Un Parlement contre-productif, des lois qui légitiment la corruption et peu d’acquis institutionnels à peine fonctionnels. Cela s’est passé dans un pays surendetté, sous la pression des lobbies, frôlant l’abîme et qui va droit au mur.

Onze ans déjà ! A-t-on encore raison de fêter notre Révolution ? Celle qui, autrefois, ébranla tout le pays et fit naître un nouvel ordre national dicté par un projet sociétal toujours en stand-by. Et la scène politique, souvent en ébullition, se laisse entraîner dans un cercle vicieux. Les partis, sans foi ni loi, poussèrent comme des champignons, n’ajoutant rien au prestige de l’Etat. Pire, ce dernier voit sa souveraineté gravement hypothéquée. Aujourd’hui, en commémorant nos martyrs, dans la douleur et avec beaucoup d’émotion, l’on s’interroge sur ce qu’on a fait pour la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés sur l’autel de la dignité et la liberté. Et sur ce qu’on doit faire pour la nation. Voilà 11 ans passés, y a-t-il vraiment de quoi être fier? Liberté d’expression, dites-vous ! Cela n’est toujours pas évident.

Les années de vaches maigres

Qu’est-ce qui a changé depuis ? Absolument rien. On touche le fond, en quelque sorte. Un Parlement contre-productif, des lois qui légitiment la corruption et peu d’acquis institutionnels à peine fonctionnels. Ça s’est passé dans un pays surendetté, sous la pression des lobbies, frôlant l’abîme et qui va droit au mur. Bref, le bilan est peu reluisant, à bien des égards. Cela nous rappelle la période de vaches maigres durement vécue avant et après l’indépendance de la Tunisie moderne. C’est que les gouvernements post-révolution n’ont guère porté le germe du changement. «Un printemps arabe qui fut violé et détourné par des forces contre-révolutionnaires et leurs complices étrangers, dont notamment des ONG, destouriens et d’autres parties aux idéologies islamistes », avait jugé Nafti Houla, président du Forum tunisien de la souveraineté nationale (Ftsn). L’homme aspire à un vrai printemps tunisien.

Pourquoi n’a-t-on pas réussi notre révolution ? La réponse est aussi simple qu’on le pense. On n’en avait pas bien analysé les causes pour fixer les objectifs. Selon des économistes, son échec est dû, en partie, à cela, d’autant plus que la suite n’a pas été mieux pensée pour comprendre où nous étions et vers où nous devons aller. «Dignité et emploi ne sont, alors, qu’un rêve non réalisé», révèle Jameleddine Aouididi, économiste et expert en développement. Sans pour autant réviser notre modèle social et économique. «On a continué sur la même démarche, sous la houlette de l’Union européenne qui nous avait promis, lors de la conférence de Deauville en 2011, autant de crédits», se rappelle-t-il encore. On n’est pas encore sorti de l’auberge. «C’est une guerre anti-système, dont la bataille n’est pas encore gagnée…», lance, à maintes reprises, l’ancien président de l’ANC, Dr Mustapha Ben Jaâfar.

Corruption à tous les étages

A-t-on besoin d’une révolution dès mentalités ? C’est, d’ailleurs, ce qui explique une certaine crise d’ordre moral et intellectuel qui nous a secoués de plein fouet. Au point que l’impunité n’est plus une exception : les criminels sévissent partout et les coupables courent toujours. Corruption aussi à tous les étages. Affaires louches et dossiers suspects sont légion ! Ils continuent à ronger l’Etat et saper la marche d’une transition démocratique encore trébuchante. Blé pourri, déchets importés d’Italie, trafic de médicaments, produits subventionnés monopolisés, marchés publics douteux, équipements médicaux périmés, crise des banques publiques, scandale de la Banque franco-tunisienne, la liste est longue. Cela nous a édifiés sur l’indécision de l’Etat et l’absence d’une volonté politique de réforme. Cette grande réforme, qui tarde à venir, n’a jamais été négociée en bonne et due forme. Pas mal de fois, elle revient sur le tapis des négociations gouvernement-FMI, dont le fond en dit long.

Ces militants de la vingt-cinquième heure !

Et dire, démocratie et Etat de droit et des institutions ! Jusque-là, rien n’y fait. Hier, certains partis politiques et acteurs de la société civile ont manifesté dans la capitale, profitant de l’anniversaire de la révolution, pour réclamer un retour à l’avant-25 juillet 2021. Soit aux mêmes causes d’un fiasco politique et économique: Parlement au gré des élus, démocratie aux enchères, argent public dilapidé et partis aux intérêts étriqués.

Face à leurs revendications, l’Ugtt était, alors, catégorique. «Pas de retour à l’avant-25», ainsi déclarait son secrétaire général, Noureddine Taboubi. La nouvelle donne, censée appliquer la loi et barrer la route à une mafia menaçant la paix sociale, n’est pas du goût de ces militants de la vingt-cinquième heure. Leur cause, semble-t-il, n’est pas celle de la société. Et pourtant, ils reviennent à la charge.

Aujourd’hui, comme hier, on scande les mêmes slogans de la révolution: emploi, liberté et dignité. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Notre classe politique ne sort pas de sa léthargie.

Elle n’a nullement tiré la leçon. A Sidi Bouzid, berceau de la révolution, à Kasserine, à Gafsa ou ailleurs dans toutes les régions du pays, il y a une grande déception. Le feu couve sous la cendre. Et les jours à venir ne s’annoncent pas de bon augure !

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