Cette quatrième visite de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni en moins d’un an vient conforter la position de la Tunisie comme le premier partenaire africain dans la lutte contre les arrivées irrégulières dans la péninsule italienne.
Beaucoup d’encre a coulé à la suite de la visite éclair de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, mercredi dernier à Tunis, où elle s’est entretenue avec le Chef de l’Etat Kaïs Saïed. La question migratoire était évidemment au cœur des débats.
Certains ont même qualifié cette visite de «mystère» et de «spectaculaire», alors que les parties tunisiennes ont une nouvelle fois réaffirmé leur position claire et nette, «la Tunisie ne sera ni une terre de passage, ni une destination pour les migrants». En effet, pour le Président de la République Kaïs Saïed, la récente visite de Meloni était l’occasion de lui rappeler de vive voix que notre pays ne deviendra pas «un pays de transit ou d’installation» et qu’il n’est pas question que la Tunisie fasse office de poste frontière de l’Europe. Une position exprimée par Meloni elle-même qui semble attachée à renforcer la coopération avec la Tunisie pour présenter notre pays comme une «success story» du plan Mattei destiné à l’Afrique. Autant rappeler que lors du sommet Italie-Afrique tenu les 28 et 29 janvier 2024, Giorgia Meloni a annoncé le lancement du Plan Mattei, soutenu par l’Union européenne. Il s’agit d’établir une étroite collaboration entre l’Italie et certains pays africains dans divers domaines. Le but : promouvoir un développement durable et significatif du continent africain, notamment afin de réduire les flux migratoires vers l’Europe et établir des relations renouvelées. Pourtant, ce partenariat présente de nombreuses ambiguïtés, allant du manque de consultation avec l’Union africaine au manque de concrétisation du plan.
Quelque 19 mille personnes interceptées
La récente visite de la première responsable italienne intervient surtout à cet effet. Mais au-delà des annonces faites en marge de cette visite, c’est surtout la forte reprise des flux migratoires qui semble avoir précipité cette visite.
En effet, il faut dire que la Tunisie connaît, après une courte période de répit, une reprise des opérations de franchissement illégal de son territoire vers les côtes italiennes. Selon Houssemeddine Jebabli, porte-parole de la Garde nationale, jusque-au 10 avril, plus 21 mille candidats à la migration ont été recensés, soit une hausse de 7.000 candidats par rapport à la même période de l’année précédente. De même, 19 mille personnes ont été interceptées au niveau des frontières terrestres pour franchissement illégal du territoire national.
Tout cela pour dire que la Tunisie connaît effectivement une nouvelle vague de migration clandestine et la situation risque de s’aggraver à l’approche de l’été, quand les conditions météorologiques seront encore plus favorables. Néanmoins, le pays fait avec les moyens dont il dispose pour lutter contre ces flux migratoires souvent difficiles à gérer. Etant à la fois un point de départ, de transit et de destination pour de nombreux migrants, en particulier ceux fuyant les conflits ou cherchant de meilleures opportunités économiques, la Tunisie déploie tous les efforts sécuritaires, diplomatiques et politiques pour stopper ces flux. Pour faire face à cette situation complexe, notre pays a mis en œuvre diverses stratégies, notamment le renforcement de la surveillance de ses frontières, la coopération avec d’autres pays et organisations internationales, ainsi que des efforts pour améliorer les conditions socioéconomiques à l’intérieur du pays afin de dissuader les candidats.
Cependant, comme pour de nombreux pays confrontés à des défis similaires, la gestion des flux migratoires reste un défi constant, et est, de fait, source de tension avec les parties européennes.
Un coup de com ?
Revenant à cette actualité, l’ancien diplomate Abdallah Laâbidi estime que la visite de Meloni revêt surtout une importance politique et communicationnelle pour les Italiens, mais aussi pour les Européens, dans une approche «d’externalisation de la crise migratoire». «Les parties européennes veulent externaliser au moindre coût le problème migratoire vers la Tunisie en exploitant sa vulnérabilité sociale et économique, le problème est également dirigé vers d’autres pays africains», a-t-il expliqué à La Presse.
«Sa visite éclair de deux heures n’est pas isolée du contexte italien, mais aussi du contexte européen qui s’apprête à des élections du Parlement européen en juin prochain. L’Italie veut se positionner comme nouveau leader européen et veut devancer la France, cela passe certainement par la gestion de la crise migratoire qui secoue le vieux continent», a-t-il encore analysé, rappelant qu’il n’est pas exclu que Meloni conduise personnellement la liste de son parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) aux élections du Parlement européen. Et de souligner que cette visite acquiert aussi un aspect communicationnel dans la mesure où les conventions signées auraient pu être faites sans son déplacement en Tunisie.
Abdallah Laâbidi estime également que la Tunisie est aujourd’hui lourdement sanctionnée par la crise migratoire dans la mesure où de nombreux migrants subsahariens irréguliers s’y sont installés. Appelant les autorités à renforcer la sécurité des frontières terrestres pour limiter les flux et mettant en garde contre les ambitions européennes de faire de la Tunisie ce qu’il appelle une «zone de rétention des migrants irréguliers». «Malheureusement, la réalité est tout autre, ces migrants commencent à s’installer fortement dans le tissu social tunisien. Il suffit de les voir s’adonner à la mendicité pour mesurer la gravité de la crise», a-t-il regretté.
Nous ne serons pas les gardiens de l’Europe !
Autant dire que cette visite a permis de réaffirmer la position de la Tunisie qui s’oppose à tout plan visant à l’assigner à l’ingrate mission de gardienne des frontières européennes. Oui, l’Europe considère souvent la Tunisie comme un acteur important dans la gestion des flux migratoires en provenance d’Afrique du Nord, s’accordent les observateurs.
Les gouvernements européens ont cherché à coopérer avec la Tunisie pour renforcer la surveillance des frontières maritimes et terrestres, ainsi que pour améliorer les capacités de gestion des migrations. Cela a inclus le soutien financier, la formation des forces de sécurité tunisiennes, et la fourniture d’équipements et de ressources pour aider le pays à faire face à ce défi complexe, des efforts qui sont restés en deçà des besoins réels de la Tunisie.
Cependant, il convient de noter que cette perception peut également susciter des critiques, certains soulignant que l’externalisation des contrôles frontaliers risque de compromettre les droits des migrants et les principes de protection des réfugiés. De plus, certains acteurs humanitaires et de défense des droits de l’homme appellent à une approche plus équilibrée qui mette davantage l’accent sur la protection des droits fondamentaux des personnes en déplacement.
Trois conventions signées
A noter que la présidente du Conseil italien n’est pas arrivée les mains vides, car trois accords ont été signés entre la Tunisie et l’Italie lors de cette visite. Il s’agit d’un accord entre les gouvernements tunisien et italien pour soutenir le budget général de l’Etat tunisien, d’un accord financier entre la Banque centrale de Tunisie et la Société italienne des dépôts et crédits concernant l’accompagnement et le financement des PME, et d’un protocole d’accord entre le ministère tunisien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et le ministère italien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche portant sur la coopération dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Si la valeur des accords n’a pas été dévoilée par les parties officielles, l’agence de presse italienne Ansa rapporte que les accords conclus entre les deux gouvernements, dans le cadre du Plan Mattei, totalisent un peu plus de cent millions d’euros. Plus précisément, cinquante millions d’euros sont destinés au soutien direct du budget de l’État tunisien dédiés à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables, tandis qu’une ligne de crédit de 55 millions d’euros est allouée aux petites et moyennes entreprises tunisiennes.