La Tunisie est à la croisée des chemins, s’accordent tous les observateurs de la scène nationale. Crise politique sans précédent, menace économique et tension sociale inédite. La situation est telle que le pouvoir d’achat des citoyens ne cesse de s’éroder, alors que la classe politique, ou ce qu’il en reste, sombre, encore une fois, dans les divergences.
Le processus du 25 juillet semblait donner un coup de grâce aux tiraillements politiques qui dominaient longtemps le paysage national, mais actuellement, ils ont repris de plus belle, alors que le Président de la République va, droit dans ses bottes, jusqu’au bout de son projet politique, mais il marche sur un champ miné !
En effet, l’actuel paysage politique est marqué par une division interminable qui ne cesse de fragiliser la situation économique, mais aussi l’image de la Tunisie à l’étranger, au vu des innombrables appels à une ingérence directe dans les affaires internes du pays. Alors que le parti Ennahdha et ses alliés, se sont lancés dans une course pour former ce qu’ils appellent un front de salut, le locataire de Carthage poursuit son processus politique en dissolvant le conseil de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) en dépit d’une forte opposition politique.
Dans ce paysage politique flou et tendu, l’unité nationale fait malheureusement défaut. La dernière sortie médiatique de l’ancienne cheffe du cabinet présidentiel Nadia Akacha, vient brouiller davantage l’image. Elle, qui a su observer le silence tout au long de ces derniers mois, a choisi ce timing très précis pour sortir de l’ombre, mais dans quel intérêt politique ?
S’exprimant sur son compte Facebook, Akacha a considéré que «le 25 juillet 2021 est un moment décisif dans l’histoire de la Tunisie ; un moment ayant œuvré à rompre totalement avec le pourrissement politique l’ayant précédé, la corruption ayant miné les institutions de l’Etat et la désinvolture envers les droits des Tunisiens, et même leurs vies».
Elle ajoute, que «le 25 juillet est une décision historique, et un processus national qui aurait dû reposer sur une méthodologie claire, une démarche démocratique fédératrice, et des fondements constants pour bâtir l’Etat de droit, où les libertés et les institutions sont respectées, mais hélas, ce moment et ce processus ont été extorqués de la part de ceux qui n’ont ni honneur, ni religion, et encore moins de patriotisme».
Une publication interprétée directement comme un message au ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, les deux personnalités politiques, selon les coulisses du palais, étaient dans une rupture totale, chose qui a valu à Nadia Akacha son poste à Carthage.
Youssef Chahed dément !
La publication de Nadia Akacha a suscité d’innombrables réactions politiques. Alors que les opposants du processus du 25 juillet l’ont, certainement, récupérée politiquement, d’autres commencent à évoquer un plan pour faire tomber le ministre de l’Intérieur, mais aussi tout le processus du 25 juillet.
En réponse aux déclarations du président du parti de l’Alliance pour la Tunisie, Sarhane Nasri, qui a indiqué que «Youssef Chahed est derrière Nadia Akacha pour porter atteinte au processus actuel», Chahed a riposté, sur son compte Facebook: «Ce Monsieur et ses semblables ressassent une histoire mensongère, sans aucun fondement, dans une tentative de positionnement politique, pour créer la discorde», a-t-il dit.
Chahed affirme «avoir traité avec Nadia Akacha, lorsqu’elle était cheffe du cabinet présidentiel, selon une logique institutionnelle et dans le cadre du respect des exigences de l’Etat».
Sauf que la polémique enfle toujours, et la publication de Nadia Akacha vient enflammer déjà la situation politique conflictuelle en Tunisie. Le membre de la campagne explicative du Président de la République, Kaïs Saïed, Ahmed Chaftar, est allé jusqu’à dire que Nadia Akacha «ne méritait pas sa place à Carthage, notant que ses propos en sont la preuve». «Elle n’a pas encore saisi, que ce qui s’est passé un certain 25 juillet, n’est que le point de départ d’un long processus et n’est pas une fin en lui-même», a-t-il dit.
Il a ajouté, par ailleurs, que Mme Akacha n’était qu’«une simple fonctionnaire» à la présidence de la République et n’avait aucun pouvoir d’influence. «Elle n’a jamais eu de rôle dans la construction d’un projet social».
Un front de salut ou un processus parallèle ?
C’est aussi dans ce contexte qu’Ennahdha mène avec un nouvel allié, Ahmed Nejib Chebbi, un processus parallèle visant même à former un gouvernement et à restaurer le Parlement. C’est, du moins, le projet de l’initiative lancée par Chebbi portant sur un Front de salut alliant, une nouvelle fois, islamistes et modernistes. Si l’adversaire politique est commun, les intentions et les projets des partis politiques qui ont adhéré à ce processus divergent.
Ahmed Nejib Chebbi, président de l’Instance politique du parti «Amal» a annoncé, dans ce sens, la formation d’un comité directeur pour le «Front de salut national» composé de représentants des partis politiques, de députés et de personnalités indépendantes.
Chebbi a indiqué que ce comité se compose de cinq partis, à savoir : Ennahdha, Qalb Tounes, la Coalition de la dignité, le parti al-Irada, et le parti Amal, outre l’initiative «Citoyens contre le coup d’Etat». Ce comité aura pour mission de gérer et de coordonner les activités du Front de salut national en attendant le parachèvement des concertations et l’annonce officielle du lancement de ce Front.
Pour Chebbi, le comité du front de salut national est ouvert à tous les partis, organisations, groupes politiques et parlementaires.
Il lancera un dialogue national global et urgent qui n’exclut aucune partie afin de parvenir à des compromis qui servent l’intérêt du pays. Objectif: opérer des réformes fondamentales dans les domaines économique, politique, constitutionnel et juridique et soutenir un gouvernement de transition, le cas échéant.
A quoi servira exactement un tel front ? Quelle sera sa contribution pour résoudre la crise politique que connaît le pays ? S’agit-il d’une tentative de provoquer une guerre de légitimités en Tunisie ? Tant de questions qui se posent, alors que les Tunisiens attendent des réponses à leur crise sociale et à la détérioration de leur pouvoir d’achat.