Ramadan incarne le moment idéal pour ressusciter l’Orient, ses nuits, ses veillées, ses splendeurs. Sur ce même grand thème, la Cinémathèque de Tunis a choisi, le week-end dernier, de consacrer un cycle de trois films documentaires aux divas arabes, Oum Kalthoum, Fairouz et Ismahan. Trois chanteuses cultes qui ont fait, chacune selon son style, ses airs et ses mots, chavirer le monde arabe et continuent à lui faire tourner la tête.
Est-ce un hasard si deux de ces documentaires ont été tournés par des femmes ? Shirin Neshat pour « Looking for Oum Kulthum » (2017) (A la recherche d’Oum Kalthoum) et Azza El Hassan pour « The Unbearable presence of Ismahan » (2014) (L’insupportable présence d’Ismahan). En réalité, dépassant le statut d’artistes, elles sont devenues pour les jeunes femmes arabes d’aujourd’hui des repères, des modèles, des exemples à suivre pour la force de leurs personnalités et pour avoir dépassé les tabous d’une société profondément patriarcale. Le troisième documentaire sur Fairouz datant de 1998, plus conventionnel dans sa mise en image et sa structure, est signé par Frédéric Mitterrand, grand spécialiste des biographies des stars et des rois au style très particulier, baignant dans une ambiance de nostalgie et de couleurs un brin surannée.
Gloire d’hier, décadence d’aujourd’hui
Shirin Neshat est une artiste vidéaste et photographe iranienne qui vit à New York. Elle est devenue internationalement connue en 1999, quand elle a obtenu le Lion d’or de la 18e biennale de Venise avec sa vidéo Turbulent. Son film sur la diva du Caire, moitié fiction, moitié documentaire, reflète en premier lieu une vision de plasticienne, la recherche iconographique étant pour elle, selon toute évidence, aussi importante que le récit qu’elle relate. « Looking for Oum Kulthum » raconte les périples d’une réalisatrice iranienne, Mitra, sur le tournage d’un film biographique sur la dame du Nil, « la quatrième pyramide égyptienne», comme l’a qualifiée le Président Jamal Abd Ennaceur lui-même, dans le film et dans la réalité. Le film explore l’enfance, les luttes, les sacrifices de cette chanteuse, et le prix de son succès : une immense solitude. Mais il montre aussi les difficultés de Mitra sur le tournage, l’opposition des hommes sur le plateau à un film dirigé par une femme. Mitra, qui pour arriver à finaliser son projet de quête de la personnalité d’une artiste devenue un mythe, fait face elle aussi à l’opposition de son mari et la perte de son fils.
Cette idée de télescopage entre les itinéraires d’une icône du passé et le vécu des femmes du 21e siècle se poursuit à travers le documentaire de l’Egyptienne Azza El Hassan. Aristocrate d’origine, magnifiquement belle et jeune, dotée d’une voix envoûtante, déclenchant les passions, mystérieuse, espionne à ses heures et enfin libre et libérée de tous les tabous, Ismahan continue à fasciner les hommes et les femmes des dizaines d’années après sa mort brutale dans un accident de voiture au bord du Nil. Dans le film, la réalisatrice s’adresse à la diva pour lui raconter la survivance de sa voix dans le monde d’aujourd’hui. Bien sûr le documentaire revient,à travers des archives en noir et blanc, sur la vie de l’artiste d’origine libanaise mais il s’avance également comme un prétexte pour évoquer la gloire du passé face à la décadence du présent, malgré les espoirs ouverts par la révolution égyptienne. Les Studios Masr où ont été tournés des chefs-d’œuvre du cinéma égyptien, dans lesquels a joué Ismahan l’actrice, aujourd’hui en ruine, symbolisent cet état de fait. Mais également le conservatisme de la société et de la rue face aux femmes, une situation à l’antipode de ces années 30 et 40 où a vécu pleinement libre Ismahan, la femme.
Un des personnages du film le dira : « Si Ismahan continue à émouvoir les foules et à rester aussi vivante, c’est que plus qu’une voix, ce sont des émotions profondes qu’elle exprime ». Une citation qui reste valable pour les deux autres divas arabes.