Accueil A la une La médecine tunisienne: 2.500 ans d’histoire

La médecine tunisienne: 2.500 ans d’histoire

On dit que «L’histoire est écrite par les vainqueurs» et «Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs».


Le Docteur Chedlya Leila Ben Youssef, qui a donné une conférence (présentée à l’occasion du Sommet de la francophonie de Djerba) sur l’Histoire de la Médecine tunisienne à l’Ecole de santé de Tunis à l’intention des étudiants de première année Master de la Douleur, a reconstitué ce que les «vainqueurs» ont escamoté, fait disparaître ou sciemment gommé de cette histoire de la médecine en Tunisie. Elle a patiemment remonté les événements tout au long de…, 2.500 ans et réécrit, à partir de documents, vestiges, fresques et témoignages, ce que les vainqueurs, qui détenaient le pouvoir, ont retranscrit, ne gardant que ce qui pouvait consolider leur aura, leur autorité et leur prestige.

Les miracles de la numérisation

Ce travail a été rendu possible grâce à la numérisation, qui a permis d’accéder aux bibliothèques mondiales, à des manuscrits, des documents et traces retrouvés, gardés de par le monde et qu’il fallait consulter et… faire parler. Nos racines médicales ont une origine punico-berbère certaine.

L’histoire de la médecine tunisienne, une histoire complexe, s’écrit en quatre langues : punique, latine, arabe et française que tout historien de la médecine devrait maîtriser.

Certains textes sont numérisés en grec latin, arabe et français. La langue punique a été sciemment escamotée.

Nous distinguons quatre périodes :

 1/ Médecine punique Esculape/ Eschmoun, étymologie punique du mot Esculape, caducée médical, médecine vétérinaire de Magon.

2/ Médecine latine, Apulée, Vindicianus afer, Caelius aurélianus siccensis, Moschio.

3/ Médecine arabe, Ecole de Kairouan (Ishaq Ibn Omrane, Ishaq Ibn Suleiman, Ibn Jazzar; Constantin l’Africain, Chérif Al Edrissi, Mohamed Al Siquilly).

4/ Médecine française, médecine moderne, du Protectorat à l’Indépendance, l’apport de la médecine tunisienne à la médecine universelle.

Les deux premières périodes englobant la médecine punique et la médecine latine ont été complètement occultées, passées sous silence dans les ouvrages relatant l’histoire de la médecine universelle. Nulle part, vous ne verrez, dans ces ouvrages publiés de par le monde, l’histoire de la médecine punique, africaine, c’est-à-dire celle de Carthage.

L’histoire de la médecine punique de Carthage de 814 à 146 av. J.C. nous rappelle le temple d’Eschmoun, érigé au sommet de la colline de Byrsa, sauvé de l’oubli par des écrits grecs, latins et même arabes. Ce temple est enseveli sous la cathédrale de Carthage.

La médecine punique

Carthage était dédiée à la médecine. Appien, historien du Ier siècle ap JC dans son «livre africain», parlait de ce sanctuaire majestueux de la guérison qui existait encore. On s’y rendait pour se faire soigner comme dans n’importe quel hôpital de nos jours.

Nous ne connaissons rien de la médecine punique. Tout a été détruit par les Romains. Tout a été effacé par le plus grand génocide de l’histoire perpétré en 146 av. J.C.

Ont échappé au feu les œuvres et recettes de Magon et son encyclopédie agricole, ramenées à Rome comme butin de guerre, transmises sur plus de 23 siècles en latin et en grec.

Seules les pierres, qui ont résisté aux feux, ont gardé les vestiges de cette mémoire de tout un peuple. L’épitaphe, trouvée sur la nécropole de Rabs (qui abrite près de 1.500 tombes de médecins), nous raconte l’histoire de Abdeschmoun, un médecin de Carthage, serviteur d’Esculape 3e siècle av. J.C. (Chédlia Leila Ben Youssef, Abdeschmoun serviteur d’Esculape, à propos d’un médecin carthaginois du IIIe siècle av. J.C. éditions Arabesques, 2021). L’épitaphe est écrite en punique qui est une langue similaire à l’arabe (sémitique) et s’écrit de droite à gauche.

