La production de feuilletons ou de séries reste occasionnelle. Si ce n’est le mois de Ramadan, le genre n’existerait sans doute pas sur nos petits écrans. Autrefois, avant l’avènement des chaînes privées, la télévision nationale, qui surfait seule sur la vague de l’audiovisuel, offrait deux feuilletons. Ils étaient diffusés, l’un au cours de la première quinzaine de Ramadan et l’autre lors de la deuxième moitié du même mois saint. Une agence a même été créée sous tutelle de l’Etablissement de la radiodiffusion-télévision tunisienne (ERTT) pour la gestion de ces fictions. Après une expérience de quelques années, l’agence a été abandonnée. La chaîne nationale a eu recours à la production exécutive en faisant appel à des producteurs privés pour le bon suivi de ses fictions.
Avec l’arrivée sur le marché des chaînes privées, les choses ne se sont pas améliorées pour autant. Le schéma est resté le même (un feuilleton, une série et une caméra cachée) ainsi que le rendez-vous, à savoir le mois de Ramadan où les familles sont réunies autour d’une même table pour partager le repas et aussi les feuilletons. Le feuilleton, à l’instar de la «Brika», est indispensable de ce mois sacré. La question toujours posée est de savoir pourquoi les chaînes de télévision ne produisent-elles pas de fictions à longueur d’année. Réponse évidente : le manque de ressources financières.
En effet, les annonceurs et autres sponsors, qui sont les principaux bailleurs de fonds, ne se manifestent qu’au dernier moment, autrement dit, un ou deux mois avant la date fatidique de ce fameux mois saint. Et le marathon commence pour les producteurs, auteurs, acteurs et techniciens qui doivent mener à terme le projet rapidement en tenant compte de tous les aléas qui peuvent survenir en cours de parcours, ce qui engendre souvent des tensions sur les plateaux de tournage. Parfois, les scénarios sont écrits au fur et à mesure du tournage, les équipes travaillent d’arrache-pied, jour et nuit, sur le tournage, le montage qui est réalisé au jour le jour. Des conditions pénibles et insupportables d’autant plus que, souvent, l’équipe est rémunérée tardivement après une année ou deux. Certains techniciens ou acteurs n’ont jamais été payés.
Ces prises de risque se ressentent sur le produit fini. Ce schéma de production continuera les prochaines années dans la mesure où les chaînes ne disposent pas de moyens conséquents assurant un certain confort de production. Résultat, la plupart des productions sont bâclées, rafistolées et tronquées. On peut toujours parler de miracle lorsqu’un feuilleton ou une série sont prêts à la diffusion. Cela ressemble à un examen où des élèves n’ayant pas bien révisé leur cours sont contraints de rendre des copies négligées. Alors, les chaînes préfèrent recourir à des fictions déjà installées et ayant bénéficié d’un succès avéré, à l’instar de «Awled Moufida» et de «Chouereb».
Sine die
«Awled Moufida» signé Sami Fehri et Sawssen Jemni, dont la première saison 2015 comptait 14 épisodes, la deuxième en 2016 21 épisodes et la troisième en 2017 14 épisodes, la quatrième saison de 2019 s’est résumée à 11 épisodes ce qui est très peu pour un feuilleton. On en déduit que les impératifs de production ont présidé la mise en place de ce projet dont l’auteur du scénario, réalisateur et producteur est Sami Fehri, le patron d’El Hiwar Ettounsi, qui dispose d’autre part d’une série comique «Qesmet Oukhayen» qui vient juste après la rupture du jeûne précédant la diffusion d’«Awled Moufida».
Les nouveaux axes mis en place, dont les principaux protagonistes sont interprétés par des comédiens confirmés comme Fethi Heddaoui en homme d’affaires mafieux et Moez Gdiri, ex-antagoniste dans «Chouereb» qui campe le rôle d’un flic alcoolique, ont été à l’origine de la mise au placard d’une grande partie de la famille Moufida, principal vecteur du feuilleton lors des saisons précédentes. La mère Moufida (Wahida Dridi), la tante (Nedra Lamloum) ont été presque occultées et n’ont eu que de brèves apparitions.
Feuilleton social centré sur des problèmes familiaux : relations hors mariage, enfants naturels, adultère et corruption, «Awled Moufida» utilise comme dispositif principal des scènes d’action violentes, ce qui semble avoir choqué une grande partie des téléspectateurs et fait réagir la Haica qui a décidé de faire retarder sa diffusion avec la mention d’interdiction au public de moins de 12 ans. Malgré tous ces problèmes, la série a réalisé des scores d’audience élevés malgré une trame tirée par les cheveux.
«Chouereb» saison 2 était très attendu par le public du fait que la première saison a connu un bel exploit dépassant de loin le feuilleton historique «Tej El Hadhra» programmé sur la chaîne rivale El Hiwar Ettounsi. Pour la saison 2, Attessia a fait appel à un nouveau réalisateur, Madih Belaid, affirmé et réputé pour sa diligence, qui s’est contenté de remplir les cases vides en faisant appel à des acteurs professionnels maîtrisant leur métier comme Atef Ben Hassine, Latifa Gafsi, Jamila Chihi, et ce, dans le but de minimiser les dégâts. Les scènes d’action ont été quelque peu réduites au profit de nouveaux axes ayant un rapport avec la politique ou encore la présence effective de juifs tunisiens. Le scénario est écrit à plusieurs mains, minimisant plusieurs rôles et s’éloignant notamment de l’histoire réelle d’Ali Chouereb dans le but d’éviter tout conflit avec la famille du célèbre bandit. Quant à Lotfi Abdelli, porteur du projet, avec sa voix éraillée, son physique et son allure de méchant roulant des épaules, il n’est pas du tout crédible. Sa présence est justifiée par son capital de sympathie auprès d’un large public sans plus. Le personnage de Chouereb ne lui sied guère, l’excès de soumission à sa mère à qui il obéit au doigt et à l’œil n’est pas crédible. Ceci n’empêche pas le succès relatif du feuilleton dont le tournage et la finition ont été des plus compliqués, ce qui explique d’ailleurs le retard de sa diffusion une dizaine de jours après le démarrage du mois de Ramadan. Tous ces facteurs mettent à mal les fictions tunisiennes, qui sont, d’autre part, nécessaires pour faire travailler tout un secteur de techniciens et d’acteurs, dont la seule opportunité reste les séries ramadanesques. Mais qu’importe, les copies ont été rendues, le verdict des spectateurs également. On aura le temps d’oublier les lacunes jusqu’au prochain mois de Ramadan.