Par Neila Gharbi
La 2e édition du Festival du cinéma tunisien (10-15 juin 2019) comprenait deux sections : la section du film de fiction, long et court, et la section du film documentaire, long et court. Nous nous intéresserons ici au documentaire, un genre souvent négligé et peu considéré par certains professionnels du fait qu’il n’est pas vendable. Or, le documentaire, souvent appelé « cinéma du réel » ou « cinéma vérité », peut susciter l’intérêt du public si le sujet est motivant et son traitement cinématographique solidement construit.
Il y a le documentaire qui tente de saisir de manière objective la réalité et devient un outil d’enregistrement sur le vif, montrant le réel tel qu’il est. Ce genre de documentaire est une preuve indéniable pour conserver une trace visuelle de ce réel. L’évolution du cinéma et de la télévision n’a pas permis au documentaire de s’imposer véritablement. Au contraire, il reste le parent pauvre d’une industrie qui cherche le profit. Néanmoins, certains cinéastes continuent comme si de rien n’était à produire des films dont la fonction est essentiellement didactique.
Parmi les films sélectionnés lors de cette seconde édition du Festival du cinéma tunisien, « Les assoiffés » de Ridha Tlili, documentaire de sensibilisation sur la question de l’eau. La caméra devient militante au profit d’une population privée d’eau et en déshérence. Dépourvu d’esthétique, le film pèche par la faiblesse de son angle d’attaque du sujet en question et sa difficulté à construire un récit qui puisse mettre en empathie les spectateurs sur la condition de ces assoiffés sans parler des défaillances au niveau de la prise de son et du montge. Le film renvoie à un cinéma vieillot des années 70, un cinéma de résistance et de combat qui continue à être droit dans ses bottes sans tenir compte des évolutions du secteur.
« La citadelle de l’olivier » de Hédia Ben Aicha est une sorte de pamphlet creux et narcissique sur le rapport de la réalisatrice du film à sa région Kalaâ Kobra. Folklorique et dominé par un commentaire en voix off, le film semble tourner sur lui-même sans jamais s’interroger sur les vraies questions qui sont entre autres les problèmes de dot et des conflits entre les familles autour de l’olivier.
« Au-delà de l’ombre » de Nada Mezni Hafiedh souffre, malgré l’audace de son sujet dont le personnage principal est Amina Sboui, de quelques faiblesses. Il n’arrive pas à décoller et finit par ressembler à une téléréalité où l’on voit des protagonistes se débattre dans leur quotidien sans que leurs inquiétudes sur leur avenir incertain ne trouvent d’écho. Trop lacrymal, le film subit la forte personnalité d’Amina qui semble guider la réalisatrice. Cette dernière n’a pas l’air d’avoir une prise directe sur son travail.
Lieu d’expression d’une parole libre, le documentaire interroge le réel par les moyens qui sont propres au cinéma. C’est ce qu’on appelle le documentaire de création,différent du reportage journalistique dont la fonction est soit pédagogique, soit scientifique. Un documentaire ou ce qu’on peut appeler un « faux documentaire », qui emprunte d’autres formes d’expression avec les ressources propres au langage cinématographique, peut devenir intéressant et susciter l’intérêt des spectateurs s’il quitte les sentiers battus et sort de l’ornière du didactisme.
« La voie normale » d’Erije Shiri (Prix du meilleur traitement cinématographique) est le portrait croisé de cheminots tunisiens aux commandes d’une vieille locomotive qui est la métaphore d’un pays en panne où règnent la corruption, les passe-droits et autres malversations. En adoptant une écriture singulière, la réalisatrice a réussi avec subtilité une sorte de mise en abîme qui donne une valeur intrinsèque à son film et n’est pas tombée dans la linéarité d’usage qu’on retrouve dans d’autres documentaires.
Il s’agit non pas d’affirmer des évidences mais d’exprimer à l’échelle de microcosmes humains les questions liées à la vie et à notre perception du monde. « Les filles de la lune » de Hiba Dhaouadi (Prix du meilleur documentaire) a innervé la réalité pour lui donner un nouveau statut. La réalisatrice ne s’est pas contentée de passer en revue le quotidien difficile de ces malades mais de leur créer une histoire dans laquelle les principales protagonistes portent à bras-le-corps leur handicap sans en faire un drame. Au contraire, elles réussissent à affronter le regard des autres et à donner de l’espoir à tous ceux qui portent une infirmité.
Dans le même sens, le documentaire « Ghezala » de Hajer Nefzi, construit comme une fiction, évite le portrait classique d’un personnage original, un travesti, populaire dans la ville du Kef. Un personnage solaire haut en couleur apprécié par la population locale parce qu’il leur apporte joie et bonheur en chantant et dansant dans leur fête. A travers le portrait de ce personnage excentrique, le film dresse aussi le portrait d’une région, le rif du Kef, son patrimoine matériel et immatériel et nous plonge dans un imaginaire riche de contes et d’histoires enfouis. Les plans filmés dans les hauteurs du Kef célèbrent des paysages saisissants de beauté et s’incrustent dans un récit assez singulier.
Le documentaire de création peut avoir un bel avenir et peut même surpasser la fiction à condition qu’il trouve acquéreur.
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