Répartir les tâches quotidiennes durant Ramadan devient plus que jamais inéluctable entre les parents. L’objectif étant de mener à bien un rythme journalier atypique, un mois durant en prenant soin de réussir les différentes missions parentales.
Cette année, Ramadan coïncide avec la période des révisions et des examens. Contrairement aux étudiants et aux lycéens, dont la maturité psychologique les habilite amplement à gérer leur temps, les élèves inscrits à l’enseignement de base, eux, éprouvent le besoin d’être assistés par leurs parents. D’autant plus que le nombre de modules scolaires et de défis auxquels ils sont confrontés implique un appui parental permanent voire infaillible. Pour les parents jeûneurs, l’épreuve acquiert en rudesse : comment concilier entre le rythme ramadanesque et les besoins des enfants en appuis scolaires tout en bénéficiant de repos et en profitant des soirées en famille ? Un dilemme que doivent surmonter les parents soucieux de l’avenir de leurs progénitures !
Il est 15 h en ce quatrième jour de ramadan. Les Tunisiens vaquent, chacun de son côté, à leurs préoccupations après une demi-journée de travail. La circulation routière au Bardo commence, peu à peu, à se décrisper. Les courses quotidiennes doivent être terminées à la hâte afin de pouvoir, par la suite, marquer une pause, décrocher une heure de sieste avant de reprendre de plus belle…
Le papa-enseignant
Imed quitte la boulangerie, des baguettes et du pain complet à la main. Pour ce fonctionnaire père de famille, l’heure est au repos afin de se ressourcer en énergie et de pouvoir, une fois le jeun rompu, assister ses fils durant la révision quotidienne. « J’ai l’habitude d’aider, chaque soir, mes enfants à réviser leurs cours. J’ai deux garçons inscrits, respectivement, en cinquième et en septième années de base. Certes, ils sont assez grands pour faire, seuls, leurs devoirs. Toutefois, pour m’assurer qu’ils ont bien assimilé leurs leçons, je tiens à le vérifier par moi-même. Je leur pose des questions sur les cours au quotidien, j’examine les exercices réalisés et écoute leurs récitations, manuel scolaire à l’appui », indique-t-il. Il ne cache pas pour autant que cette mission de père-enseignant s’avère être plus difficile depuis quelques jours. Le tonus et la concentration amoindris par une journée de jeun, Imed a choisi de passer la vitesse supérieure en rallongeant la séance de révision nocturne. « C’est qu’il n’y a plus de temps à perdre. Le compte à rebours des examens m’oblige à augmenter la durée de la séance de révision quotidienne. Depuis avant-hier, je les ai forcés à étaler la révision, non plus sur une heure mais sur une heure et demie. Il faut faire des sacrifices au profit de ses enfants. Ma femme, elle, fait de son mieux. Mais elle a tout de même droit à un temps de répit après une journée de jeun, de travail, de ménage et de cuisine ».
Cours particuliers : plus qu’un choix, une nécessité !
Pour Hafidha, elle n’a d’autre choix que de recourir aux cours particuliers pour aider sa cadette dans son parcours scolaire. Cette veuve travaille comme dame de compagnie chez un couple âgé. Elle quitte le boulot à 5h00; juste le temps de marcher un kilomètre et demi pour rentrer chez elle. Mère de trois enfants dont l’aîné étudie en première année faculté, elle n’a ni le temps ni la possibilité d’assister sa cadette, inscrite en huitième année de l’enseignement de base. Hafidha n’a pas terminé ses études après le bac. Elle a, néanmoins, la capacité de comprendre les énoncés des manuels scolaires relatifs aux toutes premières années de la scolarité de sa fille. Mais depuis deux ans, les cours lui semblent de plus en plus compliqués. « Son frère est nerveux et impatient. Je ne peux pas compter sur lui pour l’aider à faire ses devoirs. Je me suis trouvée dans l’obligation de recourir aux cours particuliers. Ma voisine est maitrisarde en français. Elle est au chômage. C’est elle qui aide ma fille pour ses devoirs et pour la révision pré-examens contre la modique somme de 60d par mois », indique-t-elle. Ainsi, aussi bien durant Ramadan qu’au cours de l’année, Hafidha confie sa fille à la voisine dans l’espoir qu’elle réussisse son parcours scolaire. « Il est quasiment impossible pour un parent dont le niveau intellectuel est limité d’aider ses enfants dans leurs études. Les programmes d’aujourd’hui ne ressemblent en rien à ceux d’antan. Les cours particuliers, que dénigrent certains, représentent l’unique solution pour les élèves et pour leurs parents », considère-t-elle, convaincue.
Dur d’être un lycéen !
Sonia est prothésiste. Elle presse le pas ainsi que sa petite fille Lina pour parachever les courses de dernière minute et rentrer pour préparer le dîner. Sa fille n’a que cinq ans. Elle est inscrite dans une classe préparatoire dans une école privée. Pour Sonia, la révision ne pose aucun problème, ni pour elle ni pour sa fille. « Il faut dire qu’elle est en âge de jouer et non d’étudier. Cependant, et vu le rythme frénétique relatif aux programmes scolaires, mieux vaut l’initier par des notions de base afin qu’elle ne soit pas en retard par rapport à ses semblables le jour où elle passera en première année primaire », souligne-t-elle. Et d’ajouter que le rythme ramadanesque influerait, sensiblement, sur le rendement non pas des enfants inscrits à l’enseignement primaire mais ceux inscrits à l’enseignement secondaire. « Ce sont les lycéens, à mon avis, qui peineront à concilier entre les loisirs, notamment les feuilletons tunisiens, et la révision surtout que bon nombre d’entre eux jeûnent, ce qui atténue forcément leur capacité à se concentrer aussi bien durant les cours qu’au moment des épreuves », renchérit-elle.
Une discipline
Dhouha travaille comme animatrice dans un jardin d’enfant privé. Pour elle, l’avenir de sa fille commence aussi bien par l’intégration scolaire que par une ambiance pro-estudiantine, établie au foyer non sans harmonie. « Mon mari est taximan. Il n’a pas le temps pour s’occuper de Chahd. Du coup, c’est à moi de l’assister en lui procurant l’appui scolaire indispensable à sa scolarité. Chahd est inscrite en deuxième année primaire. Elle commence, peu à peu, à saisir les notions basiques et à s’exprimer sur des thématiques appropriées à son développement psychologique », indique-t-elle. Durant Ramadan comme au cours de l’année, Dhouha a instauré une tradition, un rituel avec sa fille. « Quand je suis à la cuisine en train de laver la vaisselle ou de cuisiner, Chahd doit prendre place à la table, me parler de ce qu’elle a appris durant sa journée. Elle me montre les exercices qu’elle doit faire à la maison. Je lui explique l’énoncé et elle prend son temps pour faire ses devoirs. Même pour les poèmes qu’elle doit apprendre, nous les apprenons ensemble, comme un jeu », souligne-t-elle. Chahd a compris que pour être assistée par sa maman, elle doit réviser en sa compagnie. Il s’agit d’une discipline à laquelle la petite adhère non sans amour, ce qui est loin d’être le cas pour bon nombre d’enfants…