Vient de paraître | «Le retour des desperados et autres nouvelles» de Chedly El Okby : Le besoin d’écrire…

 

Ce livre est le constat amer d’une situation vécue dans la peur et la souffrance. Il est l’expression du mal-être d’un être humain confronté à un drame sans précédent.

Plus on avance dans la lecture de ce livre, plus on est impatient de voir ce qu’il adviendra de son auteur, puisqu’il a été acteur et témoin d’une période marquée par l’avènement de l’Internationale Jihadiste au moment où les peuples arabes en Tunisie, comme en Egypte notamment, aspiraient à la liberté et à la démocratie. Tout, ou presque, gravite autour de ce qui a été qualifié de «printemps arabe» qui a accouché d’un spectacle de désolation. «Ce printemps, qui avait débuté dans la douceur, s’est transformé au fil des années en été torride où soufflait le sirocco mêlé au simoun, abîmant tout sur son passage, les êtres et les biens, les animaux et les végétaux, les rêves et les espoirs des peuples».

«Les desperados», ces hors-la-loi, étaient là pour semer la terreur dans le pays et s’emparer de l’une des plus belles régions du pays le jour du Mouled avec l’aide de personnes étrangères chargées de l’approvisionnement en armes, du financement, ainsi que l’acheminement des jihadistes de Libye. Un scénario cauchemardesque mais réellement vécu dans la Tunisie post-révolution. Et ce sont les femmes qui sont en première ligne de lutte contre le projet obscurantiste des desperados.

L’auteur n’a pas été indolent face à l’état de dévastation du pays après 2011, marqué par des mairies brûlées, des commissariats de police incendiés, des magasins pillés, des villas saccagées. Pour lui, «ce paysage de désolation, d’un pays livré à lui-même, était absolument insupportable».

Ce livre n’a aucune vocation didactique, n’a aucun message à transmettre, ni une quelconque idéologie à proposer. Il est le constat amer d’une situation vécue dans la peur et la souffrance, nous confie-t-il. «Il est l’expression du mal-être d’un être humain confronté à un drame sans précédent», d’où le grand besoin d’écrire ce livre. Il est vrai que lorsque l’émotion est forte, il y a toujours ce besoin de l’extérioriser, de lui laisser de la place dans les feuilles blanches et de transformer en mots les souffrances enfouies.

Pour l’auteur, le choix du qualificatif desparados n’est pas fortuit. Il est utilisé par les Nord-Américains vivant dans les régions frontalières du Mexique, pour désigner les révolutionnaires mexicains déçus par la révolution et qui se sont transformés, au fil des ans, en des hors-la-loi. Ils traversaient la frontière pour aller piller les banques, rançonner les commerçants et tuer au passage le shérif et ses adjoints. Ce phénomène nous l’avons connu également en Tunisie après la révolution. «Les auteurs du renversement du régime, déçus par les maigres résultats de leurs actions, se sont soudainement métamorphosés en jihadistes purs et durs, devenant des hors-la-loi uniquement préoccupés par l’instinct de survie et loin de toute religion».

Le pincement au cœur persiste chez l’auteur jusqu’à l’écriture des dernières lignes consacrées à une autre nouvelle.

Une colère aphone vécue sous le ciel spleenétique d’un pays à la dérive. Au fil des pages, il se déplace d’un pays à l’autre et se heurte aux fantômes du passé. Un passé peuplé de rêves fissurés et marqué par l’opposition violente de deux courants menant au meurtre et à la liquidation physique : le nationalisme arabe et l’islam politique.

Même recroquevillé dans le couloir intemporel, le passé de la narration se heurte au présent de l’interaction. L’auteur est rattrapé par le passé, par l’écho étouffé des disputes des leaders arabes qui ont marqué leur temps pour aboutir aux célèbres propos d’Ibn Khaldoun «les Arabes se sont mis d’accord une fois pour toutes pour ne jamais être d’accord».

Chedly El Okby est un écrivain et nouvelliste tunisien. Ancien élève du lycée Carnot, il a fait ses études supérieures à La Sorbonne, couronnées par une maîtrise de Lettres modernes sur l’œuvre de Gaston Bachelard. Son précédent roman «Le Bâtonnier» (Cérès 2002) a connu un grand succès et a été remarqué dans le florilège «Le Goût de Tunis» (Mercure de France 2007) qui en a publié de larges extraits. Autres romans et nouvelles du même auteur sous le pseudonyme d’Al Sid : «Rouges-gorges et souris ravageuses», Alyssa 1997, «Machettes, coconuts et gris-gris à Conakry», Alyssa 2000, «Paysage d’automne» (Babelio).

Un commentaire

  1. Montygo

    17/03/2023 à 11:12

    C’est vrai que notre pays commençait à ressembler de plus en plus à un décor de western, sans les spaghettis, bien entendu…

    Répondre

Laisser un commentaire