Fatma Rekik, dirigeante d’un groupe de sociétés et reconnue parmi 100 jeunes leaders en Afrique par L’Institut Choiseul : « La Francophonie est une opportunité économique, mais aussi politique »

 

• « Nous sommes Tunisiens, mais nous sommes aussi Africains, c‘est notre identité, c’est notre patrimoine ».
• « Nous les Tunisiens, nous avons une identité riche et plurielle qui fait de nous ce que nous sommes, un mix unique, beau, pétillant et ouvert sur les autres ».
• « Nous partageons avec les autres pays de l’Afrique francophone plus que l’appartenance à un même continent, nous avons des cultures, des langues communes, une histoire commune ».
• « La langue française est non seulement le point commun d’une multitude de peuples différents, mais elle fédère aussi un idéal culturel et crée une communauté d’intérêts ».
• « L’Afrique est la région la plus rentable au monde ».
Fatma Rekik est une femme d’affaires tunisienne, dirigeante d’un groupe de sociétés et reconnue parmi 100 jeunes leaders en Afrique par l’Institut Choiseul. Elle est à la tête de l’activité agroalimentaire au sein du groupe Stifen, dont elle est le PDG depuis 2018, ce qui a fait d’elle la plus jeune dirigeante du groupe. 

Quel regard portez-vous sur l’organisation en Tunisie du Sommet de la Francophonie et comment jugez-vous la portée et les perspectives de cet événement ?

Incontestablement, le choix porté sur la Tunisie pour l’organisation du 18e sommet de la Francophonie a une valeur symbolique, étant donné qu’elle est l’un des quatre pays fondateurs de cette institution. On sait que cette organisation est née après l’indépendance de ces pays, surtout de la volonté et la détermination des leaders africains et asiatiques, Habib Bourguiba, Léopold Sédar Senghor, Hamani Diori et le prince Norodom Sihanouk de créer un espace de rapprochement entre pays utilisant une langue commune, le français. L’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) compte actuellement 88 pays répartis sur cinq continents parmi lesquels figurent des pays développés, mais aussi des pays africains producteurs de matières premières tels que le riz, le cacao, le café, le coton…

D’après l’OIF, l’espace économique francophone représente 14% de la population mondiale, 16% du PIB mondial et 20% du commerce mondial des marchandises.

L’organisation du Somment de la Francophonie est incontestablement une opportunité pour le développement économique et culturel de la Tunisie, car elle traduit une ouverture vers les autres pays avec qui nous partageons une langue, une culture et des valeurs.

Cette ouverture et ces affinités communes sont de nature à créer des combinaisons  et des opportunités de partenariats stratégiques entre nos pays. Dans un contexte post-Covid difficile, suivi par la guerre entre l’Ukraine et la Russie qui a amplifié la crise, repenser un modèle de développement africain qui assurerait une souveraineté africaine serait très utile pour notre continent et notre pays.

Selon la Banque mondiale, nous vivons le plus grand choc sur les matières premières et l’énergie depuis les années 1970.

Avec 60% des terres arables non encore exploitées dans le monde, l’Afrique pourrait développer une stratégie agricole qui permettrait de devenir une puissance agricole et assurer l’autosuffisance et l’approvisionnement des pays africains.

Ce sommet est donc bien une opportunité pour l’Afrique et plus particulièrement pour la Tunisie, pays hôte de l’évènement. Il est d’ailleurs tout à fait opportun de penser que ce sommet puisse permettre d’attirer davantage d’investissements étrangers nécessaires à la poursuite de la transformation de notre économie, au développement de nos entreprises et à la création d’emplois. C’est l’occasion pour la Tunisie, qui jouit d’une localisation géographique stratégique, aux portes de l’Europe et sur le continent africain de mettre en lumière nos réalisations et nos capacités, nos ambitions et nos ressources, ainsi que notre plus grande richesse, notre matière grise à forte valeur ajoutée.

L’espace francophone est-il seulement l’emploi et le maniement d’une langue commune, la réciprocité et le partage de valeurs ou, au-delà de tout cela, une opportunité économique ?

Lorsqu’on évoque et on aborde la francophonie, on pense à la pratique commune de la langue française, par des personnes, des institutions ou des pays. Mais au-delà d’une représentation linguistique,  cette communauté francophone réunit aussi tous ceux qui se sentent proches des cultures francophones. La langue française est non seulement le point commun d’une multitude de peuples différents, mais elle fédère aussi un idéal culturel et crée une communauté d’intérêts. La réflexion de Léopold Sédar Senghor à ce propos est significative. Il pense que « la création d’une communauté de langue française exprime le besoin de notre époque, où l’homme, menacé par le progrès scientifique dont il est l’auteur, veut construire un nouvel humanisme, qui soit en même temps, à sa propre mesure et à celle du cosmos ».

