Tristesse, ô combien, à la suite du décès de Zouhaïra Salem. Nos générations se croisent, et pour avoir partagé la passion des grandes voix, nous nous tînmes longtemps compagnie.
Du remords, aussi. La maladie de Zouhaïra fut longue ;hélas, pendant tout ce temps, et sans réelles excuses, je ne l’ai plus revue.
C’est sans rattrapage, je le crains.
Les médias ont rendu un bel hommage à Zouhaïra Salem. Emotion, évocation, empathie. De la part des jeunes journalistes notamment, cela a du sens. Il y a continuité d’une œuvre. Et quatre décennies durant, l’artiste aura bien marqué son chemin
Un petit reproche, toutefois : pourquoi ces répertoires à plusieurs centaines «imputés» à nos chanteurs disparus ? C’est d’abord faux. Pas même Abdelwahab et Om Kalthoum n’ont vanté de tels chiffres ; pas même Ray Charles ou Bécaud. C’est faux et c’est inutile parce qu’il y manquera toujours la preuve. Les chanteurs historiques ne trouvent, au contraire, leur compte, que dans le meilleur de leurs titres, et le meilleur, chez eux, est toujours un petit lot. Deux ou trois chefs-d’œuvre, trois ou quatre succès. Il arrive même qu’un seul suffise et déteigne sur le tout. L’Égyptien Chafiq Jallal bâtit sa réputation tunisienne puis arabe sur la seule «chlawnana». Les Syriens Fahd Balan et Riadh el Bandaq(compositeur) de même. Le premier avec la taqtouqa «washrah laha», le second, avec la magnifique «ya aini assabr».
Tout cela pour dire qu’on ne rend pas service à Zouhaïra Salem, qu’on ne rehausse ni sa mémoire ni son répertoire, en la noyant ainsi sous des centaines et des centaines de titres inexistants.
La vérité, les spécialistes, les témoins et les contemporains la connaissent.
Ils vous diront que Zouhaïra a interprété le chef-d’œuvre de sa carrière déjà au tout début, 61-62, «ila man qadhaou fisabil el alam», ode à la patrie, hommage aux martyrs de la guerre de Bizerte. Et que, partant de là, un modèle de qualité ne s’est jamais démenti : «baja bledi», «ya ommi», une dizaine d’autres. Des courtes et des qassids, de Mohamed Triki, Chedly Anouar, Abdelhamid Sassi, Mohamed Ridha, des Libyens aussi, des maîtres, tous de grands noms.
Ils évoqueront, surtout, ce que beaucoup d’entre nous ont, malheureusement, pris l’habitude d’oublier : la superbe voix de Zouhaïra, ces tons justes, ce timbre légèrement voilé. Et ce chant, à chaque fois, rendu dans sa couleur, ses modulations, ses sentiments.
Zouhaïra avait la passion des grandes voix. Elle en était une, mais elle n’en montra jamais la prétention. Paix à son âme, Art et humilité.