Les médecins étaient honorés. Leur nécropole était intacte jusqu’à l’arrivée de la colonisation. On savait que l’étymologie du mot Echmoun veut dire dieu des huiles et des onguents, base de toute la pharmacopée médicale. Le médecin était assimilé à un réparateur, un raccommodeur, qui soignait, restituait la santé, suturait les plaies, les effractions cutanées, remettait en place les os, les fractures, les articulations démises, un manipulateur au service du bien-être.

Berceau de l’obstétrique

Carthage punique rappelle aux historiens que l’Ifriqiya était le berceau de l’obstétrique. Un savoir transmis aux numides qui rédigeront des ouvrages en latin d’Afrique, les gynécées africaines.

La conférencière nous ramena à l’époque d’Apulée, magicien ou médecin, Serenus Sammonicus, médecin de Caracalla inventeur du mot «Abracadabra» pour traiter la fièvre et devenu une incantation magique protectrice incontournable (un herz). Et ce fut Vindicianus Afer, originaire du Kef, et ses travaux (que St Augustin qualifia de plus grand médecin de tous les temps), Caelius Aurélianus Siccensis qui plancha sur les maladies chroniques, les maladies aiguës, précurseur de l’obstétrique et de la psychiatrie, le premier qui a parlé de l’intervalle libre et de la manie.

Moschio, auteur numide, qui a repris Caelius. Et nous passâmes à l’Ecole de Kairouan de la médecine arabe 800/1057 et ses fondateurs Ishaq Ibn Omrane, Ishaq Ibn Souleiman et Ibn El Jazzar.
Pour de nombreux historiens, l’histoire de la médecine tunisienne commence en cette ère. Cette école en raison de l’agitation qu’a connue cette région (XIe siècle) tomba en désuétude. L’arrivée de Constantin l’Africain, le «médecin exceptionnel», né à Carthage, permettra de sauver la situation. Il transmettra à l’Europe 257 ans de l’histoire de l’Ifriqiya. Grâce à lui, les lumières de Kairouan brilleront sur l’Occident. Ses ouvrages ont été étudiés à l’école de médecine de Paris jusqu’au 16e siècle.

La conférencière revint sur l’école de Tunis ou la légende des «Sqolli» (1229-1574), la Tunisie Ottomane, l’Hôpital Aziza Othmana, l’Hôpital Sadiki, pour clore sa conférence avec la médecine française et l’avènement de la médecine moderne et la formation du cadre médical tunisien avant et après l’Indépendance.

Santé ou patrimoine

Tout ce qui a précédé n’est qu’un tout petit résumé d’une conférence, qui a confirmé et affirmé, documents de référence en main et sources fiables énoncés, que la médecine tunisienne n’a jamais commencé avec l’Ecole de Kairouan.  L’Histoire de la médecine tunisienne est longue de 2.500 ans. C’est incontestable et il faudrait que les «vainqueurs» qui ont écrit notre histoire le sachent et en rendent compte.  Ils ne le feront jamais, à moins que les vérités historiques prouvées et incontestables les obligent à le faire, pour ne pas se déjuger d’abord, parce qu’ils veulent être les seuls et uniques sauveurs de l’humanité. Cela tout simplement les complexe de reconnaître que l’Ifriqiya a tant donné depuis des siècles et que son savoir a rayonné durant de longs pans de l’Histoire. Maintenant, il ne s’agit pas d’inscrire au patrimoine de l’humanité des habits traditionnels ou des plats nationaux, mais bien de mettre en évidence que la Tunisie, cette Ifriqiya, qui a donné son nom à tout un continent, a contribué depuis plus de 2.500 ans aux progrès et à l’essor de l’humanité. Qui du ministère de la Santé ou de la sauvegarde du Patrimoine va s’en occuper, en encourageant ceux qui sont passionnés par le thème à approfondir les recherches et redresser ce pan de notre histoire ?

Nous avons appris qu’on a entamé le travail, mais… il faut des moyens, de la passion et surtout de la persévérance.

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