Au fil des années et des spectacles qui animent les scènes de nos festivals, on constate qu’il existe deux catégories d’artistes. D’abord, il y a ceux qui, par manque de professionnalisme, trichent, privilégient la facilité et s’abandonnent à la paresse, en utilisant des pistes préenregistrées au lieu de chanter en live ou ménagent leurs efforts, en tendant le micro au public qui chante à leur place, surtout ces fameux chanteurs venus des télécrochets d’Orient tels les «The Voice», ou «Arab Idol». Bref, d’une manière ou d’une autre, ceux-là laissent filer le temps en se contentant du minimum requis. Le résultat de leur prestation ne peut être que médiocre et sans éclat.
Il y a, ensuite, ceux qui ont un engagement impressionnant et un respect total envers leur public. Sincères, ils ne trichent pas, bien au contraire, débordant d’énergie et de générosité, passionnés par leur art, ils se donnent, corps et âmes, dans le but d’offrir aux spectateurs une prestation mémorable et inoubliable. Et le chanteur américain Ben Harper fait partie de ces derniers. Car, son style musical éclectique entre rock, blues, folk, reggae et soul, sa maîtrise de la guitare et sa voix rauque, pour le moins originale, à la fois douce et puissante, lui confèrent la stature d’un auteur-compositeur et interprète talentueux, apprécié des amoureux du blues dans toutes ses déclinaisons. Lors de son passage sur la scène du Festival international de Carthage, la nuit du dimanche dernier, les amateurs du genre, venus en nombre, l’ont chaleureusement accueilli et ovationné et, en retour, l’artiste n’a pas déçu leurs attentes.
Et c’est accompagné de son groupe «Ben Harper&the Innocent Criminals» que le chanteur entamera sa prestation avec «Below Sea Level», une chanson interprétée a capella et dont les paroles déclinent son engagement pour l’environnement. Il enchaînera des morceaux tirés de ses anciens et plus récents albums dont «Another lonely day», «With my own two hands», «Mama’s Trippin», «Steal my Kisses», «The power of the Gospel», «Don’t give up on me now» et tant d’autres. Les paroles de ces titres nous racontent en évoquant la vie, l’amour, la mort, la séparation, la liberté, les émotions humaines, la douleur, l’espoir et autres thèmes politiques et sociaux où l’auteur affiche son désir de changement dans le monde.
Les morceaux instrumentaux et les chansons s’égrènent dans un mélange de styles musicaux entre blues, rock, reggae, folk, soul, gospel et autres influences particulières où on décèle la marque créative du compositeur dans le champ du blues moderne. Les musiciens du groupe entre bassiste, batteur, percussionniste et claviste se donnent à fond, jouant de manière expressive des airs tantôt énergiques, tantôt mélancoliques aux rythmes entraînants. Le public, connaisseur dans sa majorité, écoute, swingue, apprécie et applaudit. Ravi, l’artiste exprime, dans la langue de Shakespeare, son bonheur d’être sur la scène de Carthage, «Un privilège», lance-t-il ému.
Pas de facilité, pas de tricherie
Le style Ben Harper c’est aussi la technique «du jeu en slide», seul sur scène, sous une lumière diffuse, le guitariste interprète en solo un morceau acoustique : assis, la guitare posée à plat sur ses genoux, façon «Qanoun», «il gratte les cordes avec un slide ou une petite barre à métal, c’est la technique du jeu en «Slide Guitar» héritée des bluesmen du Mississipi». La guitare acoustique de ce multi-instrumentiste crée des sons à la fois expressifs et plaintifs. Une performance ovationnée par les spectateurs conquis. Le charme opère de plus en plus et le bluesman s’investit pleinement affichant, durant plus de deux heures, une générosité sans pareille en jouant de plusieurs guitares, entre acoustique et électrique, et en interprétant avec passion près d’une vingtaine de chansons. Pas de paresse, pas de facilité, pas de tricherie, l’artiste montre un grand respect pour son art et son public, il terminera son concert en beauté avec l’émouvant titre, dont les paroles interrogent la foi et le destin, «Amen Omen», tiré de son album «Diamonds on the Inside».
Enfin, cerise sur le gâteau, après le rappel du public, le bluesman rendra hommage à Bob Dylan en interprétant l’intemporelle mélodie «Knocking On Heaven’s Door» imprégnée de mélancolie, tant les paroles évoquent la vie, la mort, la rédemption et la spiritualité, mais aussi un zeste de paix et d’espoir. Après avoir frappé aux portes du Paradis en interprétant cet air célèbre, revisité par de nombreux interprètes dont Bob Marley, Ben Harper était aux anges, avouant, en saluant le public : «J’ai réalisé ce soir le plus beau rêve de ma vie».
Ben Harper fait, donc, partie, comme dit plus haut, de ces artistes sincères qui se donnent à fond lors de leur prestation faisant preuve de dévouement tout en cherchant à communier avec le public et à partager avec lui un moment mémorable qu’il n’oubliera jamais. Et ils sont nombreux, rappelons-nous ces immenses artistes d’Orient et d’Occident qui ont foulé la scène du théâtre romain de Carthage tels James Brown, Jo Cooker, Ray Charles, Charles B.B.King , Charles Aznavour, Julien Clerc, Waddii Essafi, Sabah Fakhri, Molhem Baraket, et nous en passons. Ces artistes, respectent le public, en le considérant comme une partie intégrante de leur spectacle. Ils cherchent à établir une connexion avec lui, à le faire participer et à créer une ambiance de fête collective et c’est justement ce qu’a déclaré Ben Harper à l’agence TAP, «Je remercie le public parce qu’il m’a permis d’être tout simplement moi-même, il m’a fait planer au point où il est devenu un merveilleux membre du groupe ce soir»
Loin de l’ambiance des spectacles, des chanteurs venus des télécrochets arabes ou de nulle part, acclamés hystériquement par leurs fans dansants et trépidants, loin des chansons jetables et des tubes éphémères, le concert de Ben Harper était une véritable célébration artistique riche de performances musicales prenantes et captivantes.