Pourtant, au moment de la Révolution, il y avait comme un sursaut de la jeunesse. Par groupes et selon les affinités, ils ont adhéré et participé à plusieurs types d’engagement politique. En témoignent les fameux sit-in de La Kasbah 1 et 2. Progressivement, cette flamme a commencé à s’éteindre et les jeunes se sont retrouvés exclus de la scène politique, jusqu’à l’émergence de Kaïs Saïed, alors candidat à l’élection présidentielle.
Le 17 décembre est devenu depuis l’année dernière la date officielle de la commémoration de la révolution tunisienne. Mais à Tunis, plus précisément à l’avenue Habib-Bourguiba, à part un très maigre rassemblement politique, hier, il n’y avait rien à voir, rien à décrire à part le désenchantement à l’endroit de la vie politique de plus en plus grandissant qu’éprouvent les Tunisiens et qui le laissent voir.
Hâtant le pas vers le centre-ville, il était 10h, on s’attendait à voir au moins une foule qui viendrait célébrer cette date historique. Or, le temps pluvieux et la grisaille expriment parfaitement l’état d’esprit des Tunisiens, fâchés visiblement avec la politique, mais aussi avec les célébrations nationales. Les quelques passants à l’avenue Habib-Bourguiba nous confirment ce constat. «On ne sait même pas qu’il s’agit de la date de la commémoration de la Révolution, ce n’est pas en janvier ?», se demande un jeune étudiant, exprimant un désintérêt total de la chose publique.
Ce désintérêt ne touche pas seulement les plus jeunes, mais s’étend également aux autres tranches d’âge. Dans un café près du Théâtre municipal de Tunis, c’est un dimanche ordinaire. Lisant son journal et fumant une cigarette à la terrasse du café, ce père de famille, universitaire, ne se sent pas concerné par cette commémoration.
«La Révolution, c’est une chose qui n’intéresse plus personne, comment fêter la révolution, alors que notre quotidien est devenu si difficile. Il n’est pas question de désintérêt de la chose politique, mais surtout d’une perte de vigueur, d’énergie, car pour les Tunisiens, subvenir à leurs besoins essentiels est devenu la priorité», témoigne-t-il.
Au centre-ville, la commémoration de la fête de la Révolution n’a pas fait déplacer grand monde à l’avenue Habib-Bourguiba, ce lieu symbolique.
Les jeunes et la politique… c’est fini ?
Les jeunes, eux qui ont conduit la dynamique de la Révolution qui a fini par le départ de Ben Ali et la chute de son régime, ont pris leurs distances de la vie politique. Si les jeunes tunisiens ne diffèrent en rien des jeunes du monde totalement désintéressés de la vie publique, mise à part une minorité qui reste active dans des structures associatives ou encore des partis politiques.
Pourtant, au moment de la Révolution, il y avait comme un sursaut de la jeunesse. Par groupes et selon les affinités, ils ont adhéré et participé à plusieurs types d’engagement politique. En témoignent les fameux sit-in de La Kasbah 1 et 2. Progressivement, cette flamme a commencé à s’éteindre et les jeunes se sont retrouvés exclus de la scène politique, jusqu’à l’émergence de Kaïs Saïed, alors candidat à l’élection présidentielle. Une partie de la jeunesse tunisienne a repris confiance et s’est engagée à soutenir cette candidature, en se ralliant aux équipes de campagne qui ont soutenu les étapes du processus électoral plutôt virtuel que sur le terrain.
Aujourd’hui, ce décalage de plus en plus grandissant entre les jeunes et la vie politique menace-t-il l’avenir de la nation ? Et si on ne parvenait pas à créer une élite politique qui prendrait les rênes demain ? Sara, une jeune militante de la société civile, justifie ce désamour de la jeunesse à l’égard de la chose publique par les politiques publiques engagées par l’Etat tunisien ces dernières décennies. «On n’a pas pu impliquer davantage les jeunes dans la chose publique. Pire encore, on les a écartés des cercles de prise de décision, et on les a marginalisés. Encore faut-il le rappeler. Le faible rendement des partis politiques explique également cet état de fait, car nos partis ne sont pas assez structurés, notamment au niveau des bases», explique-t-elle.
Echec de mobilisation
Devant le Théâtre municipal, on aura attendu jusqu’à 13h pour s’assurer que l’appel à la mobilisation lancé par le Harak du 25 juillet a échoué. Ils étaient au maximum une vingtaine de personnes munies de deux banderoles venues manifester à l’occasion du 17 décembre. Leurs revendications portent surtout sur la lutte contre la corruption et la révision des nominations au sein de l’Etat.
Cette faible mobilisation, Hanouna Mejri, responsable au sein de ce Hirak, l’explique par la lassitude d’une population plusieurs fois déçue. «On ne peut obliger les gens à manifester si leur quotidien est déjà difficile», regrette-t-elle.
Egalement, certains Tunisiens n’avaient pas le cœur à festoyer, par solidarité avec le peuple palestinien. De nombreux témoignages recueillis estiment que célébrer la révolution tunisienne en ces moments difficiles s’avère sans goût «tant que nos frères palestiniens tombent chaque minute sous les bombardements sionistes».