Accueil Economie Supplément Economique Taoufik Halila, Président de la Chambre Nationale des Intégrateurs des Réseaux Télécom (CNIRT) à La Presse: “Partir de la 5G pour créer de la richesse et de l’emploi”

Taoufik Halila, Président de la Chambre Nationale des Intégrateurs des Réseaux Télécom (CNIRT) à La Presse: “Partir de la 5G pour créer de la richesse et de l’emploi”

L’irruption de la 5G va changer le monde. Industries, services, médecine, agriculture, etc., pratiquement, tous les domaines vont être bouleversés. La nouvelle technologie 5G nous promet monts et merveilles, grâce au très haut débit auquel elle donne accès. A quoi sert cette nouvelle technologie? Quels sont les fournisseurs-clés de la 5G? Comment va-t-elle être déployée en Tunisie? D’amples détails avec le président de la Cnirt, Taoufik Halila.

Qu’est-ce que la 5G? Est-ce une évolution de la 4G ?

La 5G est la cinquième génération de télécommunications sans fil. Son déploiement a déjà démarré dans plusieurs pays à travers le monde. La 5G se distingue de la 4G par son débit très élevé qui aura des effets importants, provoquant des changements profonds dans les domaines de l’industrie, des services et de l’Internet des objets (IOT). Pour les utilisateurs de smartphones, il n’y a pas réellement un grand apport, outre la vitesse très rapide de téléchargement. En effet, la 5G permet d’atteindre des débits 10 fois plus élevés qu’en 4G. Pour les férus de jeux vidéo hébergés en ligne, elle va permettre une plus grande réactivité. Mais le secteur qui va être le plus impacté par l’arrivée de la 5G, c’est bien le secteur de l’industrie. Cette nouvelle technologie aura une forte incidence sur l’industrie 4.0, dans la mesure où elle va permettre, grâce au temps de latence faible de commander à distance des unités industrielles. Evidemment, la migration vers la 5G, dans les domaines des services et de l’industrie, nécessite des équipements adéquats de pointe, un réseau très fiable, une formation aux nouveaux métiers, etc. La solution 5G peut également être utilisée dans l’agriculture intelligente, le transport, la sécurité, via ce qu’on appelle l’Internet des objets (IOT), outre la télémédecine.

Dans le monde, les répercussions de la 5G sur la santé et sur l’environnement font polémique. Est-ce que la 5G a des répercussions néfastes sur la santé ?

Les répercussions de la télécommunication mobile sur la santé ont, depuis toujours, fait l’objet de débats, notamment à l’échelle internationale. Le champ électrique induit par les ondes électromagnétiques produites par les antennes 3G, 4G ou 5G est soupçonné d’avoir un impact sanitaire sur les riverains qui habitent à proximité.

A ce jour, aucune relation directe pouvant exister entre les ondes émises par les antennes et des maladies bien précises touchant les riverains, n’a été prouvée. Cependant, l’OMS recommande une distanciation par rapport aux antennes (avec des distances préconisées), notamment pour les jardins d’enfants et les hôpitaux.

En Tunisie, on manque de réglementations sur le seuil maximal d’exposition au champ électrique. En 2004, l’Ancsep a publié une note qui fixe un seuil maximal de 41 volts par mètre pour les fréquences de 900 Mégahertz pour le GSM et de 58 volts par mètre pour les fréquences de 1.800 Mégahertz. Après, il n’y a pas eu d’actualisation pour les autres fréquences. Le débat a commencé avec la 3G, la 4G et il va continuer d’enfler autour de l’impact sanitaire de la 5G.

A vrai dire, le problème se pose pour la 5G, parce qu’elle nécessite le déploiement d’un nombre important d’antennes, donc le risque est plus important pour les habitants dans les parages. En France, les réseaux 5G qui seront déployés devront respecter les valeurs limites qui oscillent entre 28 volts par mètre et 87 volts par mètre suivant les fréquences utilisées. Il sied de noter ici qu’il y a trois bandes de fréquences qui sont nécessaires pour le déploiement de la 5G, à savoir les bandes de 700 Mégahertz, de 3,5 Ghz et de 26 GHz. Je pense que pour la Tunisie, on doit profiter de ce débat pour légiférer sur la question de l’exposition aux ondes et à mon sens l’Agence nationale des fréquences devrait élaborer, avec le concours du ministère de tutelle, une réglementation qui fixe le seuil maximal d’exposition des habitants aux champs électriques induits par les ondes électromagnétiques. Laquelle réglementation fera l’objet de référentiel en cas de litiges. D’une manière générale, je dirais qu’il faut prendre les précautions nécessaires, mais il ne faut pas arrêter la technologie. C’est le rôle du législateur et des autorités de tutelle de trouver cet équilibre, tout en avançant dans la technologie. S’inspirer de ce qui se passe à l’échelle internationale et tirer les leçons des expériences qui ont été réalisées.

Est-ce qu’il y a un problème de protection de données avec la 5G ?

La protection des données fait débat. Pour les réseaux sociaux aussi, la question des données personnelles s’impose et certains pays comme la Chine et la Russie ont conçu leurs propres réseaux sociaux. Pour les télécommunications mobiles, on parle de “portes dérobées”, au niveau de l’infrastructure des équipements. Est-ce qu’il y a, vraiment, des équipements auxquels on peut accéder à distance pour récupérer des informations qui ne sont pas publiques? Je ne peux pas trancher sur la question. C’est au gouvernement d’évaluer et de faire les tests nécessaires. L’essentiel pour nous c’est qu’en déployant la 5G, les données des citoyens et de l’Etat doivent être protégées.

Pourquoi le débat sur les données a été déclenché avec la 5G et n’a pas eu lieu avec la 4G ?

