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Tribune | Du «pain sur la planche» pour relancer la machine énergétique

Par Ali Gaaya-Consultant international en Géosciences Pétrolières

Dans le cadre de la transparence, et en vue de mettre à la disposition des professionnels, comme du grand public, le ministère de l’Energie publie (sur le site du ministère de l’Industrie) une base de données quasi complète des activités relatives à l’énergie, dont celles relatives aux activités pétrolières telles que les contrats pétroliers, les statistiques des activités d’exploration et de production passées et en cours, ainsi que les énergies renouvelables.

Un bilan globalement négatif

Que peut-on dire du bilan de l’année qui vient de s’écouler, sinon que le fardeau de l’importation des hydrocarbures sur la Balance commerciale a été allégé (-7,5 milliards de dinars-MdD en 2019, et -4,6 MdD en 2020), du fait de l’impact de la pandémie sur la diminution de la consommation et la chute du prix du baril (moyenne de 64 $/b en 2019, et 42 $/baril en 2020). Pour le reste des activités E&P, les paramètres restent au rouge et alarmants. Le déficit de l’énergie primaire reste élevé, voisin de 5 millions de Tep ou 35 millions de barils équivalent pétrole (Mbep). Quant à notre indépendance énergétique, elle ne dépasse pas les 43%, alors que l’on était exportateur net de pétrole jusqu’en 2000 où on avait atteint l’équilibre!

Une exploration en berne

Même si le nombre de permis d’exploration est relativement constant durant les 3 dernières années entre 21 et 25 permis en activité, il ne faut pas se leurrer, car, en 2020, parmi les 24 permis recensés, huit (8), sont des permis dits de prospection où seule l’acquisition de données sismiques constitue les obligations de travaux pendant 2 ans, et aucun forage n’est exigé.

D’ailleurs, en 2020, il n’y a pas eu de nouvelles acquisitions sismiques, et un seul forage d’exploration -appréciation a été foré ! En comparaison, jusqu’en 2010, on disposait de 52 permis ou plus, et les opérateurs foraient entre 10 et 15 puits par an, et il en faudrait environ 20 forages pour renouveler nos réserves, ce qui bien loin du compte. Ce qui est grave donc, c’est que l’on est en train d’hypothéquer l’avenir énergétique du pays, car l’on consomme nos réserves en pétrole et gaz, déjà bien limitées, sans possibilité de les renouveler, même en partie!

Une production qui risque la « panne sèche »

La production continue sa dégringolade inéluctable : d’environ 35.000 barils par jour (b/j)/j en 2019, la production pétrolière est réduite à 32 000 b/j en 2020, soit une diminution annuelle d’environ 8.5%, aggravée par des tensions sociales, qui ont causé beaucoup de dégâts à ce secteur déjà sinistré par diverses campagnes de dénigrement injustifiées…! Rappelons que la production pétrolière a culminé à 118.000 b/j en 1980, et était voisine de 80.000 b/j en 2010!

La fermeture de la vanne d’El Kamour durant plus de 3 mois (du 16/07 au 05/11/2020) a causé la réduction progressive ou l’arrêt de la production pétrolière et gazière dans la plupart des champs du sud selon la capacité de leur stockage. D’ailleurs, à l’ouverture de la vanne, la reprise de la production a continué d’enregistrer une baisse sensible allant de 22% à 43% dans plusieurs champs, et certains puits n’ont pas pu être remis en production. Et dire que le « groupe de coordination d’El Kamour » menace, en ce début d’année 2021, de fermer de nouveau la vanne d’expédition du pétrole… Où allons-nous !?

Des Energies Renouvelables à l’ombre de la bureaucratie

Pour ce qui est des Energies Renouvelables (ER), ce secteur, censé diminuer le déficit énergétique, souffre manifestement d’une bureaucratie, voire d’un freinage qui ne dit pas son nom, incompatibles avec une bonne gouvernance de ce secteur stratégique. En effet, des projets, initiés en 2018 ou 2019, ne sont toujours pas concrétisés, et la production d’électricité à partir du photovoltaïque et/ou de l’éolien est toujours «au point mort»…! Sa part dans le mix de production d’électricité ne dépasse guère les 3% ; le restant, soit 97% sont fournis par le gaz. Le modeste objectif des 30% d’ER dans la production électrique en 2030 est encore bien loin et certainement pas atteignable à ce rythme. D’autres pays tels que le Danemark, l’Irlande ou l’Allemagne, pourtant moins bien nantis que notre pays en énergie solaire et éolienne, ont déjà dépassé la barre des 30% dans leur production électrique …

Un avenir peu reluisant, à moins que…

En conclusion, et au vu de la situation actuelle, du manque de vision à moyen et long termes de nos décideurs, ainsi que de l’instabilité politique et sociale qui prévalent dans notre pays, le secteur de l’énergie risque malheureusement de continuer à impacter négativement et dramatiquement notre économie, le développement de notre pays et le bien-être de nos concitoyens … à moins que:

-une « trêve politique et sociale » soit décrétée pour quelques années, afin de favoriser l’investissement national et étranger, surtout que le secteur de l’énergie est particulièrement capitalistique

-préparer un environnement et une législation attractifs, favorables à l’investissement dans les secteurs des hydrocarbures et des énergies renouvelables, tout en minimisant l’aspect bureaucratique

-relancer l’exploration, et adapter le code des hydrocarbures au contexte international et à l’exploration des zones géologiquement complexes telles que le nord du pays,

-encourager la mise en production des découvertes dites « marginales » telles que celles de Birsa, Cosmos ou Yasmine dans le Golfe d’Hammamet, ainsi que l’amélioration de la récupération dans les gisements en cours de production, tels qu’Ashtart ou El Borma (récupération tertiaire telle que l’injection de CO2.

-inclure dans tous types de contrats une part du budget dévolue à la « Responsabilité sociétale », en vue de faire participer les populations locales et les intéresser aux projets prévus dans leur région, y compris pour les projets offshore

– initier l’exploration et le développement des hydrocarbures non conventionnels, dont ce qui est communément appelé « gaz et pétrole de schiste »surtout que le prix du baril, actuellement de 60 $/b, et qui pourrait augmenter davantage, commence à être favorable pour de tels projets. Rappelons que les ressources de ces hydrocarbures sont estimées, rien que pour le sud tunisien, à environ 1.5 milliard de barils de pétrole et à 640 milliards de m3 de gaz, soit autant que ce qui déjà été produit en Tunisie depuis les premières découvertes techniques de pétrole, il y a environ un siècle, et 8 à 10 fois le volume de gaz déjà produit depuis la découverte en 1949 du gisement de gaz de Jebel Abderrahmane, au Cap Bon! L’enjeu sur le plan économique et de l’emploi est donc de taille, d’autant que les aspects environnementaux sont maintenant bien maîtrisés.

NB : Les analyses et idées exprimées dans cet article sont celles de leur auteur, et n’engagent aucunement l’Onem qui a publié ces données, ni les associations professionnelles (ex.Atpg) ou sociales (ex.Aas)

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