Le client, l’administré,  en ces jours, où impunité  et irrespect d’autrui règnent  un peu partout, est devenu, par la force des choses, face à ces comportements inconsidérés, un otage !


Il était à peine 8h30. Dans la « succursale » improvisée du marché municipal de l’Ariana, entendez les rues aux alentours, un marchand d’oranges s’est mis brusquement à hurler, jetant plein d’oranges par terre, pour se précipiter et les écraser furieusement des pieds. C’était sa façon d’exprimer son mécontentement, vis-à-vis d’une dame qui avait choisi quelques-unes, pour les lui remettre. La bonne dame, d’abord surprise, remit en place les quelques fruits  qu’elle tenait  encore en main et s’enfuit à toutes jambes.

Quelques personnes, qui assistaient à cette regrettable scène, s’empressèrent d’essayer de calmer ce jeune qui semblait avoir perdu les pédales. C’était tôt le matin et on n’était pas en fin de journée, pour supposer que le travail pénible, et à la limite harassant, était la cause de cette explosion verbale exagérée. Voire inexcusable à l’adresse d’une personne qui aurait pu avoir facilement l’âge de sa mère. Surtout que la dame avait raison de demander à ce qu’on lui serve des oranges de calibre acceptable, mais non de celles qui se trouvaient juste devant le vendeur, soit de petit calibre et  ne valant pas le prix demandé, dans un pays producteur et en pleine saison.

Une façon de tout fourguer

Le calibrage des fruits, du poisson et bien d’autres produits est, d’ailleurs, une des problématiques qui se posent et à laquelle on ne s’est jamais attaqué. C’est une façon de tout fourguer au consommateur, sans qu’il puisse se défendre. Il y a certainement bien d’autres choses plus urgentes à faire, mais avec le désordre qui règne, il faudrait espérer qu’on y viendra le plus vite possible. Il faudrait quand même reconnaître que dans les grandes surfaces, on est à l’abri de ce genre de manipulation, étant donné que l’on est en mesure de choisir ses propres fruits et légumes. En contrepartie, les prix pratiqués compensent largement  cette faveur certes, mais ces magasins à rayons multiples sont en mesure d’exiger du producteur que les produits qui leur sont livrés soient soigneusement calibrés. Pour le reste, c’est au petit bonheur la chance.

En revenant à la maison, les surprises ne manquent pas. Il y a immanquablement quelques pièces immangeables à jeter. Mais le problème  que  nous avons voulu soulever est relatif au respect entre client et vendeur, entre administration et administré. Du reste, on ne peut que constater les dégâts qu’a causés  le mauvais encadrement de nos jeunes. Et souvent des moins jeunes. Nous l’avions déjà noté, il y a quelques semaines, dans l’agence d’une des caisses sociales. Espérons que cela changera avec la nouvelle administration récemment mise en place.

Le bon et le mauvais

L’adhérent, cela se voyait, était venu pour la première fois, et est allé directement à un des guichets, sans doute pour se renseigner. Il n’y avait personne pour l’accueillir. Le préposé, énervé, au lieu de lui répondre calmement, en respect de l’âge de cette personne visiblement perdue, d’une voix haute, lui demanda la raison pour laquelle il était venu le voir sans être passé par la borne délivrant des tickets de rôle.

Le pauvre adhérent, oui adhérant et ce n’est pas n’importe qui. C’est un homme ou une femme d’un âge avancé qui a cotisé toute sa vie. Cette Caisse, ils ont été à l’origine de sa création et il est normal qu’on l’accueille avec le minimum de respect.  Le vieil homme ne savait plus où se mettre. Il se dirigea vers la borne et prit son ticket. Il y avait devant lui…soixante-deux personnes. Il aura le temps de digérer sa déconvenue. Deux guichets sur cinq fonctionnaient.

Les difficultés qu’éprouve une certaine catégorie de retraités pour recevoir leurs pensions, la façon dont ils sont traités, constitue une insulte au bon sens et au respect d’autrui. Avouons quand même, qu’il n’y a pas que du mauvais dans ces relations entre administration et administrés. A un des bureaux de la Steg du côté d’El Menzah, deux guichets étaient ouverts et tournaient à plein régime. L’un des deux caissiers appela un de ses collègues et le pria   de céder sa chaise à un handicapé qu’il avait repéré : « Dès que ce sera votre tour, nous vous appellerons Monsieur ». La réaction de la personne qui se trouvait dans la file a été remarquable et spontanée. Il lui céda immédiatement son tour.

