Il n’est pas toujours facile de dégager une logique de raisonnement cohérente et pertinente dans les discours de Ghannouchi. Souvent, cela dépasse le cadre purement politique pour devenir une obstination. Obstination pour le pouvoir, pour l’autorité. Ou alors un caprice, dans la mesure où il n’accepte pas d’être loin du centre de décision, comme ce fut le cas tout le long de la décennie noire ? Sans doute…
On n’est pas censé ignorer les réelles motivations du président d’Ennahdha. Les intérêts qui motivent, qui conditionnent ses différentes prises de position. La plupart du temps selon des considérations à géométrie variable. Dans chaque apparition, le bon sens n’est plus un repère idéal. Et c’est toujours le même discours, la même pédagogie, pratiquement mot par mot, tant le destin du parti islamiste est devenu, pour son président, lié à des facteurs extrapolitiques.
Dans sa dernière intervention, Ghannouchi est allé encore plus loin. Pour lui, «Toute tentative d’éliminer une des composantes politiques, essentiellement l’islam politique, ne peut mener qu’à la guerre civile ». Paradoxalement, autant il se permet de franchir les lignes rouges, autant il exprime son étonnement vis-à-vis des positions «des personnes et autres composantes politiques qui jubilent et font l’éloge du putsch».
Pour le président d’Ennahdha, «les gouvernants actuels, et à leur tête Kaïs Saïed, rappellent les figures marquantes de l’ancien régime, leaders de la contre-révolution et coupables de crimes et de terrorisme… Les Ben Ali, Ali Seriati et Abdallah Kallel». Pourtant, c’est ce même Abdallah Kallel qui a été reçu quelque temps après la révolution, à Montplaisir par le président du mouvement islamiste en personne.
Dans sa version actuelle, et à travers les abus, les débordements et les dérapages que son président ne cesse de cumuler, c’est tout le parti islamiste qui se trouve dans l’incapacité de faire valoir une vision et un projet de politique valable. Notamment là où les valeurs n’ont plus de sens, là où le sentiment d’appartenance à la patrie se trouve conditionné par des intérêts privés, des intérêts de clans.
La culture des arrangements douteux
Et c’est à partir de là que la culture des arrangements douteux prend forme et se développe !… Les excès et les dérapages de Ghannouchi, favorablement validés par le Front de salut, ont atteint aujourd’hui leur paroxysme. Il donne de plus en plus l’impression de ne plus pouvoir remédier à une situation devenue ingérable et dont il est le principal initiateur. Tout cela dépasse le débat autour des excès qui en résultent. Le mal est beaucoup plus profond. En effet, quelles que soient les raisons, le recours aux discours qui évoquent la guerre civile pour faire face à ce Ghannouchi qui considère comme «tentative d’éliminer une des composantes politiques, essentiellement l’islam politique» est de nature à installer un climat de gêne, mais surtout de suspicion et de doute. Privés de clairvoyance, et surtout de discernement, certains hommes politiques ont pris l’habitude de céder à l’excès. Le réflexe acquis les replonge chaque fois dans de dérives incontrôlées.
Mais que l’on soit du côté de l’opposition ou du côté du pouvoir, ou même du centre, les convictions et les certitudes peuvent ne pas être les mêmes, mais l’intérêt de la Tunisie devrait rester le dénominateur commun de tout le monde. La réhabilitation du paysage politique, plus que jamais souhaitée, devrait passer par les mains tendues et non pas par l’inconscience et l’intolérance qui pourraient tout détruire.