Premier anniversaire du décès d’Abdelwahab Bouhdiba, père de la sociologie tunisienne et maghrébine et en guise d’hommage posthume: Un chemin vers les siens

Par Amel Bouslama

Abdelwahab Bouhdiba est né le 13 août 1932 à Kairouan et mort le 17 décembre 2020 à Tunis. Ce sociologue, islamologue et universitaire tunisien, qui a tiré sa révérence à l’âge de 88 ans, a eu la vie remplie de dons pour le savoir et la connaissance. A travers une trentaine d’ouvrages, dont certains sont traduits en plusieurs langues, il a échafaudé une pensée tunisienne, maghrébine, islamique et arabe. Cela mérite que nous en sélectionnions deux ou trois idées maîtresses qui nous ont captivés par leur perspicacité, au gré de la lecture de deux parmi ses ouvrages phares.

A moins de deux ans d’intervalle avant son départ pour un monde meilleur, lorsque ce penseur de grande envergure que j’admirais, m’a donné son accord pour un éventuel entretien ; hélas! il est parti avant. J’essaie de me rattraper aujourd’hui, tant bien que mal par ce modeste article.

En lisant les ouvrages à l’accès facile et agréable de cet éminent chercheur, dans lesquels résonnent un souffle humanitaire et un timbre poétique, nous découvrons des idées nouvelles projetant la lumière sur des questions d’ordre social. Des livres-miroirs utiles où, nous Tunisiens en particulier, pourrons aisément nous regarder, nous découvrir, nous analyser, nous connaître et nous reconnaître.

N’ayant nullement l’intention ni le profil pour cerner les principaux travaux de recherche du penseur, je me contente de relever certaines questions qui m’ont interpellée au niveau de son approche sociologique. Les réflexions d’Abdelwahab Bouhdiba ont la spécificité de voir le jour dans le contexte spatio-temporel qui est le nôtre. Elles ont la qualité d’être lucides, sincères, fidèles et sensibles, provenant d’un chercheur qui les a patiemment glanées, élaborées et instaurées à travers ses écrits. Elles éclairent avec un regard nouveau et moderne notre culture maghrébine, islamique, berbère et arabe.

En épigraphe à son livre «Quêtes sociologiques», Cérès Editions, Tunis 1995, Abdewahab Bouhdiba publie un profond et savoureux poème qui en dit long sur son humaine passion et dont j’en extrais ces deux vers : «… Il est un chemin vers les choses et les hommes / qui rend le savoir frémissant de vie…».

L’Islam comme culture éclairée

Bien qu’ayant été sur les bancs de la Sorbonne avec, entre autres, pour professeur le fameux philosophe Gaston Bachelard qu’il vénère, Abdelwahab Bouhdiba n’a pas oublié pour autant qui il est et non plus d’où il vient. Bien au contraire, il s’est armé de la méthode phénoménologique apprise auprès du père de l’épistémologie, et l’a appliquée par la suite sur le terrain qui est le sien.

Comme tout musulman éclairé et qui se respecte, Abdelwahab Bouhdiba démontre, par exemple, dans son premier essai «La sexualité en Islam», 1975, que notre religion n’est pas en contradiction avec la satisfaction de nos désirs et plaisirs matériels humains. Pour que l’être humain que nous sommes, atteigne son accomplissement, la matière est là pour s’équilibrer avec l’esprit. Contrairement à la vision dualiste occidentale, chez nous en tant qu’Orientaux, tel que c’est expliqué, point de dichotomie entre corps et esprit.

Par ailleurs, il est de ces nuances et commodités culturelles qu’avec Abdelwahab Bouhdiba le complexe d’Œdipe que nous connaissons chez le psychanalyste autrichien Sigmund Freud, apparaît avec lui sous l’expression symbolique de complexe de Jawdar. C’est à travers le prisme de l’analyse d’un conte des «Mille et Une Nuits» qu’il nous explique ce que pourrait être parfois le penchant inconscient du fils envers sa génitrice.

Je n’en dis pas plus et je vous laisse découvrir par vous-mêmes le plaisir d’une lecture enrichissante et qui nous réconcilie avec notre propre histoire, culture et civilisation.

À propos, je vous recommande vivement de même la lecture de «L’imaginaire maghrébin (étude de dix contes pour enfants)», 1977. Ce trésor d’analyse et de formulation, où nous pouvons nous regarder en puisant connaissance et réconciliation avec notre culture populaire orale et plus largement notre identité. Un imaginaire collectif vivant, connu, méconnu, savoureux, à travers lequel nous saisissons les archétypes aussi bien que les représentations de la société tunisienne, formulés selon l’expression et le langage de leur auteur.

Après cette brillante carrière universitaire entamée depuis les années 70, d’autres essais phares du sociologue ont suivi pour ne citer que ces trois derniers qu’il nous reste à lire, à défricher et nous en nourrir : « Quêtes sociologiques (Continuités et ruptures au Maghreb)» 1995, «Entretiens au bord de la mer», 2010, «La culture du parfum en Islam», 2017, dont je recommande la lecture.

Conclusion

Il faut se réjouir qu’un penseur tunisien se soit penché avec autant de clairvoyance sur certains aspects constituant le socle de notre culture. Nous avons rarement vu un essayiste aussi novateur et profond. Le créateur d’une pensée spécifique, qui est née sur notre terre, adaptée autant à notre géographie et histoire maghrébines.

Le message crucial à transmettre est que nos jeunes et moins jeunes, étudiants, chercheurs et doctorants dans tous les domaines, apprennent la leçon de l’éminent Abdelwahab Bouhdiba et tissent sur son exemple. Que tout Tunisien patriote puisse adopter sa posture en pensant à un apport qui pourrait intéresser réellement le pays. Par le biais d’applications, de travaux, d’objets d’inventions, de créations etc., se rendre utile grâce à des idées novatrices en conformité avec notre contexte et nos conditions de vie locales. Compte tenu des circonstances actuelles, notre salut et notre chemin vers nous-mêmes sont à chercher de ce point de vue là.

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