Ayant payé sa facture, il remercia et adressa un large sourire au guichetier qui hocha la tête et se replongea dans ses comptes. Et là, un dicton vint à l’esprit: «Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais il donne autant de lumière ». Que les autres saisissent le message !

Sérieux et dommageables

Ces réactions, qui transpirent l’irrespect de la fonction et qui vont à l’encontre de toutes les recommandations en usage pour faciliter les échanges, sont devenues, hélas, monnaie courante. Les accrochages, parfois très sérieux et dommageables pour les deux parties, ne manquent pas. Du nord au sud du territoire, nous parviennent les échos de ces incidents qui mettent en cause des personnes ainsi lésées ou maltraitées. C’est une des raisons de la mauvaise gouvernance. Aussi bien au niveau des administrations publiques, où certains  fonctionnaires se prennent pour de véritables caïds, faisant la loi et  imposant leur façon de diriger et de traiter leurs  administrés, qu’au niveau de certaines sociétés nationales délivrant des services quelles sont les seules à fournir.

Et si l’usager pipe un mot, il risque de voir sa demande prendre du retard….

Ce n’est pas, bien entendu, une règle générale. Nous avons assisté à une scène qui a eu lieu au Service des Mines de l’Ariana, où la personne chargée de recevoir des dossiers a pris le temps d’expliquer à une dame ce qu’elle devait fournir pour renouveler son permis de conduire : « Madame, c’est écrit au verso du formulaire, mais je vais vous donner un petit papier et écrivez de vos mains la liste  des documents que vous devez nous fournir ».

Des heures à se morfondre !

Ce petit sourire, ce brin de patience, cela ne coûte rien ! Surtout lorsque le demandeur est déjà affolé par la perte d’un document précieux et qu’il se doit de renouveler sans tarder.

 Antoine de Saint-Exupéry, dans « Lettre à un otage », a bien rappelé que : “Le sourire est un devoir social.” Le client, l’administré,  en ces jours, où  impunité  et irrespect d’autrui  règnent  un peu partout, est devenu, par la force des choses, face à ces comportements inconsidérés, un otage !

Ces agissements, qui rejaillissent sur le prestige de ces administrations et de ces sociétés, ne peuvent être corrigés que par leurs responsables eux-mêmes, ceux qui devraient quitter plus souvent leurs bureaux pour voir ce qui se passe et réagir au quart de tour. Il est inacceptable qu’une personne, pour payer une facture ou déposer un dossier, passe des heures à se morfondre, alors que des guichets sont fermés. Tout en sachant que la fonction publique tunisienne compte autant de fonctionnaires pouvant être redéployés ou formés pour ces tâches. Dans l’attente que tout paiement, sans exception, se fasse par carte bancaire ou postale, et le plus vite serait le mieux, il y a lieu de bouger, d’accélérer la numérisation,  pour gagner du temps, mettre un terme à la spéculation et aux manipulations de toutes sortes. Pour, enfin, éviter les frictions et les conséquences qui s’en suivent.

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Un commentaire

  1. Miled

    08/01/2023 à 11:30

    Merci pour cet article fort pertinent, monsieur Ghattas. C est franchement navrant. Dans notre pays le fonctionnaire est parachuté à son poste sans formation préalable ni continue au sujet de l accueil notamment et des relations publiques. De part mon expérience en Tunisie et à l étranger ce sujet revêt un caractère très important et crucial même dans une carrière. Des spécialistes et des centres de formation prolifèrent et des programmes de pointe pour différents niveaux de responsabilités du chef de l état à l agent d accueil par le moyen de coaching sont incontournables et ils sont dispensés afin de développer les compétences de résolution de problèmes, d accompagnement, de persuasion, de leadership, etc. Chez nous on se contente du diplôme de spécialité tout court et on livre le fonctionnaire à lui même avec tous les malheurs qui en résultent pour lui et pour les administrés. Dans le secteur privé on commence à s impliquer dans ce créneau puisqu il y va de la survie de l entreprise.

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