Accueil Economie Supplément Economique Recherche et développement agricoles | Nouri Khammassi, responsable du Programme de recherche à l’Inrat :«Vers la diversification de l’assortiment variétal de la pomme de terre en Tunisie»

Recherche et développement agricoles | Nouri Khammassi, responsable du Programme de recherche à l’Inrat :«Vers la diversification de l’assortiment variétal de la pomme de terre en Tunisie»

L’Institut national de la recherche agronomique de Tunisie (Inrat), en collaboration avec le Centre de recherche sur la pomme de terre en Hongrie (Burgonyakutatási Központ), travaille sur l’introduction et l’évaluation d’une nouvelle variété de pomme de terre, sélectionnée pour sa résistance aux principales maladies virales, sa tolérance au mildiou, ainsi qu’au stress hydrique et thermique, son rendement élevé et sa bonne qualité culinaire. En raison de ses caractères très recherchés, qui pourraient être bénéfiques dans le contexte de production tunisien, la partie hongroise a proposé à l’Inrat l’introduction et l’évaluation de ce cultivar dans les conditions de culture locales : point de départ pour un programme de coopération en matière de co-obtention variétale à plus long terme. Le Pr Khamassi Nouri, principal responsable du projet, nous fournit d’amples éclairages sur cette nouvelle expérience et ses perspectives.

Quelle est l’importance de la pomme de terre en tant que culture vivrière et quel est le rôle de la variété comme composante du rendement ?

Les changements climatiques seraient, en partie, à l’origine de l’instabilité de la production et de la qualité des variétés de pomme de terre les plus cultivées dans le monde. Ainsi, ces variétés ont été, souvent, soumises à des contraintes abiotiques (hydriques et thermiques…) et biotiques (maladies et insectes…), réduisant leurs performances quantitatives et qualitatives et, par la suite, la rentabilité de la culture. Les stations internationales de création variétale ont eu recours à la sélection de nouveaux clones génétiquement plus résistants à ces contraintes. Ainsi, la pomme de terre, quatrième culture vivrière du monde, pourrait continuer à jouer ce rôle stratégique tout en préservant l’environnement : produire plus avec moins (de pesticides, d’eau, d’engrais…).

Pourquoi cherche-t-on toujours de nouvelles variétés malgré la diversité de l’assortiment variétal tunisien ?

Malgré une longue liste de variétés de pomme de terre inscrites au catalogue national (plus de 80 cultivars en 2020), depuis des années, la Spunta reste la principale variété de pomme de terre cultivée en Tunisie (plus de 80% des emblavures). C’est une variété à haut rendement et très adaptée aux différentes saisons de culture. Cependant, elle reste sensible au stress (hydrique  et thermique) et affectée par beaucoup de maladies virales, bactériennes et fongiques.

Ainsi, certaines souches de virus affectent les cultures de pomme de terre partout dans le monde, dont la Spunta. Le plus connu et le plus dangereux est le PVY et ses nombreuses souches. Considéré comme le virus de pomme de terre le plus préjudiciable, le PVY peut entraîner des baisses de rendement allant jusqu’à 50%, et même 80% pour des variétés sensibles ou dans le cas de co-infection avec d’autres virus. Certaines souches (cas du PVYntn) peuvent provoquer des nécroses sur les tubercules. Le deuxième c’est le virus de l’enroulement de la pomme de terre (Plrv) qui est aussi présent dans toutes les régions productrices de pommes de terre. Le Plrv affecte peu les rendements dans le cas de l’enroulement primaire, mais occasionne des pertes importantes de rendement et de la qualité des tubercules dans le cas de l’enroulement chronique. Par ailleurs, ces viroses constituent un facteur limitant pour tout programme de production de semences certifiées. A cela s’ajoute le mildiou, qui est une maladie fongique redoutable provoquée par le champignon « Phytophthora infestans ». De par son incidence sur les rendements et la qualité, le mildiou est actuellement la principale maladie fongique des cultures de pomme de terre. De nos jours, malgré leurs rendements élevés, très peu de variétés présentent des niveaux élevés et stables de résistance aux viroses, au mildiou et aux autres maladies. Pour cela, les sélectionneurs continueront à chercher des cultivars plus résistants aux principales maladies, adaptés aux stress abiotiques, à hauts rendements et de bonne qualité. Ainsi, le recours aux nouvelles biotechnologies, comme la mutagénèse, la transgénèse et la cisgénèse… constitueraient les nouvelles approches de création de variétés et/ou d’hybrides plus résistants, plus adaptés et plus productifs et ce, durant la prochaine décennie.

Mais la création de nouvelles variétés est un travail coûteux et de longue haleine. Donc, le choix du partenaire n’est pas laissé au hasard. Pourquoi l’obtenteur hongrois ?

