Changer le régime politique, modifier le système électoral et donner lieu à un véritable parlement qui exprime la volonté du peuple, tel est le principal projet politique de Kaïs Saïed. Mais le chemin n’est pas forcément facile, il fait l’objet de grandes oppositions politiques.
C’était dans la vision du Président de la République, Kaïs Saïed: mettre fin au régime partidaire en Tunisie, car il l’accuse de corruption et de fausses alliances politiques ayant conduit la Tunisie à cette situation de crise. Changer le régime politique, modifier le système d’élection et donner lieu à un véritable parlement patriotique, tel est le principal projet politique de Kais Saied. Mais son chemin n’est pas forcément facile, il fait l’objet de grandes oppositions politiques.
Kaïs Saïed a annoncé, il y a quelques jours, les contours de son projet politique qui sera validé, ou pas, par le biais d’un référendum le 25 juillet prochain. Il y a quelques jours, en marge de sa participation à la commémoration du 22e anniversaire de la disparition de Habib Bourguiba, à Monastir, Kaïs Saïed a annoncé que conformément aux résultats de la consultation nationale, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours sera adopté lors des prochaines élections législatives.
«Cette décision est basée sur les recommandations de la consultation électronique et l’Instance électorale (Isie) supervisera les élections après le changement de sa composition», a-t-il également expliqué. Le Chef de l’Etat a, dans ce même contexte, souligné que «les voleurs et les putschistes ne participeront pas au dialogue». Et Saïed d’ajouter qu’«il sera procédé à l’amendement de la Constitution ou à la mise en place d’une nouvelle, en fonction des résultats du référendum».
Si les grandes lignes du projet politique présidentiel sont désormais connues, les réactions à ces annonces de taille n’ont pas manqué. Sauf que pour les Tunisiens, ce type de scrutin est flou, d’autant plus que pour toutes les élections dans l’histoire du pays, il s’agit d’un système d’élection des listes électorales représentant les différentes circonscriptions sur la base d’un programme et de campagnes électorales.
Dans le monde entier, le mode de scrutin établit la méthode utilisée pour désigner les candidats ou les listes de candidats qui remportent des élections. On distingue principalement trois types de scrutin : majoritaire, proportionnel adopté en Tunisie, ou mixte. Le scrutin majoritaire permet l’élection de celui ou de ceux qui ont obtenu le plus de voix. Quand il s’agit d’attribuer un siège, on dit que le scrutin est uninominal alors que quand plusieurs sièges sont à pourvoir, on parle de scrutin plurinominal. Le vote au scrutin peut être organisé en un ou deux tours. Dans le scrutin majoritaire uninominal ou plurinominal à deux tours, la victoire dès le premier tour requiert l’obtention d’une majorité absolue des voix, avec parfois l’obligation de réunir un nombre minimal d’électeurs inscrits. Si ces conditions ne sont pas remplies, un second tour est organisé, comme c’est le cas pour l’élection présidentielle en Tunisie.
De ce fait, le scrutin uninominal est basé sur le découpage en circonscriptions électorales d’un territoire où chaque circonscription n’élit qu’un seul député. Le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix est proclamé élu. Pour le système uninominal à deux tours, pour être élu il faut obtenir la moitié des voix plus une lors du premier tour de scrutin. Si aucun des candidats n’a obtenu la majorité, on procède à un second tour pour lequel la pluralité des suffrages suffit pour être élu.
Pour l’élection présidentielle, ce système de vote est utilisé dans de nombreux pays, dont la Tunisie, la plupart des pays de l’Amérique latine, de l’Afrique francophone ainsi qu’en Europe pour l’Autriche, la Bulgarie, la Finlande, la France, le Portugal, la Russie, la Roumanie et l’Ukraine. Il est également adopté en France pour les élections législatives.
Positions et réactions
Suite à l’annonce présidentielle, plusieurs parties politiques ont réagi pour exprimer leurs positions quant à l’éventuelle adoption de ce type de scrutin. Ennahdha était le premier parti à s’opposer à cette alternative, affirmant qu’il s’agit du propre projet du Président de la République.
Le porte-parole du mouvement Ennahdha, Imed Khemiri, s’est exprimé, en effet, sur le nouveau mode de scrutin voulu par le Chef de l’Etat, Kaïs Saïed, lors des prochaines élections législatives. Imed Khemiri a expliqué que le scrutin uninominal majoritaire «ouvre la porte aux lobbies de l’argent et de la corruption afin de dominer le processus électoral», ajoutant que ce mode n’est pas adopté dans de nombreux pays démocratiques. Pour sa part, le dirigeant au parti Ettayar Mohamed, Larbi Jelassi, affirme que ce type de scrutin préconisé par le président Saied est «un système rare et sera un cadeau pour certains voleurs, alors que le Président refuse de discuter avec les voleurs». Ce mode de scrutin favorise, selon ses dires, «le blanchiment d’argent et l’achat des voix des électeurs». Et de rappeler qu’il n’est pas possible d’organiser des élections législatives sans tenir compte des équilibres démographiques.
Interrogés sur la question, les deux experts de droit constitutionnel, Salsabil Klibi et Abderrazak Mohktar, ont estimé que cette méthode devrait morceler davantage le Parlement face à un régime exécutif puissant.
Salsabil Klibi explique que le mode de scrutin uninominal, appliqué aux élections législatives, favorisera, en effet, les candidatures individuelles et mènera droit à une «explosion du nombre des candidatures dans chaque circonscription», ce qui constitue «un signe patent de la désintégration de la vie politique tunisienne et débouchera sur un Parlement émietté sans majorité, incapable de pouvoir exercer les fonctions qui sont les siennes».
De son côté, le professeur de droit constitutionnel Abderrazek Mokhtar a mis en garde contre les conséquences de la mise en œuvre de ce mode de scrutin. «Un tel mode de scrutin est délétère», a-t-il prévenu, ajoutant qu’il «favorisera la logique clientéliste et la personnalisation du pouvoir, tout comme il se traduira par une marginalisation à outrance des partis politiques».
De sa part, la présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne (Unft), Radhia Jerbi, a annoncé qu’elle était «personnellement en faveur du mode de scrutin uninominal». Elle a expliqué que le «mode de scrutin de liste servait uniquement l’intérêt de la personne à la tête de celle-ci». «Ce mode de scrutin, selon elle, a permis à des personnes ayant un casier judiciaire et à des contrebandiers de se retrouver à l’Assemblée des représentants du peuple», a-t-elle conclu.