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Transition de l’économie digitale | Menace et opportunité

L’économie numérique est associée à une nouvelle révolution industrielle touchant des sphères sociales, économiques, politiques et culturelles. En effet, les comportements des consommateurs ont été modifiés, le fonctionnement et l’organisation des entreprises transformés, notamment par l’amélioration des chaînes de valeur, des processus de production, d’organisation managériale et leur business model ne cesse d’être remis en question.

Après près de vingt années d’évolution, l’économie numérique est devenue un vecteur de croissance, de productivité et de compétitivité des entreprises et des pays. Son caractère transversal impacte tous les secteurs de l’économie, ainsi que l’environnement des entreprises, les particuliers, les ménages et leur comportement

L’utilisation des TIC a favorisé la dématérialisation de la distance physique pour créer, développer et partager les idées des utilisateurs, donnant lieu à de nouveaux concepts, nouveaux contenus et, par conséquent, à la naissance d’une nouvelle génération d’entrepreneurs et des marchés.

Effet macroéconomique

En termes de contribution directe, l’économie numérique a un effet macroéconomique résultant de l’augmentation de l’investissement productif des entreprises, investissement dans les biens corporels : équipements et matériels numériques ou incorporels : logiciels utilisés dans le processus de production.

Par ailleurs, l’innovation numérique engendre des externalités de «réseau» : plus les innovations numériques sont largement diffusées et adoptées, plus les bénéfices seront importants (effet d’apprentissage, économies d’échelle). La transformation numérique apporte bien des avantages pour certaines entreprises prêtes à adopter le changement. De même, la dématérialisation de distances élimine les barrières à l’entrée sur certains marchés.

La Tunisie ambitionne de se positionner en hub technologique régional. Pour ce faire, les autorités tunisiennes ont élaboré plusieurs plans stratégiques nationaux, dont le plus récent est le plan national «Tunisie Numérique 2020» avec une enveloppe globale de 5,5 milliards de dinars pour la période 2014-2020 (1/3 public, 2/3 privé), visant à faire de la Tunisie une référence numérique internationale et à promouvoir les TIC comme levier essentiel pour le développement socioéconomique du pays. En outre, le plan ambitionne la création de 95.000 emplois sur 5 ans et permettra d’augmenter les exportations de 1 milliard à 6 milliards de dinars en 2020.

Changement de paradigme

La transformation numérique nécessite le développement d’une industrie nationale, de l’offshoring et de l’innovation ainsi qu’un environnement juridique et réglementaire, une politique de formation et de développement des compétences ainsi qu’une culture de confiance dans le numérique.

D’après Mustapha Mezghanni, ingénieur en informatique, «les outils puissants de l’informatique et de la connectivité permettent des transactions directes et efficaces entre les acteurs primaires, de consommation finale, dans l’immobilier, le transport, les finances, le commerce, le tourisme, etc. Ce mode court-circuite les intermédiaires classiques. Il pose un problème majeur de désintermédiation, financière, commerciale et économique, et remet en cause la mission même de certaines institutions comme les agences immobilières, les agences de voyages, etc».

Et d’ajouter que «la Fintech (Financial technologies) permet de créer des cryptomonnaies. Elle permet aussi l’intermédiation directe entre les acteurs finaux et représente une menace mettant en cause le rôle, à l’origine fondamental, d’intermédiation financière des banques et des institutions financières. Ainsi, le secteur financier, comme l’Etat et l’Administration, a besoin d’un changement radical de paradigme. C’est aussi le cas de plusieurs autres secteurs».

Le numérique, un secteur économique à haut rendement

Le débat organisé récemment par le Forum Ibn-Khaldoun, pour le développement sur l’économie numérique, indique que les investissements et les subventions directes ou indirectes sont minimes dans le numérique par rapport à ceux consentis dans d’autres secteurs, par l’investisseur et par l’Etat pour la création de l’infrastructure nécessaire ou pendant l’exploitation.

Pourtant, le secteur économique de l’informatique en Tunisie est relativement important. La Tunisie dispose, en 2017, de près de 2.126 très petites, petites et moyennes entreprises actives dans le secteur du numérique. Elles employaient en moyenne 11.5 personnes par entreprise et au total 24.451 personnes, dont 17.603 dans le secteur public. Ces entreprises, qui ne représentaient que 2.1% du total des entreprises, représentaient 10.7 % du total des entreprises étrangères. En 2016, le chiffre d’affaires de ces entreprises s’est élevé à 2.113 millions DT (dinars tunisiens). Durant la même année, elles ont exporté pour 867 millions de dinars, c’est -à-dire près de 41% de leur chiffre d’affaires avec une bonne valeur ajoutée, une bonne résilience et un taux de survie après 5 ans de 75%. Le secteur avait un taux de couverture exceptionnel de plus de 340%.

