Appels au boycott des produits turcs : Protéger la production locale sans tomber dans le chauvinisme économique

Les produits importés de Turquie sont de nouveau dans le collimateur d’un appel au boycott qui alimente les réseaux sociaux.

Une jeunesse anxieuse, frustrée, malheureuse et consumée par l’inactivité et la précarité se met aujourd’hui à rêver d’un emploi, d’un avenir meilleur, d’un pays prospère où il fait bon vivre. Depuis des années, les Tunisiens voyaient leur pouvoir d’achat se réduire et l’horizon se rétrécir. La jeunesse tunisienne, sans travail, sans projets d’avenir, tourne en rond. 

Aujourd’hui, il y a comme un sursaut, non suivi d’effets concrets certes, mais l’élan y est. Plusieurs initiatives sont lancées qui touchent invariablement plusieurs domaines, ça va de la plus farfelue à la plus sérieuse, nettoyer les villes, faire de la veille dans les «affaires de corruption», se faire vacciner, ou encore lancer des initiatives comme celle qui cible les produits turcs. Cette campagne n’est pas la première du genre, elle est même récurrente. Les produits turcs qui concurrencent durement le local ont inondé les marchés tunisiens. L’appel au boycott sonne donc comme une action citoyenne.

Soutenir la production locale, choix ou devoir ?

Très actifs sur Facebook, les internautes ne cessent de mettre en garde contre le déséquilibre commercial qui serait généré, entre autres, par l’accord de libre-échange signé avec la Turquie en décembre 2017, au désavantage de notre balance commerciale. Les auteurs de la campagne accusent la Turquie de pratiquer le «dumping» en vue de s’emparer du marché tunisien, notamment celui du textile. Plusieurs internautes se sont mobilisés pour appeler au boycott des produits turcs vendus à bas prix en Tunisie, parfois de meilleure qualité que les produits locaux, il faut bien le reconnaître. Mais ce n’est pas l’avis de l’un de nos interlocuteurs.

«C’est le devoir de chaque Tunisien de soutenir la production locale. Il n’est pas normal de maintenir la convention de libre-échange avec la Turquie. La niche fiscale est favorable à la production turque. N’achetez plus de produits turcs importés sauvagement, bas de gamme et superflus… La Turquie attaque notre pays avec notre propre argent», s’insurge un internaute.

Un autre interrogé par La Presse n’a pas de mots assez durs pour décrire cet état de fait, «révoltant». «Des centaines de pages Facebook proposent des produits et articles turcs à bas prix, dont la qualité est plus que douteuse. Il faut les dénoncer en recommandant à nos concitoyens de ne pas s’en procurer. Des dizaines de milliers de nos concitoyens ont été mis à la porte à cause de la fermeture des usines, poursuit-il dans la même veine. On peut citer nombre d’articles sanitaires dont le chromage disparaît en un mois. Les brouettes de couleur orange sont importées de Turquie, alors que le dernier de nos ferronniers peut en fabriquer autant qu’on voudra», explose un autre.

«C’est une priorité d’annuler cette convention de libre-échange de la honte. Comme ont fait l’Égypte, la Jordanie ou le Maroc qui avaient révisé leurs accords avec le pays d’Erdogan depuis 2019… Le prochain gouvernement se doit de prendre des mesures concrètes pour protéger les produits locaux qui subissent de plein fouet cette concurrence déloyale», réclame un autre face-booker.

Perte de milliers d’emplois

Les dernières statistiques publiées par l’Institut national de la statique et les données annoncées par le ministère des Finances prouvent, par a+b, une invasion des produits importés anarchiquement de la Turquie. En 2020, la convention du libre-échange conclue avec ce pays a causé un déficit commercial à hauteur de 60,4% de l’ensemble de la dette extérieure tunisienne. Les importations turques ont atteint, durant la même période, 2.588 millions de dinars, contre un chiffre insignifiant d’exportations. Alors qu’en 2006, les exportations de la Turquie sur le marché tunisien ne dépassaient pas les 416 MDT.

Les conséquences de ce déséquilibre dénoncé fermement par nos interlocuteurs n’ont pas tardé à se faire sentir, en impactant négativement plusieurs secteurs d’activités et services. Le tissu industriel, économique et commercial du textile, de l’alimentation, de l’eau minérale, des graines de tournesol blanches (dites glibettes), des viennoiseries et des biscuits, et toute une palette de produits sont en concurrence déloyale avec la production tunisienne, contre même les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Une violation caractérisée de l’accord de libre-échange, signé en 2005 entre les deux pays duquel les produits agricoles et agroalimentaires sont exclus.

Au niveau des pertes des postes d’emploi, selon l’Agence de la promotion de l’industrie et de l’innovation, le début de l’application de l’accord du libre-échange avec la Turquie s’est accompagné de la perte de milliers d’emplois, entre 2005 et 2015, dont 58% concerne seulement le secteur du textile. Comment protéger la production locale sans tomber dans le chauvinisme économique ? Là est toute la question.

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