La Tunisie fait face à une «dangereuse» pénurie de médicaments : Une spirale d’endettement sur fond de crise structurelle

Pour de nombreuses familles tunisiennes, notamment celles dont les membres souffrent de maladies chroniques, la situation est devenue difficile, pour ne pas dire alarmante. Au meilleur des cas, les pharmaciens suggèrent aux patients de prendre les médicaments génériques qui, visiblement, ne jouissent pas de la confiance des Tunisiens. Comment expliquer cette situation ? Qui en est responsable ? Comment y remédier dans l’immédiat?

Encore fois, ce sont les Tunisiens, et notamment les personnes vulnérables, qui payent le prix cher des politiques défaillantes de nos décideurs. Le pays fait face à une « dangereuse » pénurie de médicaments, et jusqu’à présent, pas de décision immédiate pour arrêter l’hémorragie, d’autant plus que la question émane d’une priorité, celle de la santé des citoyens.

«Je n’arrive pas à trouver mes médicaments pour préserver ma tension artérielle. J’ai fait le tour des pharmacies, contacté mes amies et ma famille, j’ai même pensé à le chercher dans d’autres gouvernorats, la situation est inquiétante. Je m’angoisse». C’est par ces mots que Hedia, une retraitée de 63 ans, raconte son calvaire suite à la pénurie de plusieurs médicaments.

Pour de nombreuses familles tunisiennes, notamment celles dont les membres souffrent de maladies chroniques, la situation est devenue difficile, pour ne pas dire alarmante. Dans les officines de pharmacie, la réponse est toujours la même pour certains médicaments : «Nous sommes en rupture de stock, allez voir dans une autre pharmacie ou revenez ultérieurement !»

Au fait, au meilleur des cas, les pharmaciens suggèrent aux patients de prendre les médicaments génériques qui, visiblement, ne jouissent pas de la confiance des Tunisiens. Comment expliquer cette situation ? Qui en est responsable ? Comment remédier immédiatement à la situation ?

Le nombre de médicaments introuvables a augmenté de manière effrayante. Actuellement, environ 532 médicaments sont en pénurie. Des médicaments pour les maladies cardiovasculaires, le diabète et autres sont manquants. C’est ce que confirme Nadhem Chekri, président de l’Association des pharmaciens, faisant état d’une « grave pénurie de médicaments en Tunisie».

Le plus dangereux, c’est que cette pénurie concerne, en effet, des médicaments vitaux tels que l’insuline, indispensable pour certains diabétiques, qui n’est plus disponible dans de nombreuses pharmacies, même dans le Grand Tunis.

Pour ce qui est des médicaments génériques, Nadhem Chekri explique que la majorité des citoyens refusent de les acquérir, affirmant que «le citoyen ne se rend pas compte que la différence réside uniquement dans le goût ou la couleur». «Ces génériques contiennent les mêmes substances que les médicaments originaux et ont pratiquement le même effet», soutient-il.

A qui la faute ?

Comment peut-on expliquer cette situation ? S’agit-il d’une crise au niveau de la Pharmacie centrale ou est-il question d’un problème encore plus profond ? Contacté par La Presse, le président du Syndicat tunisien des propriétaires de pharmacies privées, Naoufel Amira, explique que la pénurie de médicaments « s’est malheureusement transformée en problème structurel à cause de la situation des caisses sociales qui connaissent des difficultés financières ». Selon ses explications, c’est notamment l’Etat et les équilibres financiers de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) qui expliquent cette situation. «La Cnam est en faillite, elle ne peut pas assurer ses équilibres financiers sans l’intervention de l’Etat, ce qui a eu des répercussions sur le secteur de la santé ».

Il explique également que le choix fait en 2015 de « favoriser les allocations de retraite au détriment du système de santé est à l’origine du mal». Et d’ajouter que cet état d’effondrement financier touchant tout le système de santé finit par impacter considérablement la capacité de la Pharmacie centrale d’importer les médicaments.

Au fait, la crise des médicaments en Tunisie remonte à 2018 et même avant, à cause des difficultés rencontrées par la Pharmacie centrale. La situation s’est améliorée en 2019, suite à un crédit octroyé à la PCT, mais elle est revenue en 2020 et bat son plein actuellement. Les laboratoires tunisiens et étrangers avaient décidé en 2019 de ralentir, voire d’arrêter carrément leurs livraisons à la Pharmacie centrale, du fait de son incapacité à payer ses factures. Ces impayés s’élevaient à 500 millions de dinars. Une situation urgente qui avait entraîné la tenue d’un Conseil des ministres pour décider de contracter un crédit dans l’objectif de payer les dettes de la PCT.

Sauf que cette action n’a pas, depuis, amélioré la situation et a eu simplement l’effet d’un calmant, du fait que la Cnam, qui alimente les caisses de la PCT, est en quasi-faillite, comme le confirment plusieurs médecins.

Donc tant que la situation de cette caisse n’est pas résolue, la PCT sera toujours confrontée à une crise de liquidité aux conséquences dangereuses sur le système de santé. Or, la situation de la Cnam est, à son tour, liée à celle des deux autres caisses sociales. Bref, vous l’aurez compris, c’est une spirale d’endettement et une crise structurelle et non pas conjoncturelle qui frappe le secteur de la santé, hautement fragilisé par la crise du coronavirus. 

Des vaccins introuvables

Il n’y a pas que les médicaments qui connaissent une  pénurie. Certains vaccins sont introuvables dans les officines. L’approvisionnement des pharmacies privées avec les vaccins contre la grippe saisonnière n’a pas été effectué jusqu’à présent, a indiqué Nadhem Chekri, président de l’association des pharmaciens.

L’inscription pour l’obtention de ces vaccins a enregistré un recul en comparaison des années précédentes, a précisé la même source. Le retard dans l’approvisionnement des quantités de vaccins s’explique par la hausse des prix fixés par le ministère de la Santé. Le prix de la dose était de l’ordre de 16 dinars l’année dernière et il est fixé actuellement à 54dt, en raison des modifications introduites dans la fabrication du vaccin contre la grippe saisonnière, a-t-il expliqué.

Le retard dans l’approvisionnement du vaccin prévu au mois d’octobre est inquiétant, a regretté la même source, rappelant que la Tunisie assure l’acquisition de près de 300 mille doses par an et les pharmacies privées obtiennent près de 90% de ces doses.

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