L’Institut national de la recherche agronomique de Tunisie (Inrat), en collaboration avec notre partenaire hongrois, a initié un travail de recherche/développement, visant l’introduction, l’évaluation et la sélection de nouvelles variétés de pomme de terre plus résistantes aux maladies et aux stress hydriques et thermiques avec des rendements quantitatifs et qualitatifs intéressants. La première phase de ce programme s’est intéressée à la nouvelle variété hongroise baptisée ‘’Golden River’’. Cette variété a été sélectionnée pour sa résistance aux principaux virus (PVY et Plrv), au nématode (Globodera.R) et sa tolérance au mildiou (Phytophthora.I). De plus, elle est déclarée tolérante aux stress thermiques et hydriques. Par ailleurs, elle est réputée pour son rendement élevé avec une bonne qualité (plus de 20% de matières sèches dans les tubercules). Ces caractères, très recherchés en Tunisie, feront l’objet d’un ensemble de tests permettant l’évaluation de leurs niveaux dans les conditions locales de culture de la pomme de terre. Les performances de ‘’Golden River’’ dans les conditions de culture tunisiennes, comparées à celles du témoin « variété Spunta », conditionneront sa candidature pour une éventuelle inscription au Catalogue national des variétés. L’inscription permettrait l’exploitation commerciale de cette nouvelle variété pour la production conventionnelle et, surtout, biologique.

Actuellement, les obtenteurs européens présentent chaque année de nouvelles variétés candidates à une éventuelle inscription au catalogue national tunisien. Ainsi, une vingtaine de cultivars sont évalués selon un protocole expérimental standard par le service d’évaluation et d’inscription des obtentions végétales du ministère de l’Agriculture. Dans le cas de la variété ‘’Golden River’’, l’obtenteur a préféré passer par un travail de recherche et de « pré-screening », permettant une meilleure caractérisation des performances de ce candidat dans les conditions de culture tunisienne.

D’ailleurs, le partenaire tunisien (l’Inrat) a exigé l’introduction du cultivar sous forme de semences de base (Minitubercules certifiés indemnes de toutes maladies) pour éviter les défauts aléatoires et évaluer son adaptation au calendrier tunisien de multiplication et production de la pomme de terre, relativement complexe comparé au calendrier hongrois (4 saisons en Tunisie contre 1 saison en Hongrie).

Par ailleurs, ce travail d’introduction et d’évaluation (durant 2021 et 2022) constituerait une première étape d’une collaboration à moyen et long termes dans le domaine de la création, la co-obtention variétale et la production de semences de pomme de terre et d’autres espèces végétales. Et puisque les conditions en Hongrie ne sont pas les mêmes en Tunisie, avant même de s’engager dans ce chantier énorme, il faut tester cette nouvelle variété pour pouvoir continuer et avancer dans ce chemin long.

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce processus et les grandes lignes de votre protocole expérimental ?

Suite à une convention qui a été signée fin janvier 2021 avec notre partenaire hongrois, un travail d’évaluation sera établi pendant une période de deux ans (2021-2022).

Pour 2021, il y a tout d’abord la phase d’évaluation (pré-screening) et de multiplication (production de semences classe SE) en culture de saison 2021 : les minitubercules ont été plantés début février dans 3 sites différents, à savoir  l’Ariana avec un sol relativement lourd (parcelle d’évaluation), Zaghouan avec un sol moyen (parcelle de multiplication) et Téboulba (zone côtière) avec sol sablonneux (parcelle d’évaluation), en plus d’une culture hors sol (en pots) et sous insect-proof pour l’évaluation de la résistance aux viroses (test artificiel).

Ensuite, des paramètres de croissance et de développement seront évalués en cours de cycle. Puis, à la récolte, d’autres paramètres seront évalués, tels que la maturité, le rendement, le taux de multiplication, la qualité de production… En post-récolte, des paramètres tels que la dormance, l’aptitude au stockage, la transformation… seront aussi testés.

S’agissant de la seconde phase, c’est celle d’évaluation des performances de la variété en cultures d’arrière-saison 21/21, de primeur21/22 et de saison 22/22 : Les semences SE (calibre 35/55) seront plantées selon les saisons (CAS, CP et CS) dans différents sites à la fois pour évaluer les performances et confirmer la stabilité des résistances et aussi pour identifier le niveau de tolérance du cultivar au mildiou en conditions de plein champ.

Au terme de cette seconde phase, les résultats obtenus permettraient une bonne caractérisation de la variété candidate et ses performances dans les conditions tunisiennes, par comparaison à des témoins bien connus. Elle serait, ainsi, une candidate sérieuse pour une inscription au catalogue national et, par la suite, pour une promotion commerciale. Dans le cas contraire, des informations importantes (interactions Genotype/Environnement) seraient mises à la disposition des partenaires pour mieux orienter les programmes de création et d’obtention à venir.

Quelles seront les perspectives de collaboration avec le Centre de recherche en Hongrie, en particulier, et avec les institutions de recherche agricole  des deux pays, d’une manière générale ?

A notre avis, et quel que soit l’aboutissement de cette étape de collaboration, les deux partenaires scientifiques, avec, certainement, l’appui des hauts responsables des deux pays, souhaiteraient vivement que cette initiative soit consolidée par une coopération scientifique et technique plus élargie (incluant d’autres espèces végétales).

A moyen terme, les efforts seront orientés vers le domaine de la création et la sélection de nouvelles variétés en co-obtention. A plus long terme, et grâce à la multitude de saisons de culture (correspondant à des conditions climatiques variables), la Tunisie  pourrait devenir une plateforme de création de variétés adaptées à l’Afrique du Nord et même pour l’Afrique de l’Ouest.

Enfin, les objectifs finaux seraient de valoriser le facteur variétal (génome/résilience) pour l’amélioration du rendement et de la qualité dans un contexte de changements climatiques, garantir une moindre dépendance en matière de cultivars et produire partiellement ou totalement des semences locales qui sont deux piliers de la sécurité alimentaire.

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