionaux publics est vraiment choquante et ce qui se passe dans ces établissements est injustifiable. Les dysfonctionnements sont à la pelle, pointés régulièrement du doigt: est-ce concevable que des ascenseurs en panne obligent à transporter des malades tout juste opérés de façon très rudimentaire, parfois même jusqu’à un autre établissement parce que le scanner de l’hôpital est en panne ? Est-ce concevable qu’un médecin, appelé d’urgence pour sauver un patient, trouve la mort tragiquement parce que l’ascenseur est défectueux ?
Toutefois, la compétence des médecins et du corps paramédical n’est pas à remettre en cause. Il y a un vrai problème de gestion de ces structures, notamment concernant l’entretien et l’hygiène.
Réforme sur différents fronts
Cette crise sans précédent a révélé bien des failles de notre système sanitaire. Mais elle peut être un acte fondateur de profondes révisions de la conception et de la mise en œuvre de la politique sanitaire. La réforme devrait être menée sur différents fronts. Les infrastructures de base sont nécessaires, mais l’investissement dans l’humain est aussi primordial.
Certes, il est plus facile de partir sur de bonnes bases quand le terrain est vierge. Mais quand il s’agit de retaper et de réorganiser une maison mal conçue et en délabrement, la tâche est ardue et le résultat est incertain.
Ceci est d’autant plus difficile que les responsables y ont pris des habitudes et y ont instauré des rituels. Il ne s’agirait pas uniquement d’une résistance au changement, mais d’enjeux économiques importants, car il s’est trouvé des responsables, des institutions à qui profite le système actuel.
Face au manque d’équipements médicaux et de spécialistes dans certaines régions, les responsables tunisiens invoquent souvent la situation économique difficile du pays. Un rapport publié en 2016 montre qu’il s’agit tout autant – voire plus – d’un problème de gestion que de moyens.
De même, la mauvaise gestion et l’absence de contrôle en Tunisie ouvrent la voie à la corruption au sein des hôpitaux publics. C’était l’une des principales causes de mécontentement exprimées par les patients de tout le pays lors du dialogue sociétal de santé organisé en 2014.
Par ailleurs, la crise liée au nouveau coronavirus a multiplié les dysfonctionnements et aggravé les dangers. Des patients infectés par le virus dénonçant les conditions de séjour dans des hôpitaux publics ont relancé la polémique lancinante sur l’état du secteur de la santé. Les ministres de la Santé qui se sont succédé ont tous promis de s’attaquer aux racines du problème des hôpitaux publics, mais en vain. Car les besoins sont immenses. Le cumul des défaillances ne peut être résolu en ces temps de crise économique et sociale.
L’étude menée par l’Ites sur «l’hôpital public de demain» indique que « l’instabilité politique et sociale des dernières années et l’abandon du cadrage minimal de l’évolution de l’hôpital par les plans quinquennaux ont généré autant de visions que de ministres de la Santé, et ils ont été nombreux».
Et d’ajouter que le facteur financier est aussi à considérer sous deux angles, le premier est en rapport avec le déficit structurel du financement des hôpitaux publics, lié aux limites de mobilisation de ressources et le second est relatif à l’incapacité des gestionnaires à maîtriser des dépenses pour une meilleure efficience et une meilleure adéquation. Le résultat est une insuffisance de fonds et une accumulation de dettes préjudiciables aux performances de l’hôpital.