Nous les Tunisiens, nous sommes tunisiens, nord-africains, maghrébins, méditerranéens. Nous parlons tunisien, français, arabe, de plus en plus anglais et pour certains même italien et égyptien… Nous avons une identité riche et plurielle qui fait de nous ce que nous sommes, un mixe unique, beau, pétillant et ouvert sur les autres.

Nous ne sommes comparables à personne et c’est bien toute la beauté et la particularité des Tunisiens que nous sommes.

Il est évident que la langue française est un héritage de notre histoire, qui a ajouté son grain de sel dans la riche composition des différentes cultures et civilisations que la Tunisie a vécues. Si on analysait l’ADN du Tunisien, on verrait qu’il est composé d’ADN provenant des quatre coins du monde et c’est ce qui fait notre singularité.

Cela me renvoie aux réflexions d’Amine Maalouf dans son livre « Identités meurtrières » et j’en conclus que l’identité tunisienne est une identité plurielle, féconde et de portée civilisationnelle.

Au-delà de l’utilisation d’une langue commune et du partage de valeurs, la Francophonie est également  une opportunité économique. Aujourd’hui, un million de Tunisiens vivent en France. Ils parlent tunisien et français, partagent aussi souvent les deux nationalités. La France est notre principal partenaire économique, elle représente notre premier client avec 29,1% de nos exportations et notre deuxième fournisseur 14,2% de nos importations après l’Italie 15,4% (source INS 2019).

La France est notre premier pourvoyeur d’IDE (investissements directs étrangers), 1.400 entreprises françaises sont installées en Tunisie. La France est aussi notre premier marché touristique européen, selon l’Ontt, la Tunisie est la 3e destination étrangère en France et première hors Europe depuis mars 2022.

L’on ne doit pas cependant s’arrêter à ce niveau puisque la Francophonie pourrait être aussi une opportunité politique. Le lancement récent de la communauté politique européenne dans le but de défendre des intérêts communs, de renforcer la stabilité et la sécurité du continent face aux crises est une alliance géopolitique qui permet de rassembler les dirigeants de tout le continent. Une alliance politique à l’échelle de la Francophonie est une piste sur laquelle des réflexions pourraient être adoptées et creusées.

Investir en Afrique est devenu un choix inévitable pour beaucoup de pays. La Tunisie est-elle «condamnée» à emprunter cette voie. Que peut lui apporter pareille option ? 

L’Afrique est la région la plus rentable au monde. Les perspectives de croissance en Afrique sont parmi les plus prometteuses. Selon le FMI, entre 2018 et 2023, les perspectives de croissance de l’Afrique seront les plus intéressantes au monde. La rentabilité potentielle est à la mesure du risque encouru.

Le premier avantage de l’Afrique est la démographie, avec une population jeune en expansion et un marché prometteur. Un terrien sur 6, soit 1,2 milliard de personnes, vit aujourd’hui sur le continent africain. En 2050, ce sera 1 sur 4, il y aura sur terre 10 milliards d’habitants dont 2,4 en Afrique. En 2100, il devrait abriter 4,4 milliards de personnes, soit près de 40% de la population mondiale.

D’après Harvard Business Review, 85 à 100 millions de main-d’œuvre manufacturière seront perdus par la Chine pour aller en Afrique d’ici 2030. Grâce à sa démographie, l’Afrique pourrait suivre l’exemple de la Chine. Cette abondance de main-d’œuvre (et son faible coût inférieur à 50 cents de l’heure) est l’un des potentiels les plus importants pour les industries qui emploient beaucoup de main-d’œuvre.

Nous pouvons aussi compter comme autres avantages en Afrique hormis la démographie, les ressources naturelles (60% des terres arables non cultivées dans le monde sont en Afrique) et l’ensoleillement. Des secteurs cibles importants ont des potentiels de développement importants tels que l’énergie, les services financiers et l’agriculture.

Le territoire de la Tunisie s’appelait auparavant Ifriqiya ou Africa dans l’antiquité et a donné par la suite son nom au continent africain. Nous sommes tunisiens, mais nous sommes aussi africains, c‘est notre identité, c’est notre patrimoine. Nous partageons avec les autres pays d’Afrique francophones plus que l’appartenance à un même continent, nous avons des cultures, des langues communes, une histoire commune. Nous pouvons construire ensemble un avenir commun basé sur la solidarité, le partage des savoir-faire et une stratégie commune visant à assurer la souveraineté de notre beau continent et pourquoi pas garantir une autosuffisance alimentaire et énergétique.

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