Le tribunal administratif a estimé, dès le départ, que le Conseil supérieur de la magistrature était incompétent pour statuer sur le dossier de l’ancien procureur général qui comportait plusieurs erreurs procédurales.
Depuis les événements du 25 juillet, la justice tunisienne est sous les projecteurs. Sévèrement critiquée par le Président de la République à l’exception de ceux qu’il appelle les «juges intègres», elle est placée sur le banc des accusés, surtout compte tenu des soupçons d’ingérence politique et de lenteur des procédures judiciaires. Si pour Kaïs Saïed, l’heure est à la réforme du secteur judiciaire, pour les différentes composantes de ce pouvoir, dont notamment le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), cette réforme ne peut se faire qu’en interne. Dernièrement, l’affaire de l’ancien procureur de la République le juge Bachir Akermi a rouvert le débat autour de l’indépendance de la justice. Celui-ci avait été suspendu en juillet 2021 par le Conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mais la Chambre d’appel au Tribunal administratif a annulé récemment la suspension. Le Tribunal administratif a, en effet, décidé d’accepter l’appel déposé par Bechir Akremi contre la décision du CSM, rendant ainsi nulles ses décisions. Le Tribunal administratif prononcera son verdict définitif dans un mois au plus tard dans l’attente du dépôt ou non d’un appel contre sa décision. Revenant sur cette affaire après de multiples accusations, le CSM affirme avoir chargé deux avocats volontaires pour défendre ses décisions et intérêts devant les différents tribunaux, étant membres du comité des contentieux, et sont chargés de le représenter pour répondre aux affaires intentées à son encontre, et ce depuis sa création en 2017, dont notamment l’affaire Béchir Akermi.
«La commission au sein de la présidence du gouvernement a refusé d’adopter les résultats d’une consultation juridique pour le recrutement d’avocats représentant le CSM, et a considéré l’appel d’offres comme étant infructueux», a-t-on communiqué, dimanche dernier.
Suite à des informations laissant croire que ces deux avocats feraient partie du comité de défense de ce juge accusé de corruption, le CSM a affirmé que «les deux avocats précités ont représenté le CSM, à titre gracieux, dans l’affaire Béchir Akremi, et n’étaient aucunement les avocats de la défense de ce dernier».
Le Conseil met en garde, dans ce sens, contre «le dénigrement sans précédent, dans le cadre des campagnes d’attaques méthodiques visant ses membres, notamment les avocats Abdelkarim Rajeh et Moufida Mtimet».
Bouzakher brise le silence
Revenant également sur cette affaire, le président du CSM, Youssef Bouzakher, a expliqué que la décision d’annulation de la suspension de Béchir Akremi s’appuyait sur l’absence de saisie de l’inspecteur général des affaires judiciaires. «Or, cette institution n’a pas encore été mise en place au sein du système tunisien. Nous avions refusé la demande de la ministre de la Justice de transférer le dossier. Le CSM s’était saisi de l’affaire, nous tenons le ministère de la Justice et le pouvoir législatif pour responsables de la situation», a-t-il expliqué. Bouzakher a rejeté toute négligence ou manque de compétence dans cette affaire, privilégiant une mauvaise gestion du dossier de la part du ministère public. Au fait, le tribunal administratif estime, dès le départ, le Conseil supérieur de la magistrature incompétent pour statuer sur le dossier de l’ancien procureur général qui comportait plusieurs erreurs procédurales. D’ailleurs, il faut rappeler dans ce sens que l’ancienne ministre de la Justice par intérim, Hasna Ben Slimane, avait soulevé plusieurs faiblesses procédurales dans le dossier de l’ancien procureur de la République, présenté par le ministère de la Justice au Conseil supérieur de la magistrature, et avait demandé de récupérer le dossier pour le rectifier, une demande immédiatement rejetée par le CSM.
6.268 affaires terroristes enterrées
De quoi s’agit-il ? Le CSM est-il habilité vraiment à statuer sur l’affaire Béchir Akermi ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur les dessous de cette affaire. Le CSM avait suspendu l’ancien procureur de la République et juge Béchir Akermi, le 13 juillet 2021, tout en décidant de transférer son dossier devant le ministère public relevant du Tribunal de première instance de Tunis. Cette suspension faisait suite à l’affaire des dossiers disciplinaires de plusieurs magistrats, dont ceux de Bechir Akremi et Taieb Rached. Ce dernier accusait l’ancien procureur de la République d’avoir dissimulé des preuves importantes dans les dossiers de l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Ce qui a contribué, selon Taieb Rached, à faire obstruction à la justice, et à ne pas révéler la vérité autour de l’assassinat des deux martyrs. De son côté, Bechir Akremi accuse Taïeb Rached de corruption financière, de possession de biens non déclarés et d’enrichissement illicite.
Rappelons également qu’en juin 2021, Imen Gzaza, membre du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, avait assuré que l’enquête menée par l’inspection générale relevant du ministère de la Justice sur l’affaire Béchir Akremi a fait l’objet d’un rapport. Selon ce rapport, le juge aurait commis d’importants dépassements en enterrant 6.268 affaires terroristes et procès-verbaux au pénal concernant des crimes terroristes, et 1.361 affaires de droit commun relatives à des dossiers portant sur le terrorisme, qui ont été indéfiniment ajournées. Il aurait également ignoré des dizaines de dossiers concernant notamment l’embrigadement des jeunes et leur transfert vers les zones de tensions.
Le CSM sous pression !
Depuis plusieurs semaines, le CSM est dans la tourmente. Dernièrement, l’annulation des privilèges de tous ses membres sur décret présidentiel a placé cet organe sous pression. Il se dit attaché à son indépendance et rejette toute implication du Président de la République dans des affaires de justice, alerte sur des pressions qu’il se dit en train de subir et dénonce des campagnes de dénigrement. Au fait, c’est le projet de réconciliation pénale proposé par le Président de la République qui serait à l’origine de ce conflit entre Kaïs Saïed et le CSM.
Le président de la République aurait rejeté le premier draft de ce projet présenté par le ministère de la Justice, laissant croire qu’il a tendance à introduire des réformes de fond qui risquent de chambouler les processus judiciaires en entier.
Le projet de réconciliation pénale sera présenté par le Président de la République dans quelques semaines comme il l’a annoncé. Il vise notamment à obliger les hommes d’affaires corrompus à investir dans les localités les plus démunies.