Selon la même source, «l’adoption d’une politique de formation de compétences informatiques n’a pas été accompagnée par une stratégie industrielle adéquate de développement du secteur et de promotion d’investissements directs nationaux et étrangers. Cette incohérence a abouti à la mise sur le marché d’un nombre de diplômés dépassant largement la capacité d’absorption des TPE et des PME en place». En 2016-2017, pour les 2.126 entreprises du secteur employant 24.456 personnes, c’est-à-dire en moyenne 11.5 personnes par entreprise, l’université accueillait 40.797 étudiants TIC et mettait sur le marché, en 2016, 10.501 diplômés TIC dont 2.602 ingénieurs. Les ingénieurs informaticiens constituaient plus de 34% des ingénieurs.

Source d’inquiétude, facteur d’espoir

La nouvelle révolution que vit le monde constitue une profonde rupture. Elle bouleverse profondément les relations entre les gouvernants et les gouvernés et modifie radicalement les repères conventionnels en matière de gouvernance et de gestion. «Elle est, comme tout changement majeur, une source d’inquiétude et d’appréhension et, en même temps, un facteur d’espoir ouvrant d’importantes perspectives et offrant de formidables opportunités pour tous ceux qui savent négocier avec succès le virage de la transformation numérique».

A l’heure de la mondialisation et des pandémies, le numérique présente une grave menace au paradigme actuel conventionnel de l’Etat et de l’administration. La transformation numérique est, à ce titre, un dossier particulièrement urgent à instruire pour faire face à cette menace.

En effet, «le numérique permet de collecter et de loger globalement des données massives et multimodales, numériques, graphiques, audiovisuelles, etc. Il permet aussi d’accéder aux plateformes, aux centres et aux échanges de données, indépendamment du lieu, de la distance et des frontières de souveraineté et des Etats. Il pose ainsi des questions et des défis d’extraterritorialité, de souveraineté, de sécurité et de protection des données publiques et privées pour les Etats, les entreprises et les personnes».

En outre, «il facilite la mondialisation aux multinationales et leur permet de distribuer globalement leurs activités et de profiter des paradis fiscaux pour minimiser les impôts sur les bénéfices. D’où un risque majeur d’évasion fiscale et de perte de revenus fiscaux pour l’Etat. La nouvelle puissance des outils de la technologie informatique et de la connectivité, l’Internet et l’Internet des Objets, Facebook, LinkedIn, etc. permet aussi de créer des cryptomonnaies. Elle donne ainsi un pouvoir de création monétaire aux personnes physiques et morales, en dehors de l’autorité des banques centrales et de l’autorité des politiques monétaires de l’Etat. De même marginalise-telle la mission principale d’intermédiation classique des agences et des institutions immobilières, financières, touristiques, etc.».

Ces menaces demandent un changement radical du paradigme de l’Etat et de l’administration et font de la transformation numérique un dossier national grave, stratégique et urgent.

Cependant la transformation numérique ne représente pas que des menaces. Bien au contraire, elle permet de réaliser un changement majeur de productivité et de paradigme de gouvernance et de prestation des services de l’administration aux citoyens-clients, aux entreprises et à tous les acteurs de la société.

Des initiatives stratégiques non coordonnées, intermittentes

Le conférencier souligne que «la situation actuelle du secteur est aussi le fruit d’initiatives stratégiques intermittentes et non coordonnées telles que la création du CNI, de l’Irsit, du Cbmi, de l’ATI, du parc technologique El Ghazala, et d’autres parcs, de Smart Tunisia, de Digital Tunisia 2020, du Startup Act, etc.

Ces initiatives stratégiques ont manqué de cohérence, de coordination et de continuité comme en témoigne, notamment la faible taille des entreprises dans le secteur de l’informatique, soit en moyenne 11,5 personnes par entreprise. Cela, outre l’inadéquation entre la politique industrielle du secteur et la politique de formation, l’absence de grands noms de multinationales du secteur, l’existence de législations inachevées et/ou non mises en vigueur, comme dans le cas de l’introduction des factures électroniques…

Le numérique est aussi une opportunité. Il est à la fois un secteur économique et un outil de gouvernance pour l’Etat et l’administration, un secteur à fort potentiel de création de valeurs économiques, d’emplois de haut niveau et d’exportations, au court, moyen et long termes.

«L’absence d’une vision, d’une stratégie cohérente, continue, et coordonnée, de volonté et de leadership politiques ne lui a pas permis d’en tirer le maximum. Ce déficit de vision et de cohérence stratégique s’est aussi traduit par un exode digital important. La fuite de compétences a fait subir à la Tunisie un coût d’opportunité important en valeur économique, en emplois et en exportations».

La même source précise qu’une politique industrielle plus volontariste, plus affirmative, plus continue, mieux coordonnée et plus ambitieuse pourrait tourner le numérique en un levier majeur de développement. Mieux encore, une politique proactive de mobilisation de la diaspora peut mettre à profit la fuite de compétences au service de la politique industrielle sectorielle. Elle pourrait optimiser l’exode digital et tourner la fuite de compétences et la diaspora tunisienne en un vecteur de promotion des investissements directs étrangers, de transfert de technologie et de participation efficace à la recherche scientifique, et à la recherche et développement.

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