Comme nombre de crises qui l’ont précédée, la pandémie de la Covid-19 a creusé les inégalités de genre et de catégorie, et a fortement impacté les femmes les plus précarisées de la société.
En Tunisie, le nombre de femmes victimes de violences, ayant subi tous types de violence confondus, a connu une hausse alarmante avec le confinement sanitaire. Selon la ministre de la Femme, de la Famille et des Seniors, les agressions contre les femmes ont été multipliées par cinq par rapport à mars 2019. A la date du 3 mai 2020, plus de 7.000 femmes, victimes de violences, ont été signalées auprès du numéro vert mis en place par ce même ministère, alors que le personnel de santé et la police étaient en sous-effectif. Les groupes d’appui locaux étaient paralysés ou manquaient de ressources. Certains centres d’hébergement des victimes ont dû fermer leurs portes, d’autres étaient pleins.
Face à cette situation, l’Association tunisiennes des femmes démocrates a adapté ses services pour rester au plus près des femmes victimes de violences et a mis en place une nouvelle stratégie d’intervention à distance par nos centres d’écoute et d’orientation des femmes victimes de violence (Tunis, Sousse, Sfax et Kairouan) avec un plan de continuité et de maintien des services par télétravail. Ainsi, l’Atfd a continué à assurer l’accueil, l’écoute, l’orientation juridique, le soutien psychologique et l’orientation sociale par téléphone. L’Atfd a présenté dans une conférence, qui s’est tenue la semaine dernière, les statistiques et l’évaluation des mesures prises par le gouvernement, ainsi que les recommandations qui ont été adressées aux différentes institutions concernées.
Toutes les études montrent que, partout dans le monde, les violences conjugales ont augmenté avec les mesures prises pour contrer le coronavirus. Qu’il s’agisse de violences psychologiques, verbales, physiques et sexuelles, le confinement a sensiblement augmenté les risques de passage à l’acte. La mise en quarantaine a piégé les femmes victimes de violences conjugales, condamnant la victime à cohabiter avec son bourreau en continu.
Mesures prises par l’Atfd
Plusieurs mesures ont été prises par l’Atfd. Citons la publication le 16 mars 2020, un communiqué interpellant les autorités à prendre les mesures nécessaires pour faire face à la montée des violences pendant le confinement, et à prévoir des recours pour les victimes dans le cadre du plan d’action national face à la Covid-19.
A travers ce plan d’action, une campagne d’information et de prévention nationale a été lancée sur les violences et les dangers encourus par les femmes pendant le confinement, à travers la production et la diffusion sur les réseaux sociaux, d’une série de vidéos, suivies par des milliers de personnes. Par ailleurs, une donation nationale de 20.000 DT au fonds 1818 de lutte contre le coronavirus a été attribuée pour renforcer la solidarité nationale et le secteur de la santé pendant la crise.
Tout au long de la période de confinement, du 16 mars jusqu’au 30 avril 2020, la coordinatrice du comité anti-violence de l’Association, Cherifa Tlili, a expliqué que les différents Centres d’écoute des femmes victimes de violences (Ceofvv) de l’Association tunisienne des femmes démocrates ont accueilli 206 nouvelles femmes victimes de violences. Cette augmentation du taux de violence contre les femmes a coïncidé avec la décision du Conseil supérieur de la magistrature, prise le 23 mars 2020, de reporter toutes les audiences des affaires civiles, freinant ainsi l’accès des femmes aux services de justice, tels que les tribunaux aux affaires familiales ou traitant des violences faites aux femmes. Ces entraves à l’accès à un droit constitutionnel en période de pandémie ont menacé la sécurité physique et psychologique des femmes victimes de violences. Du 16 mars au 30 avril 2020, l’Atfd a reçu 206 nouvelles femmes victimes de violence, réparties comme suit : le Centre d’écoute de Tunis a reçu 118 cas ; le Centre d’écoute de Sfax 42. Par contre, le Centre d’écoute de Sousse a reçu 11 et finalement le Centre d’écoute de Kairouan en a eu 35. Elle a indiqué que les femmes âgées de 31 à 60 se sont les femmes les plus touchées et se trouvent dans une situation de précarité économique. Selon le ministère de la Femme, de la Famille et des Seniors, et en coordination avec le ministère des Domaines de l’Etat et les différentes municipalités et les gouverneurs sur tout le territoire, il est nécessaire d’assurer l’expansion de logements sécurisés aux femmes victimes de violence, de pauvreté et de marginalisation et à celles qui risquent de se trouver sans toit, et ce, à travers la réquisition de locaux pour servir de centres d’hébergement, afin de prendre en charge les victimes de violence et de leur accorder la sécurité, la protection et l’accompagnement nécessaires. Il est également nécessaire de suivre et évaluer les interventions, notamment en recueillant des données ventilées par sexe, par âge et par handicap, afin de déterminer l’efficience et l’efficacité des interventions et avoir des statistiques en coordination avec l’Observatoire national de lutte contre les violences à l’encontre des femmes.
L’une des recommandations émises par l’Atfd est de sensibiliser, par ailleurs, les forces de l’ordre et les unités spécialisées à l’impact de la Covid-19 et à la hausse potentielle des faits de violence à l’encontre des femmes et des enfants, et de les inciter à traiter sérieusement les plaintes des femmes victimes de violence. Il faut adopter un système de travail spécifique pour les unités spécialisées et assurer une permanence 7j/7 et 24 h/24. L’Association tunisienne des femmes démocrates a, à l’occasion de la célébration des 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes, réitéré son appel au gouvernement et aux autorités publiques compétentes afin d’intégrer la question de la violence à l’encontre des femmes et des enfants dans son plan d’urgence de lutte contre la pandémie de la Covid-19, vu l’étroite corrélation qui existe entre ce fléau et l’augmentation des cas rapportés de violence de tous types.