A vrai dire, il y a eu un débat avec la 4G mais le débat a enflé autour de la 5G parce que le flux des données transmises est très important.

Quels sont les principaux fournisseurs 5G? Est-ce qu’il y a une différence entre les solutions qu’ils proposent ?

La 5G est une technologie très développée, ce qui veut dire qu’il n’y a pas beaucoup de fournisseurs dans le monde. C’est pour cela que le débat est public. Les principaux fournisseurs sont Huawei, Nokia et Ericsson. La technologie conçue est normalisée. Les équipements fabriqués par les divers fournisseurs doivent être conformes à des normes bien précises, notamment l’ETSI (European Telecommunications Standards Institute), parce qu’ils vont communiquer entre eux quel que soit le fournisseur ou l’opérateur. Mais le choix d’un fournisseur dépend de la performance, de la qualité et du coût de la technologie proposée. Pour évaluer chacun des critères mentionnés, il faut faire des tests. Le choix, que doit faire la Tunisie, doit être aussi basé sur la valeur ajoutée que le fournisseur peut apporter au pays. Et je pense que pour ce faire, il faut mettre en place des sites pilotes. Le déploiement mais aussi l’exploitation de la 5G sont différents du déploiement de la 4G. Ça va se faire progressivement.

Donc, vous dites que la Tunisie n’est pas encore prête pour une migration vers la 5G ?

Je n’ai pas dit que nous ne sommes pas prêts. Mais pour tirer profit de l’exploitation de la 5G et en faire un créateur de richesse, je préconise une période d’essai durant laquelle on teste la technologie et on se prépare, notamment en termes de formation aux nouveaux métiers qui vont émerger suite à l’arrivée de la 5G.

Pour ce faire, la Chambre nationale des intégrateurs des réseaux télécom (Cnirt) propose de créer des sites pilotes en partenariat avec les opérateurs et les universités. On peut prendre l’exemple de la médecine. On peut créer un site pilote dans l’une des facultés de médecine et voir si on est en mesure d’en faire un pôle de télémédecine. Pareil pour les industries, on peut créer des sites pilotes avec les écoles d’ingénieurs pour exploiter toutes les possibilités émanant de l’application de la 5G. L’objectif est de former la main-d’œuvre aux nouveaux métiers. On devrait amorcer cette stratégie en 2021, et entamer le déploiement de la 5G vers la fin de 2022 puisqu’en Europe le déploiement a été désormais amorcé l’année dernière. Ces deux années-là nous permettront d’évaluer le retour d’expérience. Entretemps, on doit parachever le déploiement de la 4G. Aujourd’hui, le taux de couverture 4G est de 90% selon le ministère de Télécommunication et de 80% selon l’Instance nationale des télécommunications (nos estimations sont de 85%).

Beaucoup parlent aussi de mobilité grâce

à la 5G ?

Absolument. Si on prend l’exemple d’une usine dont le cœur battant est basé en Allemagne, et dont la filiale est implantée en Tunisie, on peut depuis l’Allemagne télécommander les appareils, en temps réel, sans se déplacer pour faire de la maintenance, par exemple. C’est le cas aussi pour la télémédecine, pour les sociétés de service, etc.

Comment se déroule le déploiement de la 5G?

L’Etat tunisien vend les fréquences aux opérateurs téléphoniques, que ce soit aux enchères ou suivant une autre méthode. Le processus de vente est à discuter. J’ai toujours dit qu’il faut débattre ensemble du modèle de vente à adopter et y impliquer tous les intervenants. C’est un modèle qui devrait être gagnant-gagnant qui assure un retour sur investissement pour tous les acteurs et qui profite à tous les agents économiques, y compris l’Etat. Il ne faut pas oublier qu’en termes de coût nous devons être compétitifs, à l’échelle internationale, parce que la 5G est un facteur de compétitivité qui va drainer les investisseurs souhaitant s’installer dans des pays où la 5G est déployée.

L’objectif est de partir de la technologie pour créer de la richesse et de l’emploi. Une fois les licences d’exploitation des fréquences 5G octroyées, les opérateurs vont faire appel aux constructeurs. Du fait qu’il y a un débat sur la question, je trouve qu’il est judicieux de faire un bilan des divers fournisseurs avec lesquels on a travaillé durant les 15 dernières années. Lequel bilan sera indexé sur la valeur ajoutée des solutions réseaux apportées par chaque fournisseur en termes de création d’emplois, de transfert de technologie, etc. Mais aussi, voir les fournisseurs qui sont prêts à investir dans la sous-traitance en Tunisie, comme c’était le cas avec l’industrie automobile.

Je veux ajouter que la 5G figure parmi les diverses solutions pour le très haut débit. Dans le plan Tunisie digitale 2020, on a programmé de déployer, en 2020, le très haut débit sur toute la Tunisie avec un budget de 1.000 millions de dinars. Mais malheureusement, on constate que cet objectif n’a pas été atteint et le très haut débit demeure très peu développé. On est en train de le déployer à travers les solutions ADSL, VDSL 2 et la fibre optique. La 5G est une solution qui nécessite l’implémentation de la fibre optique et je pense qu’il faut saisir l’occasion et en profiter pour généraliser la technologie FTTH Fiber To The Home, la Fibre jusqu’à la maison.

Vous estimez que la 5G aura un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie ?

La 5G est avant tout un atout de compétitivité pour le pays. Si par exemple, la 5G est déployée au Maroc, nous n’avons plus d’excuses pour retarder son déploiement en Tunisie. La 5G peut être un critère de choix pour les investisseurs étrangers. Il est vrai que son déploiement est tributaire d’une infrastructure de base, mais cette infrastructure peut être développée au fur et à mesure des besoins du marché. L’essentiel est d’amorcer le processus.

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