L’affaire Sami Fehri – Attessia cache un désolant constat portant sur la propriété des médias audiovisuels. Qui possède quoi ? On ne le sait malheureusement pas. Un rapport élaboré par l’Association Al Khatt et Reporters Sans Frontières a fait observer que six télévisions tunisiennes privées, sur dix analysées, ont été fondées ou sont détenues par des personnalités liées au monde politique. On y apprend également que certains propriétaires possèdent des actions dans plusieurs chaînes, ce qui met en péril la diversité de l’information.
Fidèle à lui-même, le propriétaire de la chaîne El Hiwar Ettounsi, Sami Fehri, a annoncé le rachat de 49% des actions de la chaîne Attessia TV appartenant à Lotfi Charfeddine, accordant un délai légal estimé à quatre mois au conseil de ladite chaîne pour se prononcer à cet effet. En effet, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, Fehri a fait l’annonce en compagnie des deux frères Ridha et Lotfi Charfeddine, ce dernier étant, comme nous l’avons révélé dans un précédent article, le vrai propriétaire de ces actions.
«L’opération de rachat des 49% d’Attessia est en train de finalisation avec Lotfi Charfeddine, la chaîne aura donc quatre mois pour accepter l’offre ou bien la rejeter», a prétendu Fehri, faisant savoir que «dans tous les cas la vente va se faire».
Pour sa part, la direction de la chaîne en question d’être finalisée cette information, dans une succession de faits qui nous fait revenir quelques semaines en arrière, lorsque Fehri avait annoncé ses intentions d’effectuer cette acquisition. Ainsi, dans un communiqué, la chaîne a appelé Sami Fehri à arrêter son «cirque» sur les réseaux sociaux, tout en assurant que son offre n’a pas été validée par le conseil d’administration. Et de souligner que les 49% parts d’actions à vendre ne donnent à l’acquéreur «aucun pouvoir sur la direction de la chaîne», notamment en présence de plusieurs autres offres «bien plus sérieuses et plus crédibles ». Dans ce sens, la chaîne sous-entend que l’offre de Fehri sera rejetée. Sur un ton ironique, Attessia a renouvelé son offre de l’accepter dans son équipe, mais uniquement en tant qu’animateur d’émissions.
Et c’est dans ce contexte où il est difficile de distinguer le sérieux de l’ironie, que l’animateur de la chaîne Attessia, Lotfi Abdelli, fait son entrée sur scène en annonçant, à son tour, ses intentions d’acquérir ces 49% des actions de la chaîne pour barrer la route à Sami Fehri. En effet, toujours sur les réseaux sociaux, l’animateur a demandé au conseil d’administration d’Attessia, composé essentiellement des deux familles Jenayah et Charfeddine, de lui accorder trois mois pour «mobiliser les fonds nécessaires» et racheter les 49% de la chaîne.
Prévenir la concentration médiatique
En suivant de près la «guerre» médiatique engagée entre plusieurs intervenants dans cette affaire, notamment Sami Fehri, Attessia et l’animateur phare de cette chaîne, Lotfi Abdelli, on s’aperçoit qu’un bas niveau marque le contexte de cette affaire d’autant plus que parfois on tombe, carrément, dans des futilités. Mais cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les dessous de cette affaire ? La menace de voir une concentration médiatique inquiétante et même dangereuse est-elle réelle ? Jusque-là, la Haica ne s’est pas prononcée sur cette affaire, pourtant elle est au cœur de ses prérogatives. En tout état de cause, le décret-loi 116 régissant l’activité du secteur audiovisuel en Tunisie n’interdit pas, explicitement du moins, la détention d’actions dans plusieurs entreprises médiatiques, mais ordonne à travers son 15e article, cette instance de régulation à veiller à éviter la concentration des groupes de médias et à faire respecter la diversité dans le paysage audiovisuel, qui souffre déjà de plusieurs manquements.
Cette concentration pourrait être nuisible, notamment dans un contexte de construction de modèle démocratique, dans la mesure où le pluralisme de l’information serait menacé et atteint. Si l’enjeu est de taille, c’est parce qu’on pourrait voir, un jour, de puissants groupes d’hommes d’affaires accaparant la propriété des entreprises médiatiques, notamment les chaînes de télévison, ces instruments de persuasion politique massive.
En Tunisie, si l’acquisition des actions de la chaîne Attessia n’est qu’une simple affaire de règlements de comptes personnels, nous craignons que ces «manœuvres» aient de véritables répercussions sur la qualité de l’information et sur les conditions de travail des journalistes qui, parfois, se trouvent mêlés à des affaires périlleuses, accentuant des phénomènes qui témoignaient déjà d’une dégradation de l’information et de ses conditions de production : conflits d’intérêts, clashs médiatiques gratuits, autocensure des journalistes, uniformisations des contenus médiatiques… Derrière l’ironie, des intérêts peu innocents peuvent parfois résider.
Cette affaire cache également un désolant constat portant sur la propriété des médias audiovisuels. Au sein de ce paysage audiovisuel, qui possède quoi ? On ne le sait malheureusement pas. D’ailleurs, un rapport élaboré en 2016 par l’association Al Khatt et Reporters Sans Frontières a fait observer que six télévisions tunisiennes privées, sur dix analysées, ont été fondées ou sont détenues par des personnalités liées au monde politique. On y apprend également que certains propriétaires possèdent des actions dans plusieurs chaînes, ce qui met en péril, soulignons-le, la diversité de l’information.