Après «Bonté divine ! l’homme qui n’a pas su être président» sur Moncef Marzouki, Nizar Bahloul récidive avec un nouveau livre «Kaïs 1er président d’un bateau ivre» qui vient de sortir aux éditions «Edito-Edition». A cette occasion, nous avons eu cet entretien avec lui.
Après Moncef Marzouki, c’est au tour de Kaïs Saïed. Pourquoi cet élan de publier des livres sur les présidents de la République tunisienne?
Parce que je veux vivre pleinement notre démocratie. La Tunisie demeure le seul pays arabe où un journaliste peut se permettre de publier un livre sur un président en exercice. D’habitude, on publie des livres post mortem ou des livres élogieux, ce qui n’est pas le cas avec mon premier livre ni avec le second. Ecrire ce genre de livres permet aussi à un journaliste de se sentir libre et indépendant.
D’autre part, je dirai que c’est aussi une déformation professionnelle vu que je suis éditorialiste politique au sein de «Business News», une tâche qui consiste à analyser les faits présidentiels, ces livres constituent une prolongation de ma profession.
Sur le plan personnel, vous trouvez que c’est jouissif de critiquer un président de la République en plein exercice ?
Oui ! Nous autres journalistes avons l’avantage d’exercer un métier que nous aimons. C’est une passion qui nous fait vivre sur le plan matériel, mais aussi sur le plan émotionnel et c’est une exception à mon sens.
C’est vrai que c’est jouissif d’exercer ce métier et de publier des livres comme si c’était le prolongement du travail journalistique. Ce livre prouve qu’il y a eu un changement dans ce pays, que nous vivons dans une démocratie dont l’aspect le plus vital est la liberté d’expression.
La menace qui pèse sur la liberté d’expression ne vous inquiète-t-elle pas ?
C’est un sujet très vaste… Mais disons que le monde des médias passe par une série de problèmes structurels et conjoncturels. Partout dans le monde, on vit ce genre de problèmes.
En ce qui concerne la Tunisie, le gouvernement a pris des décisions dans un décret publié le 20 novembre dernier pour aider les entreprises de presse et, par conséquent, les journalistes. Mais en revanche, le président de la République n’a reçu ni journalistes, ni patrons de presse, ni membres de la Haica pour évoquer avec eux les problèmes des médias. C’est une personne coupée de l’élite du pays.
Ce livre se présente sous forme de 8 volets…
Il s’agit de chapitres reprenant les positions du président par rapport à plusieurs faits qui se sont déroulés durant sa première année d’exercice. Le livre s’ouvre juste avant sa période d’investiture, sa victoire aux élections et son entrée au palais de Carthage et se conclut par un chapitre qui porte le titre de «Quatre ans encore à tenir» où il y a une réflexion sur ce qu’un président est appelé à soigner dont, par exemple, le déficit en matière de communication.
Il y a des chapitres inédits, dans ce livre, tout n’a pas été publié avant sous forme de chroniques…
Effectivement, il y a presque 75% du contenu qui sont inédits. Même les chroniques qui ont été publiées ont été mises à jour dans le but de situer le lecteur pour lui montrer ce qu’on pensait de ce sujet au temps «T».
Pourquoi «Président d’un bateau ivre» dans le titre ? Une référence au poème d’Arthur Rimbaud ?
Malheureusement, la Tunisie est en train de chanceler. On est en pleine crise économique et sociale… Il y a eu plein de promesses lors des campagnes électorales des différents hommes politiques, dont Kaïs Saïed. Des promesses non tenues à cause de ce navire qui chancelle entre les vagues comme un bateau ivre. C’est une référence au poème d’Arthur Rimbaud.
Kaïs Saïed a été élu par un grand nombre de voix, pensez -vous que c’est le président qu’il fallait pour cette époque houleuse ?
Il a été élu par deux millions sept cent mille Tunisiens et il a une bonne assise jusqu’à aujourd’hui. Mais, malheureusement, il n’a pas tenu ses promesses. Le pouvoir de la fonction présidentielle semble être supérieur parfois à la personne du président. Mais mon regard est optimiste sur le long terme puisque nous allons léguer pour nos enfants une démocratie solide. Sur le court terme, nous avons des problèmes politiques sociaux, mais surtout économiques et le président de la République n’est qu’un maillon de la chaîne. Je sous-entends que, même s’il avait tenu ses promesses, le président de la Republique n’aurait pu résoudre tous les problèmes. Mais le souci, c’est qu’il n’avait pas fait ce qu’il avait à faire en partie même s’il a effectué plusieurs réalisations car il a su stopper à plusieurs reprises certains dérapages au niveau de la justice ou de l’Assemblée, mais c’est trop peu pour une année à Carthage ! C’est aussi un président déconnecté de l’élite du pays et cette déconnexion par rapport à la réalité de la Tunisie est inquiétante. L’élite fait aussi partie du peuple tunisien à tout prendre. C’est très important de parler au nom du peuple, mais un pays ne peut fonctionner sans ses élites dans tous les domaines. Si on veut créer, par exemple, des emplois, on ne peut se passer des investisseurs et des hommes d’affaires. Si on veut faire rayonner l’image de la Tunisie à l’extérieur on ne peut le faire sans le sport et la culture. Tous ces mondes-là sont ignorés par le président jusque-là. C’est une connexion qui manque à mon avis.
S.T.