Par Jean CASTEX
En visite de travail depuis hier, le Premier ministre de la république française, qui se rend pour la première fois dans notre pays, a, dans un geste hautement symbolique et fort révélateur de la solidité des liens entre les deux pays, consacré sa première visite internationale à la Tunisie. Dans cette tribune, il souligne la nécessité d’écrire un nouveau chapitre de ce magnifique livre de l’amitié entre nos deux grands peuples.
Quand deux pays ont hérité de la mer Méditerranée en partage, ils ne sont pas simplement des pays amis mais des pays frères. Depuis des siècles, cette mer qui nous rapproche a été le principal chemin de nos échanges et une même source d’inspiration pour nos civilisations. La quatrième édition en septembre du Forum de la mer de Bizerte, belle initiative franco-tunisienne, nous le rappellera.
Certes, il y eut parfois des incompréhensions, des rapports de force, mais le temps est passé et cette mer partagée a d’abord créé un lien indissoluble.
Aujourd’hui, alors que nos deux pays viennent d’affronter une même crise, celle de la pandémie avec ses conséquences multiples, qu’elles soient économiques ou sociales, nos deux peuples se trouvent confrontés aux mêmes défis et cette amitié historique doit nous permettre de partager nos expériences pour trouver ensemble les meilleures solutions. Je veux, ici, saluer l’esprit de fraternité qui s’est révélée entre nos deux peuples pendant cette crise sanitaire. Au plus fort de la pandémie, la France a su être présente en apportant au peuple tunisien une aide matérielle, notamment en équipements médicaux.
Alors qu’en France, nous sommes en train de sortir prudemment du confinement et des mesures de restrictions, j’ai décidé, en accord avec le Président Emmanuel Macron, de consacrer ma première visite internationale à la Tunisie.
A travers ce déplacement, il s’agit pour mon gouvernement de rendre la visite en France du Président Saïed et du Chef du gouvernement tunisien, M. Hichem Mechichi, que j’ai eu le plaisir de recevoir personnellement à Matignon.
La troisième édition du Haut Conseil de coopération franco-tunisienne, que nous devons présider ensemble, offre une belle occasion de se retrouver.
Cet événement s’organise alors que nos pays livrent bataille depuis des mois contre le virus pour dessiner à tous nos compatriotes des perspectives plus heureuses en ce début de saison estivale. Cette bataille se gagnera grâce à la vaccination, devenue partout une grande cause nationale. Grâce à elle, nous pouvons espérer reprendre tous nos échanges, et permettre aux Tunisiens et binationaux résidant en France de rentrer au pays, tout comme aux touristes français et européens de venir se ressourcer grâce à la légendaire douceur de la vie tunisienne, à l’accueil de vos compatriotes et à vos si nombreuses infrastructures touristiques. Nos deux peuples partagent une même volonté de renouer avec la vie tout en protégeant leur santé et notamment celle des plus fragiles. Parmi eux, je sais aussi l’importance des étudiants, pour lesquels nous mettrons tout en œuvre pour que les échanges universitaires puissent reprendre leur cours normal à la rentrée prochaine.
Au-delà de ce travail commun, de ce partage d’expériences et d’expertises, pour une reprise réussie de nos échanges, je suis venu dire au peuple tunisien que la France, qui a salué dès 2011 sa révolution démocratique, entend bien assumer toute sa responsabilité économique vis-à-vis d’un pays frère et partenaire. En effet, avec près de 6,2 milliards d’euros d’échanges, soit près de 20 milliards de dinars, nos économies sont étroitement liées au bénéfice de nos deux pays. Pour la France, investir en Tunisie est une évidence. Avec les 4 milliards d’euros engagés par l’Agence française de développement dans votre pays depuis bientôt trente ans, plus de la moitié l’ont été depuis 2012 de façon à conforter l’élan démocratique de cette nation. Ces chiffres font aujourd’hui de la Tunisie l’un des principaux pays d’investissements de l’AFD dans le monde. Cet effort, en Tunisie comme en France, mon gouvernement a souhaité le tourner prioritairement vers la jeunesse. La jeunesse tunisienne est peut-être aujourd’hui l’une des plus scolarisées et des mieux formées du Maghreb. Cet effort national considérable que la Tunisie a consenti à fournir depuis plusieurs décennies pour la formation de sa jeunesse, la France l’accompagne. Je prendrai pour seul exemple l’Ecole nationale des ingénieurs de Bizerte dont le campus sera inauguré cette année ou encore l’Université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (Uftam) que nos deux pays portent depuis maintenant trois ans et dont je suis particulièrement fier.
C’est la première fois que je me rends en Tunisie. Je sais quel combat la société civile tunisienne, notamment sa jeunesse et évidemment les femmes exceptionnelles de votre pays, a dû mener pour gagner sa liberté et installer un régime démocratique. Si la France s’enorgueillit depuis plus de deux siècles d’être la patrie des droits de l’Homme, son histoire montre que l’instauration d’une république égalitaire en droit et démocratique en fait a été un processus particulièrement lent et parfois chaotique. La France, qui a mis près d’un siècle à instaurer puis à consolider son régime républicain, n’a de leçon à donner à personne et notamment à un pays qui vient de fêter le dixième anniversaire de sa propre révolution. Ce que je suis simplement venu dire ici, c’est que, dans le respect absolu de la souveraineté tunisienne, de sa culture politique, de son identité si particulière, la France soutiendra la Tunisie de toutes ses forces dans ce processus de transition. Dans une respectueuse et amicale relation d’égal à égal, cela va de soi. Le prochain sommet de la francophonie, qui se tiendra à Djerba dans moins de six mois, doit être l’occasion pour la France comme pour la Tunisie de rappeler que ce que nous avons en commun, une langue, une histoire méditerranéenne, des créations partagées l’emportent sur tout ce qui pourrait éventuellement nous séparer. Le talent d’Azzedine Alaïa et de Leïla Menchari ou encore la musique d’Anouar Brahem impressionnent les Français.
Enfin, personne ne peut oublier qu’en ouvrant son roman Salammbô par l’une des plus belles phrases de la littérature française, Gustave Flaubert lançait la langue française comme un pont immatériel entre nos deux pays : «C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar». Aujourd’hui, il nous appartient d’écrire les nouveaux chapitres de ce magnifique livre de l’amitié entre nos deux grands peuples.
J.C.
Crédit photos «Florian David & Benoît Granier/ Matignon»